L'espace d'un instant, imaginez quevous êtes journaliste dans le monde du jeu vidéo. Pas de bol aujourd'hui, c'est la panne d'inspiration, vous ne savez pas de quoi vous aller parler dans le test que vous devez rédiger. Heureusement,c'est un jeu américain que vous testez, qui plus est un jeud'action. Après avoir avalé une tasse de café, vous savez déjà ce que vous aller reprocher au jeu : sa démesure, son côté outrancier.
C'est une ficelle usée, mais avec unpeu de chance, elle passera inaperçue ou même, sera applaudie parvos lecteurs. Mais, alors que vous commencez à écrire votre texte, un petit ange, de ceux que l'on voit apparaître dans les cartoons, se matérialise et vous dit : « Allons, fais attention, tute laisses piéger par la tentation de la facilité. Crois-tu vraiment qu'user de démesure ou d'exagération soit forcément une mauvaise chose ? T'es-tu jamais posé la question ? Et cette démesure, quels sont les éléments qui permettent de l'identifier ? La violence, les gerbes de sang, les musiques orchestrales ? La démesure existe dans de nombreux arts, et elle peut s'avérer créatrice. »
Ce journaliste, originaire du pays del'utopie, m'a chargé de vous transmettre ses interrogations. Doit onblâmer l'outrancier dans les jeux à grand budget ? Dans ledernier Canard PC, il était reproché aux développeurs du prochain Battlefield de promettre un jeu réaliste, tout en présentant une campagne solo qui rassemblait tous les ingrédients hollywoodiens« grand-guignolesques » propres aux FPS guerriers.
C'est oublier un instant qu'il existe une convention tacite, implicite entre le conteur et son auditoire, qui accepte de « faire semblant » de croire à ce qu'on lui raconte. Au Moyen-Age, les saltimbanques et autres ménestrels n'avaient de cesse d'annoncer que leurs histoires étaient vraies, alors même qu'il s'agissait de récits de batailles amplifiés, exagérés, et que le merveilleux enveloppait de son manteau l'aride réalité. Par définition, dans le registre épique, l'on trouve des« héros hors du commun aux prises avec des situations extraordinaires ».Mac Tavish, Riley et autres Ramirez ne sont rien d'autres que les Achille et les Hector de l'épopée moderne.
Les tanks, les avions et même les soldats ennemis, peuvent se comparer aux créatures terrifiantes qu'affrontent les grands héros grecs. Et la possibilité de déclencher des frappes aériennes ? Rien de plus que la manifestation tangible du soutien que les dieux, ou plutôt, « Dieu »apporte à ceux qui sont élus.
Là où Charlemagne pourfend plusieurs dizaines de Maures, le soldat américain explose au fusil à pompeles terroristes retranchés dans une cabane isolée.
Reprocher à un jeu de guerre de se prétendre réaliste, c'est un peu comme blâmer un acteur parce qu'il prétend, le temps d'une pièce, être quelqu'un d'autre.Interagir ou assister à un récit implique ,l'espace d'un moment, un jeu sur la distanciation entre le fictif et le réel
Bien entendu, si on vous raconte sans arrêt la même histoire, vous allez finir par vous lasser, et en cela je suis d'accord sur le fait que les FPS de guerre peinent à se renouveler. Peut-être faut-il se mettre en quête de nouveaux artifices pour mettre en scène l'épique, le grandiose.
Un jeu de guerre qui fait dans l'excès est simplement un jeu de guerre "épique".