Bon, tentons l'impossible et essayons de résumer tout cela de la manière la plus factuelle possible. Les canards experts me corrigeront quand je me goure.
Un peu d'histoire
On pourrait remonter très loin, mais je vais arbitrairement commencer tout cela en 1981 avec l'accession au pose de premier ministre d'Andréas Papandréou. C'est à ce moment-là qu'on peut observer l'extension massive d'un appareil d’état clientéliste. Papandréou est l'architecte de la transformation de ce qui n’était qu'une corruption assez chaotique en mécanisme d'horlogerie finement réglé. Des coalitions d’intérêts corporatistes se cristallisent de manière plus ou moins officielle, et le système actuel se met en place. Tous les partis goutent avec joie à cette innovation, et la défaite aux législatives en 1989 ne change strictement rien. Jusqu'à l’élection de 2015 et la venue de Syriza, les deux partis principaux (PASOK = gauche, Nea Democratia = droite) se succèdent au pouvoir à un rythme de métronome en prenant grand soin de ne surtout pas changer le système en place.
Les gouvernements successifs partagent tous la même caractéristique : la mise en avant systématique des calculs politiques et clientélistes à court terme au dépend des intérêt à long terme du pays.
D'un point de vue économique, les années 80 marquent aussi l'envol de la dette publique. Elle était cantonnée aux environs de 20% du PIB jusqu'à présent, elle s'envole désormais, voir schéma ci-dessous. On remarque d'ailleurs ici un tournant, en 1993 avec une dette qui devient infiniment plus raisonnable.
Pourquoi ?
Parce que 1993 marque la signature du traité de Maastricht, qui contient une série de critères de convergence afin de pouvoir postuler à la monnaie unique. Critères que la Grèce avait fichtrement envie de remplir, ce qui signifie qu'à partir de cette date les chiffres officiels indiqués deviennent hautement suspects, ayant très probablement été maquillés façon voiture volé.
Une fois la Grèce entrée dans l'euro, on peut voir une explosion de la dette contractée envers des entités étrangères :
puisque le pays avec l'euro a accès enfin à des facilités d'emprunt et de paiement jamais vues.
La crise
2008, voilà qu'arrive la crise économique découlant de la crise de subprimes de l’année précédente. L’économie grecque est touchée de plein fouet. Elle a toujours été un peu branlante, comptant le tourisme, le bâtiment et le secteur naval comme points forts et ayant une balance commerciale assez nettement déficitaire.
Le secteur du bâtiment plonge comme jamais, le tourisme est touché de plein fouet, les choses vont extrêmement mal. Entre 2009 et 2013, le pays enregistre 18 trimestres de récession successifs. Le camouflage des comptes est révélé au grand jour, la situation est en fait pire que prévue. Les taux d’intérêt auxquels la Grèce peut emprunter sur les marches atteignent des sommets Himalayesques.
La Grèce demande de l'aide et la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international) se forme. Incapable de financer son économie sur les marchés, la Grèce accepte donc le 2 mai 2010 un programme d'aide financière de 110 milliards (80 de l'UE et 30 du FMI). Le but officiel de ce sauvetage était d'aider la Grèce à atteindre la consolidation budgétaire par des mesures d'austérité, et des réformes structurelles pour rendre l'économie plus compétitive (genre évasion fiscale et lutte contre la corruption) et un programme de privatisation qui vise à amasser environ 50 milliards d'ici la fin de 2015.
Officieusement, c'est surtout le moyen de sortir les banques françaises et allemandes de la gadoue dans laquelle elles se sont plantées toutes seules en prêtant comme des folles à l’État grec.
Malheureusement, les mesures d'austérité ont conduit à une récession aggravée et les gouvernements grecs successifs ont été incapables (ou ont plus ou moins volontairement saboté) de mettre en œuvre les différentes mesures d'austérité, dont le fameux programme de privatisation, qui ne permet de récolter que 5 malheureux milliards au lieu des 50 attendus. Bizarrement les mesures qui passent toujours sans problèmes sont celles consistant à augmenter les taxes et impôts. Politiquement cela fait sens, mieux vaux embêter un peu tout le monde que vexer horriblement un groupe de pression/client puissant.
Vu la franche réussite du premier plan, on arrive à la nécessité d'un deuxième plan de sauvetage de 130 milliards, dont un montant 48 Md € pour la recapitalisation des banque grecques. Arrive aussi le fameux haircut de la dette, qui a pour effet secondaire d'appauvrir encore plus les détenteurs locaux de la dette, fort nombreux. En Grèce il existe de nombreux régime d'assurance sociale et d'assurance maladie parallèle. Un pour les ingénieurs, un pour les indépendants, un pour les fonctionnaires, etc...
Toutes ces caisses avaient pour obligations légales d'acheter des obligations grecques, donc autant dire qu'elles étaient massivement exposées.
Cependant malgré l'augmentation du niveau de chômage (plus de 25%) et de la dette publique (plus de 170% du PI
, la Grèce a réussi à obtenir quelques résultats significatifs comme un taux de croissance positif pour 2014 et un excédent primaire, ainsi qu'un retour à l'accès aux marchés financiers en 2014. Le deuxième programme verse sa dernière contribution en Aout 2014, puis devant l'incertitude politique et les faux-fuyants exaspérants du premier ministre d'alors, Samaras, se gèle. En théorie une dernière tranche d'environ 7 milliards devrait encore être versé avant la fin du programme. Il faut bien savoir que chaque tranche d'aide n'est versée qu'après examen de la situation locale par une équipe de la Troika et le feu vert de tous ses membres.
L'incertitude politique est grande en Grèce et des elections ont enfin lieu en janvier 2015, ce qui conduit à un prolongement technique (il faut bien attendre les élections du programme de 2 mois décembre ->février.
Après la victoire de Syriza, le gouvernement fraichement élu demande et obtient une prolongation de 4 mois, jusqu'au 30 juin 2015.
Vous connaissez la suite, ces quatre mois n'ont servi qu'à exaspérer les différents camps, les négociations tournant au désastre permanent.
En résumé
On pourrait former l'opinion que les raisons de la crise prolongée en Grèce et la nécessité toujours renouvelée d'un soutien continu de ses prêteurs est triple :
- les mesures d'austérité imposées, largement inadaptées à la situation
- une mauvaise mise en œuvre de celles-ci par les gouvernements
- les problèmes structurels profonds et complexes de l'économie grecque, dont le moins qu'on puisse dire et qu'il va falloir beaucoup de temps et énormément d'ingéniosité pour pouvoir les résoudre.
Et maintenant ?
Le pays entier est arrêté : l’économie est figée, les banques fermées, les distributeurs de billet bientôt vides (on parle de samedi-dimanche).
La saison touristique est sabordée, et c’était un des points forts de l’économie. Les dégâts sont donc non seulement dramatiques pour le moment, mais ils vont se sentir aussi à long terme, quand bien même tout se résoudrait magiquement aujourd'hui.
La sortie de l'euro et le passage à la drachme, une solution hautement discutable en temps normal (pour de multiples raisons que je n'ai pas vraiment envie d'aborder ici) devient extraordinairement difficile et couteuse maintenant, puisque :
- créer une nouvelle monnaie n'est pas une affaire facile, ne serait-ce que pour obtenir les billets et pièces nécessaires.
Bloomberg estime à au moins 400 millions de dollars le cout du passage et cela prendra du temps. La Grèce n'a ni l'un, ni l'autre
- une monnaie n'est jamais que la représentation de la puissance financière d'un pays. Au fond avoir la même somme en euro, roubles, drachmes ou dollars importe peu, ce qui compte c'est qu'elle permet d'acheter les mêmes choses. Une monnaie ne se crée pas ex-nihilo, elle est d'habitude l’héritière d'une monnaie précédente et partage donc son aura de solidité. Si nouveau drachme il y a, ce sera la monnaie nouvelle d'un pays ruiné. Elle n’héritera pas de la solidité de l'euro, aura une valeur quasi-nulle, et il faudra un temps extrêmement long pour que qui ce soit puisse avoir confiance en elle.
Le "non au referendum" est hautement suicidaire, ne serait ce que pour les raisons pratiques suivantes :
- L'ELA (l'accord de l'ECB qui file du cash aux banques grecques) doit absolument alors être augmenté d'ici lundi (on aura plus de cash d'ici là) mais il n'existe aucune raison pour le faire légalement parlant en cas de "non". Et d'ici mercredi prochain on risque le chaos.
- la Troïka n'acceptera pas rapidement des termes plus favorables pour un troisième programme, il est fort probable que les négociations (s'il y en a) seront extrêmement longues.
- Si accord il y a, les parlements nationaux n'approuveront pas rapidement l'accord
Le "non" est basé sur la narration suivante : le gouvernement grec boosté par le referendum trouvera un accord rapidement et la situation reviendra vite à la normale, les banques rouvriront et le contrôle bancaire sera levé.
C'est de la mauvaise science-fiction.
Pour conclure, non passer à la drachme et rester dans l'euro ne sont pas des solutions équivalentes en termes de sacrifices. Rester dans l'euro impliquera de nouvelles contraintes pénibles, tout cela pour une nouvelle réévaluation de la dette qui n'est qu’éventuelle (alors qu'elle est strictement indispensable). Mais les mesures d’austérité peuvent contribuer à réformer structurellement le pays, bien que ce sera long et difficile. Passer à la drachme sera encore pire et commencera par dévaluer totalement le peu que les habitants possèdent encore, entrainant de gros risques d’instabilité politique du pays et une possible chute de la démocratie.