Jusqu'à récemment, il était difficile de causer des séries françaises sans sortir les réserves de grenades à caca : images bâclées, acteurs à deux balles et (surtout) dialogues consternants régnaient sans partage. Sous l'impulsion des séries américaines, et en particulier celle donnée dans les années 90 par la chaîne à péage HBO, on dirait que les télévisions françaises ont réalisé que la qualité pouvait s'avérer payante : image de marque, fidélisation des spectateurs et revenus de la revente à l'étranger, les bénéfices sont multiples à condition de voir à moyen et long terme. En première ligne de ce renouveau, il y a évidemment Canal Plus dont le modèle économique est proche de celui d'HBO : dépendant des abonnements et non de la publicité, la chaîne n'a pas besoin de plaire au plus grand nombre, en tout cas pas en permanence, et peut donc prendre quelques risques.
Diffusée pour la première fois en 2005, la série "Engrenages" fait partie de cette nouvelle vague de la fiction TV française et ma foi, c'est plutôt une bonne surprise. On s'y intéresse au fonctionnement d'une enquête policière du point de vue de la Justice, par exemple la façon dont s'organise le travail des policiers en relation avec le juge d'instruction et le procureur, et le rôle déterminant de ces derniers face aux mouches du coche que sont parfois les avocats.
Coté scénario, on est plutôt dans le bon. Chaque saison présente une enquête principale courant sur plusieurs épisodes (argent sale, sexe et politique en saison 1, ou trafic de drogue en saison 2) et de petites affaires qui peuplent la vie quotidienne des personnages au sein d'un épisode. A un parti pris de réalisme au niveau de la "procédure" s'ajoute un ton assez pessimiste, les différents "acteurs" du système (policier, substitut, juge et avocat) faisant à l'occasion leurs petits compromis personnels entre la loi et l'efficacité, entre les grands principes et les nécessités d'une carrière. Pas de manichéisme, pas de personnage parfait, et des dialogues qui ne sortent pas des tacherons parcheminés qui hantent les caves de la télévision de grand-papa, bref ça nous change de Navarro. Evidemment, ce n'est pas parfait, en particulier dans la première saison : certaines situations sont construites à la truelle ébréchée (le policier toxico), d'autres manquent de vraisemblance (les relations entre le substitut et son ami magouilleur). Mais l'ensemble est d'un calibre suffisant pour que je pardonne et la seconde saison évite la plupart des fautes de goûts.
D'autant que la distribution est une vraie réussite : à l'image de la série plus récente "Reporters", le casting s'est pas mal concentré sur le vivier des acteurs de théâtre. Du coup, non seulement les visages ne sont pas archi connus mais en prime, la qualité grimpe d'une dizaine de crans : bravo à Caroline Proust, la capitaine de police, juste de bout en bout, mais aussi à quantité de seconds rôles impeccables. Si on ne devait retenir qu'un seul mérite aux séries comme "Engrenages", "Reporters" ou "La Commune", ce serait certainement d'avoir permis la découverte d'une bonne dizaine de jeunes (et moins jeunes) acteurs français qu'on reverra à coup sûr.
Le parti pris sur le traitement de l'image, qui consiste à désaturer les couleurs tout en augmentant fortement le contraste, donne aux deux saisons une ambiance dure à dominante métallique. Le reste de la réalisation ne m'inspire pas de commentaires particuliers, sinon un soulagement lorsque sont peu à peu abandonnés les tics trop outrageusement empruntés aux séries américaines (caméra secouée sans raison, zooms gratuits sur des éléments de décors, travellings avant rapides, etc.). De ce point de vue, je trouve la deuxième saison bien mieux maîtrisée.
Au final, "Engrenages" est une bonne série policière qui, dans ses meilleurs moments, m'a fait penser à l'excellent "L.627" de Bertrand Tavernier. Pas de quoi fouetter un chat ou se rapprocher, même de loin, de "The Wire / Sur Ecoute", mais un niveau de qualité agréable qui fait penser aux bonnes productions de la BBC, genre "State of Play / Jeux de pouvoir". Autrement dit, si vous ne jurez que par "24 heures chrono" ou "Les Experts", pendez-vous passer votre chemin.
Une troisième saison d'Engrenages étant en production, on aura sans doute l'occasion d'en reparler. Reste un regret : des coffrets DVD trop chers (30 euros les 8 épisodes, ça va pas la tête ?!) et dépourvus de bonus dignes de ce nom (yaourto-lapidation pour les soit-disant bonus de la saison 2, pathétiques). Ils voudraient encourager le piratage qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.
Une série TV de Canal Plus en DVD, produite par Son et Lumière, 2 saisons de 8 épisodes, 30 euros environ la saison.
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