Dans les univers fictionnels, notre cerveau est souvent mis en valeur. Non seulement Hannibal (le cannibale, pas le général carthaginois) ne me contredira pas, mais je connais même quelques zombies tous prêts à me donner raison; trop près même, reculez les mecs, ou je vous envoie Zoulou. Et dans ce gentil navet de SF, "Johnny Mnemonic", le cerveau sert d'espace de stockage de données. Quand on y réfléchit, ce n'est pas si bête. Par exemple, lorsque je regarde un film ou que j'écoute une musique, je stocke dans mon cerveau l'oeuvre en question. Lorsque j'ai payé le ticket d'entrée au cinéma ou acheté l'album, pas de problème, ce stockage est légal. Mais qu'en est-il dans le cas où j'ai regardé ou écouté l'oeuvre de l'esprit sans droit ? Est ce que ce stockage dans mon cerveau est illégal ? En résumé, peut-on considérer comme contrefacteur le spectateur passif d'une oeuvre diffusée sans autorisation de son auteur ?
Pour répondre à cette angoissante question métaphysique, qui évoque la problématique du streaming, rappelons les textes principaux en matière de contrefaçon:
L'article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui nous rappelle que :
"Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit."
Et l'article L. 335-3 qui rajoute: "Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.".
Enfin, l'article L.335-4 en remet une couche: "Est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d'une prestation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, réalisée sans l'autorisation, lorsqu'elle est exigée, de l'artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l'entreprise de communication audiovisuelle."
L'interdiction majeure est donc celle qui consiste à reproduire une oeuvre de l'esprit. Plus personne n'a aucun doute à ce sujet aujourd'hui. Copier, c'est contrefaire.
Toutefois, il est également interdit de diffuser ou représenter une oeuvre de l'esprit, mais qu'entend-on par ces termes ?
L'article L.122-2 nous répond : "La représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment :
1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l'oeuvre télédiffusée ;
2° Par télédiffusion.
La télédiffusion s'entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d'images, de documents, de données et de messages de toute nature.
Est assimilée à une représentation l'émission d'une oeuvre vers un satellite."
Donc, diffusion, communication, transmission et représentation sont des termes similaires, si ce n'est que la représentation est le terme le plus large qui englobe tous les moyens de communiquer l'oeuvre au public. Diffuser une oeuvre de l'esprit sans droit est donc une contrefaçon.
Pour résumer jusqu'à maintenant, il est donc interdit de copier et de diffuser (sans autorisation de l'auteur).
Si télécharger une oeuvre sur un réseau P2P est donc clairement illégal, quid du streaming ?
Le streaming d'oeuvres de l'esprit sans autorisation est illégal du côté du streamer, qui est celui qui, par ce biais, communique l'oeuvre au public. C'est un acte de contrefaçon.
Cette évidence, qui ressort de la simple lecture du texte, a été confirmée par le Tribunal de Grande Instance de PARIS qui a jugé, le 19 octobre 2007, à l'occasion de films diffusés en streaming par Google Video "qu'aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque";
Que conformément aux dispositions de l'article L.215-1, alinéa 2, du même Code, "l'autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme";
Attendu qu'il n'est pas contesté en l'espèce que la société ZADIG PRODUCTIONS est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur sur l'oeuvre de Messieurs VIALLET et VERBOUD ainsi que des droits voisins du producteur de vidéogramme ;
Que l'atteinte à ses droits est constituée dès lors que les diffusions successives sur le service GOOGLE VIDEO les 17 avril 2006, 1er décembre 2006 et 23 et 25 mai 2007 sont intervenues sans son autorisation.
Bon, mais qu'en est-il du spectateur ? Ce dernier commet-il également une contrefaçon, rien qu'en regardant ou en écoutant l'oeuvre streamée ?
A ma connaissance, aucun tribunal n'a jamais eu à se prononcer sur la question: Je pense cependant que le spectateur d'une oeuvre de l'esprit diffusée illégalement en streaming commet un acte de contrefaçon, mais non pas parce qu'il regarde ou écoute l'oeuvre, mais parce que le streaming repose sur la copie de l'oeuvre visionnée. Il y a donc reproduction de l'oeuvre au sens de la loi.
On pourrait soulever que cette copie de l'oeuvre est temporaire, qu'elle s'efface au fur et à mesure de la lecture, principe même du streaming. Certes, certes, mais la loi ne considère pas ce point. La contrefaçon implique une reproduction de l'oeuvre, peu importe que vous la conserviez ou pas. C'est le fait de la copier qui est illégal, pas de la garder.
Mais, et si le spectateur interrompt la lecture au milieu du film ? Ou n'écoute que les 10 premières secondes de la chanson ? Devinez quoi ? Je pense que c'est illégal quand même. La copie, même partielle, d'une oeuvre de l'esprit est une contrefaçon, d'ailleurs, l'article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle l'indique expressément.
Mais alors ? Regarder ou écouter une oeuvre diffusée illégalement, s'il n'y avait pas de copie de cette dernière, serait-il légal ? Pour bien répondre à la question, imaginons une technologie qui diffuse l'oeuvre par des ondes qu'un récepteur reçoit et lit sans rien copier, oui, comme la radio ou la télévision d'antan, à cette époque lointaine où les dinosaures marchaient sur la terre et où les disques durs et les mémoires caches ne se trouvaient pas dans tous les appareils.
Eh bien, oui, là ça ne serait pas pareil. Enfin, côté diffuseur, si, c'est pareil, il commet un acte de contrefaçon puisqu'il viole le droit de représentation de l'auteur en diffusant sans droit l'oeuvre au public. Mais côté public, ce n'est plus pareil. Car, à ce jour, seul le spectateur qui copie l'oeuvre commet un acte de contrefaçon. Le seul fait de regarder ou d'écouter passivement une oeuvre de l'esprit diffusée en fraude des droits de l'auteur, sans avoir participé à cette diffusion, ne m'apparaît pas illégal ! C'est ce qui vous permet d'éviter les fourches caudines de la justice si vous assistez par exemple à un mariage et que les organisateurs diffusent des chansons sans verser de droit à la SACEM. Ce sont les organisateurs qui commettent un acte de contrefaçon, pas ceux qui écoutent la musique passivement sans même d'ailleurs savoir qu'elle est diffusée illégalement.
Dire l'inverse reviendrait à ce que le stockage de l'oeuvre dans votre cerveau, sans autorisation de l'auteur, soit illégal. Pour l'instant, nous n'en sommes pas encore là.
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