Oubliez un instant les multiples blockbusters aux promesses aussi grandiloquentes que leurs budgets marketing sont faramineux, et prenez quelques minutes pour découvrir un jeu de rôles beaucoup plus modeste en apparence, mais pourtant terriblement ambitieux.
Age of Decadence est un jeu de rôles indépendant, actuellement en développement mais en phase de finalisation. Revendiquant un certain coté « old school » pleinement assumé, Age of Decadence recherche l’excellence en terme de choix & conséquences, de dialogues et de combats tactiques. Bref, de jeu de rôles dans son essence la plus noble. Déjà présenté dans le CPC n222, il dispose également depuis d’une démo jouable limitée pour l’instant aux combats (mais néanmoins diablement intéressante, voir plus bas). Une démo plus complète couvrant le tout début du jeu sous tous ses aspects, est prévue pour « bientôt ».
Néanmoins, qui dit indépendance dit aspect technique forcément en retrait des grandes productions (à ne pas confondre avec l’aspect artistique ceci dit). Chacun en jugera à sa manière, par exemple du coté des captures d’écran du site officiel (voir tout en bas du pavé lourdingue). L'interface semble néanmoins très claire et très professionnelle.
Bref, l’essentiel n’est pas là. Je vais tâcher de mettre de coté autant que possible ma tendance enthousiasmo-subjective, pour présenter plus en détail quelques-unes des particularités du jeu (de ce que j’ai pu en lire des forums / voir des vidéos / joué de la démo) :
-Le background :
Age of Decadence met en place un monde assez original que l’on peut définir comme « médiéval-fantastique post-apocalyptique ». Mais en fait, plutôt que médiéval, il serait plus juste de dire « antiquité tardive », car le monde s’inspire assez nettement de la fin de l’empire romain : un territoire en ruine anciennement le fief d’un puissant empire, désormais en pleine décadence (d’où le titre) et où s’affrontent de multiples factions tentant tant bien que mal d’assurer un semblant de civilisation dans le chaos ambiant. La démo est très révélatrice à cet égard de cette orientation plutôt originale: noms à consonances romaines, peuplades barbares rappelant les germains ou les huns, armes et armures inspirées de l’époque romaine, combats de gladiateurs… Le coté « fantastique » semble peu présent, en tous cas on ne trouvera pas les trop traditionnelles boules de feu, orques et autres magiciens ; par contre, il est présent par les connaissances mystérieuses issues de « l’ancien monde » et à redécouvrir, sans trop savoir s’il s’agit réellement de magie ou simplement de technologies avancées désormais disparues. En somme, l’univers d’Age of Decadence s’annonce avant tout « réaliste », dominé par la politique et les luttes d’influence, sur fond d’ambiance post-apocalyptique et de mœurs décadentes.
-Textes et dialogues :
Jeu de rôles oblige, Age of Decadence devrait proposer une tonne de dialogues et de descriptions. Le jeu revendique un aspect « textuel » assez prononcé (un peu à la façon des jeux dont vous êtes le héros), faisant le choix d’illustrer les situations complexes par des descriptions textuelles, plutôt que vouloir absolument tout représenter via le moteur du jeu. Le système de dialogue offre des choix à réponse multiple classique (comme les Fallout), incluant des « skillchecks » dans les situations offrant des opportunités de marchandage, de persuasion, d’assassinat… Un des maîtres slogans des développeurs étant « choix et conséquences », cet aspect est naturellement particulièrement sensible dans les dialogues : c’est certes une promesse désormais courante dans les discours actuels, mais ici c’est l’ensemble du jeu qui est articulé autour de cette logique : chaque choix devrait emmener des situations très différentes, à court ou long terme. A noter aussi qu’Age of Decadence revendique un nombre de mots supérieur à ce que pouvait proposer Planescape Torment… ça laisse donc présager quelque chose de très « touffu ».
-Les combats :
Les combats se font au tour par tour et se veulent tactiques, bien qu’on ne contrôle qu’un seul personnage (les éventuels alliés sont dirigés par l’IA). Très semblables à Fallout 1&2 (l’interface d’ailleurs a de curieuses ressemblances), ils sont néanmoins plus poussés dans les possibilités tactiques offertes au joueur : selon le type d’armes, différents types d’attaque sont envisageables (un coup lourd et puissant, capable de transpercer les armures mais utilisant beaucoup de points d’action, ou bien au contraire plusieurs attaques rapides pour se débarrasser des adversaires non protégés ?), et d’une arme à l’autre les effets (les haches peuvent briser les boucliers, les marteaux renverser les adversaires…) voire les tactiques à employer ne sont pas les mêmes (le combat à la lance par exemple est très spécifique, car il implique d’être très mobile pour empêcher l’adversaire de s’approcher) ; changer d’équipement ou de stratégie peut changer fondamentalement l’issue d’un combat. Les règles des combats et de l’équipement fourmillent de possibilités et de dilemmes tactiques : on notera entre autres l’utilisation possible de filets pour ralentir l’adversaire, le choix à faire entre l’esquive et la parade, les réflexions sur les avantages et inconvénients des armes à deux mains (les armes lourdes, en plus d’empêcher le port du bouclier, sont moins précises et plus lentes), des types d’armure à porter (une armure très lourde n’est pas forcément la meilleure armure, car elle diminue le nombre de points d’actions, les possibilités d’esquive et peut même se révéler vulnérable à des coups critiques)… Enfin, Age of Décadence, bien loin de céder à la facilité ambiante, revendique des combats difficiles, parfois quasi-impossibles même dans certaines situations (la violence n’étant pas toujours le choix le plus raisonnable), en sachant qu’il existe toujours des options permettant de les éviter. Mais pour se convaincre de tout ceci, le plus simple est d’essayer la démo (voir plus bas), car celle-ci est très complète quant à la richesse du système de combats.
-Système d’évolution du personnage:
Le personnage unique que l’on contrôle n’a pas de classe, ni de race. C’est un humain déterminé par ses 6 statistiques majeures (qui ne changeront plus au cours de la partie), un ensemble de compétences de départ, et enfin un « background ». Ce dernier (chevalier, mercenaire, assassin …) n’est pas un choix qui restreint d’office les possibilités du PJ : il détermine simplement son histoire passée, et notamment ses relations de départ avec les différentes factions (un peu semblable aux « origines » de Dragon Age, en moins contraignant). Mais il reste tout à fait possible de s’émanciper de cette situation qui ne demande qu’à évoluer. Par exemple, le background de chevalier fait de votre personnage un vassal de l’une des grandes maisons nobles, mais rien ne vous empêche de la quitter dès le début du jeu, ou bien encore de la servir un temps avant de les trahir plus tard. Il n’existe pas non plus de système de « niveau » : en fonction de ses réussites, le personnage gagne directement des points à affecter librement aux compétences qu’il souhaite. Avec 23 compétences, l’éventail est large, en sachant bien sûr qu’une grande partie d’entre elles ne sont pas destinées au combat (avec de nombreuses compétences de « voleur » notamment, comme se déguiser/crocheter/poser des trappes, des compétences de dialogue différentes, de marchandage, de fabrication d’objets…). Jeu de rôles oblige, votre personnage ne pourra jamais développer à son maximum qu’une petite partie des compétences disponibles, impliquant de faire des choix spécifiques et réfléchis, et de délaisser totalement certains domaines : d’une partie à l’autre, d’un personnage à l’autre, l’expérience de jeu devrait être très différente. Les développeurs assurent qu’il sera parfaitement possible de jouer un pur politicien/marchand sans aucune capacité de combat, et ce même au sein de certaines factions n’étant pourtant pas prédestinées à cela.
-Les factions :
Les factions sont promises à un rôle central dans Age of Decadence, car quelque soit le personnage que l’on décide d’incarner, il ne sera jamais un héros sauvant le monde, mais simplement un pion (plus ou moins docile et prévisible) au sein des grandes puissances politiques de l’univers. Celles-ci sont au nombre 7, chacune partageant des motivations politiques différentes : les trois grandes maisons nobles conspirent pour accroître les pouvoirs de leurs cités états, la garde impériale tente sans trop y croire de rétablir le feu empire, la guilde marchande cherche à imposer son contrôle via le commerce… D’une faction à l’autre, l’ambiance et le style de missions diffèreront évidemment (la garde impériale est toute indiquée pour les joueurs qui veulent de nombreux combats en groupe ; la guilde des marchands au contraire sera l’idéal pour un personnage faible physiquement mais fourbe et manipulateur) mais également la difficulté. Un des développeurs nous explique que le crédo principal du jeu étant de « faire des choix et de devoir les assumer », servir la maison noble la plus faible, qui lutte désespérément pour sa survie, sera vraisemblablement plus difficile pour le PJ que suivre docilement la maison dominante. Il devrait y avoir également de multiples possibilités de changer de camp au cours de la partie. Enfin, on notera la présence d’un système général de réputation lié à « l’honneur », indépendamment du niveau d’appréciation de chaque faction : changer sa veste et trahir pour le plus offrant pourrait avoir des conséquences néfastes à terme, tandis que rester ostensiblement fidèle à ses engagements offrirait des perspectives particulières.
-La démo jouable :
Age of Decadence propose donc une démo jouable limitée pour l’instant aux combats, et qui en est à sa troisième mouture (de nombreux ajustements ont été effectués en fonction des retours des joueurs). Vous incarnez un combattant jeté dans une arène, et vous aurez une quinzaine de combats à mener pour en devenir le champion, avant un petit « final » destiné à montrer les possibilités offertes par le jeu. Bien qu’elle ne couvre qu’un aspect du jeu (en l’occurrence le combat, même si on a au passage un aperçu du background et de l’ambiance du jeu), elle est loin d’être une démo au rabais : j’encourage vivement tous les amateurs de jeu de rôles à s’y essayer ne serait-ce que sur quelques affrontements. Toute la richesse du système des combats est visible au fil des confrontations : vous pouvez tenter différentes combinaisons de personnages très différents (exemples : un guerrier fort mais lent avec bouclier et épée longue; un rétiaire vif et peu protégé armé de lances et utilisant les filets ; ou bien encore un spécialiste des armes de jet), et comparer l’efficacité de tel modèle par rapport à tel autre. Attention par contre à la difficulté assez ardue (d’après les développeurs, volontairement plus difficile que ce que pourrait être le jeu complet, étant donné qu’elle est axée sur les combats et destinée à « équilibrer » les différents types de personnage), certains combattants pouvant même ne pas parvenir à terminer la démo s’ils sont « mal montés ». La lecture du readme est vivement conseillée.
-Les développeurs :
Iron Studio est un studio indépendant, ses différents membres n’étant que des amateurs consacrant l’essentiel de leur temps libre à développer leur jeu. On peut trouver sur Internet plusieurs interviews des développeurs, notamment du dénommé Vince, quant à leur vision du jeu de rôles, leur éthique et leurs ambitions. A la fois amoureux des jeux de rôles, et très critiques quant à leur évolution tendant de plus en plus vers le marketing, la régression intellectuelle et le public de masse, ils considèrent néanmoins comme une aubaine la possibilité pour les petits studios indépendants de se faire une place en se concentrant sur des publics restreints de passionnés. En termes de modèles, Fallout 1&2 et Planescape Torment sont des noms revenant régulièrement comme étant les principaux inspirateurs d’Age of Decadence. On pourra noter aussi que le dénommé Vince a été « critique » de RPGcodex (et si je vous dis qu’il n’a pas aimé Fallout 3 et Oblivion, mais adoré New Vegas, c’est une preuve de son bon goût), et l’équipe semble avoir un profil assez international (un canadien, un argentin et un ukrainien). Leur but n’est clairement pas de gagner de l’argent même si, fort naturellement, grâce aux revenus d’AoD ils espèrent pouvoir se consacrer à plein temps à d’éventuels successeurs. Bref, ce sont clairement des passionnés, décidés à faire le jeu de rôles qu’ils ont toujours rêvé.
-Avancement :
Le jeu est en développement depuis plus de cinq ans, et aucune date de sortie n’a été annoncée. Les développeurs sont très perfectionnistes (d’après leurs dires, le jeu aurait pu sortir depuis bien longtemps, mais beaucoup de choses ont été remaniées ou ajoutées depuis) et se sont toujours refusés à s’avancer sur des dates de sorties qu’ils ne seraient pas sûrs de tenir (ou qui les pousserait à sortir le jeu dans un état inachevé). Le crédo est donc « nous prendrons le temps qu’il faudra, mais nous ferons le meilleur jeu que nous ne puissions faire ». Dans un message de Décembre 2010, l’un des développeurs annonce : « AoD is in its final stage. We are tweaking individual aspects, adding some finishing touches, redesigning quests, changing the engine. Small things like that take time, you know. But we are getting close. Really close. As close as never before. » Je pense que l’on peut raisonnablement espérer la sortie du jeu pour cette année 2011, ou tout du moins la démo complète incluant la toute première partie du jeu. Bien entendu, il n’y aura ni DLC, ni bonus de pré-commande, et autres artifices marketing. Le jeu sera disponible en téléchargement sur leur site et sans doute sur plusieurs autres plateformes de téléchargement (peut-être Steam, mais rien n’est sûr) ; il sera également possible de commander des versions boîtes, incluant manuel, carte et boîte en carton.
Quelques liens :
Le site officiel :
http://www.irontowerstudio.com/
La démo jouable :
http://www.irontowerstudio.com/forum...ic,1259.0.html
Readme de la demo:
http://www.irontowerstudio.com/forum...ic,1208.0.html
Vidéo « choix et conséquences » :
http://www.youtube.com/watch?v=kKD8Vr55jl8