Il faut savoir parfois exprimer ses élans d'amour, parce qu'un élan d'amour, c'est mieux qu'un cerf de haine ou un renne d'indifférence. Oh je sais, je sais, un type qui ressent un élan d'amour aura forcément, tôt ou tard, une gueule de bois, mais tant pis je prends le risque et je vous fais donc part de l'amour que je porte à nos dirigeants.
Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi je suis content. Comme vous le savez, faire voter des lois qui diront aux citoyens ce qu'il ne faut pas faire, voire ce qu'il faut faire, c'est bien. Prévoir des punitions qui s'appliqueront à ceux qui décident de ne pas respecter les lois, c'est encore mieux.
Mais, le vrai petit plus qui sépare le dirigeant de base d'une démocratie banale, du dirigeant éclairé d'une démocratie post-moderne pré-apocalypse, c'est la peur. C'est chouette de faire peur aux gens vous savez, d'abord, c'est rigolo. Et puis c'est tellement efficace. "Citoyen qui a peur, réforme qui passe dans le beurre", dit le proverbe.
Enfin, il faut que vous compreniez que, dans l'esprit de nos dirigeants, une loi qui fait peur, c'est une loi qui sera bien appliquée, et c'est important, ça. Alors, après, pour bien faire peur aux gens, il existe plusieurs méthodes:
La militaire, qui a ses avantages puisqu'en plus de foutre la trouille, elle apprend aussi aux délinquants à dire "tank you". Mais on s'autorise à penser, dans les milieux autorisés, qu'elle est un peu brutale.
La cérébrale, qui effraye à longueur d'ondes propagandistes, mais qui a le défaut de ces films d'horreur aux trucages mal ficelés, elle donne parfois plus envie de rire qu'autre chose.
Et enfin, la vicelarde, qui consiste à faire peur aux gens, mais sans qu'ils sachent que c'est du bidon, voyez ? C'est une sorte de propagande effrayante, mais bien faite, on ne voit pas que c'est un trucage, tout laisse à penser que c'est vrai. Et mon Dieu, je suis heureux de constater que nos dirigeants ont manifestement choisi cette solution, et en plus, laissez-moi vous dire qu'ils sont doués.
Prenez Hadopi par exemple; voilà une loi minable, prise dans l'urgence, patchée de travers après que le Conseil constitutionnel l'a écharpée, privée de ses décrets qui la rendraient fonctionnelle, moquée par un certain FAI qui a refusé de la suivre et que le gouvernement est obligé de soumettre à la force d'un décret probablement entaché de nullité, bref, voilà un bon morceau de condensé de bêtise humaine. Comment faire peur avec ça ? Comment convaincre le grand public que le piratage c'est caca boudin ? Comment l'effrayer ?
Je vais vous expliquer. Tout d'abord, faites circuler, fin août, plus de 250 000 tracts aux péages des grandes autoroutes de France pendant le week-end où les gens rentreront de vacances, l'esprit reposé et expliquez leur le principe de la riposte graduée, les risques inconsidérés qu'ils prennent à laisser le petit dernier télécharger des oeuvres de l'esprit.
Déjà, moi, j'ai commencé à fouetter. Comment peut-on décider de claquer autant de fric pour faire circuler des dépliants dans la France entière, si ce n'est pour lutter contre un fléau ignoble ? Surtout que c'est une première depuis longtemps ça, que de balancer des tracts à la gueule des vacanciers pour les prévenir qu'une loi a été votée et qu'elle ne va pas tarder à s'appliquer; non vraiment, ça fout les chocottes.
Puis, laissez courir le bruit que, ça y est, Hadopi est en marche et que les premiers mails sont partis. Oh évidemment, les sceptiques bougonneront que c'est idiot, que la loi ne peut pas encore fonctionner, qu'elle est boiteuse, mais laissez planer le doute, cela suffit à diffuser un sentiment d’inquiétude. Puis après balancez l'équivalent d'une bonne vielle porte qui claque ou d'un chat qui saute d'un meuble, en diffusant dans la presse ou à la télévision des commentaires de soi-disant internautes qui ont été pris par Hadopi.
Ainsi, dans le journal métro, un anonyme a expliqué dans le courrier des lecteurs qu'il venait de recevoir son premier mail hadopi, "qu'il ne s'y attendait pas du tout", qu'il pensait que "ça n'arrive qu'aux autres" et que maintenant, promis, juré, "il compte stopper sérieusement". C'est classe ça, mais posez-vous la question: combien connaissez-vous de délinquants qui expliquent dans le courrier des lecteurs d'un quotidien qu'ils se sont fait prendre et qu'ils ne recommenceront plus ? Et combien de journaux qui décident de publier cette confession anonyme ? J'ai bien regardé dans les pages dédiées aux lecteurs des grands médias, et à mon regret, je n'ai pas trouvé de courriers confessant "oui, je me suis fait attraper la main dans un sac de plusieurs milliards d'euros, je suis désolé, on croit toujours que ça n'arrive qu'aux autres, mais promis, juré, je ne recommencerai plus, signé jérome K."
Si le citoyen n'a pas encore assez peur, alors vous faites diffuser un mockumentaire sur une grande chaîne, genre M6 voyez, qui va expliquer, avec force chiffres bidons et explications foireuses sur la mécanique de la loi Hadopi, que attention, ça va faire mal à tous les pirates. Et il ne faut pas oublier, bien évidemment, d'interviewer un internaute qui avouera lui aussi qu'il s'est fait chopper par Hadopi et que, ohlalalala, il ne le fera plus.
Alors, oui, je crie mon amour à ceux qui nous dirigent, bravo et merci, Wes Craven à côté d'eux, c'est un rigolo, j'ai peur, j'ai très peur et j'adore ça.
Pas vous ?
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