Alors, j'ai tout lu correctement, je crois, et essaye au mieux de reprendre l'ensemble du dossier. (La nuit a été longue, j'ai pu rater des choses
)
Déjà, oui, pour le paragraphe 2.4, tu as tout à fait raison. J'avais regardé trop rapidement hier soir, ça n'a rien à voir avec une quelconque clause d'exclusivité limitée dans le temps. Quoique...on va revenir dessus, mais mon acception première était en effet erronée. CIG pouvait finalement se sortir de cette relation contractuelle relativement facilement, j'ai l'impression. La résiliation est assez simple en droit US.
Rentrons dans le vif du sujet : Je ne pense pas que CIG puisse vraiment être inquiété par ces poursuites. Il y a néanmoins certains points d'achoppement discutables, nous allons sûrement débattre à leur propos. L'argumentaire de CIG est assez solide par contre, ils font jouer des éléments irréguliers de procédure, de qualification, ou de fondement juridique manquant pour agir, pour contrer certaines allégations contenues dans la plainte de Crytek. Plusieurs de ces demandes n'arriveront sans doute jamais au stade de l'audience publique, s'il y en a une. D'autres points pourraient s'y frayer un chemin, là encore on pourra argumenter. Gardons bien sûr à l'esprit l'origine de la chose, ce sont les conclusions présentées par CIG et qui sont forcément partisanes. En tout cas leurs conclusions sont juridiquement bien plus carrées que celles de Crytek. Le ton est en outre agressif, comme de juste (ils sont prêts à contre-attaquer en diffamation sur certains points). Et enfin ils publient l'intégralité du GLA (sauf la section 3 et un alinéa 6.3), ainsi que les avenants au GLA venant amender certains passages, donc ils s'appuient sur du concret et ne cachent presque rien...
Niveau procédure, c'est la juridiction californienne qui est compétente par clause de compétence et en raison de la personne du défendeur. C'est la Cour de District Californienne (LA) qui est actionnée en premier ressort et qui devra statuer en droit des contrats et par interprétation du Federal Copyright Act. La demande introductive de Crytek est faite, désormais c'est CIG qui présente une demande reconventionnelle. On rentre en période dite de divulgation, où les parties s'envoient cordialement des conclusions interpellatives à la figure et où les documents sortent, constituant ainsi le dossier de la Cour et obligeant chaque partie à recadrer ses demandes. CIG demande en outre que soient déclarés comme irrecevables le conflit d'intérêt, la mise en cause de RSI et aussi la qualification même de "intentional contract breaching" ( Crytek soutenant l'intention frauduleuse, faisant la différence entre application du "contract", simple droit des contrats, ou du "tort", qui lui peut ouvrir droit à indemnisation d'un préjudice au-delà du simple droit des contrats), selon eux non fondés au regard du droit positif US ou ne s'appuyant sur aucun élément de preuve suffisant dans la demande introductive de Crytek (les lois sont mises en avant, de très nombreuses jurisprudences sont citées en appui de l'argumentaire, dont certaines énormes, notamment des affaires impliquant Blizzard et Microsoft, des compagnies de cinéma...Bref, Freyermuth est dans son élément). L'audience du 9 février 2018 est donc très certainement une demande en référé (non publique, préalable à l'audience véritable) visant à préalablement faire débouter Crytek de plusieurs de ses moyens par le juge.
Maintenant (de mon petit point de vue), voici les éléments pertinents du GLA initial (signé le 20/11/2012) et du seul avenant qui a été ajouté et qui vient remplacer certaines clauses d'origine (avenant du 04/11/2014). Pour mémoire, l'annonce officielle du passage au Lumberyard est datée du 23 décembre 2016 :
GLA INITIAL ET RAJOUT DES AMENDEMENTS (pour avoir les différences sous les yeux, mais elles ne sont pas forcément très marquantes) :
2.8 à 4.9 : De 2.8 à 4.9, c'est l'apposition des logos ou mentions copyrightées sur le jeu durant la durée de l'engagement, puis les services, supports ou options supplémentaires que Crytek va apporter à CIG. Avec en retour les bug reports...etc. Ca, on a déjà abordé la question, à moins d'être dans les rouages informatiques de CIG, on ne sait pas ce qu'il en est. Pour le reste, le copyright, apposer les logos, si la relation contractuelle entre Crytek et CIG est résiliée, ils n'ont plus à le faire. La date exacte d'arrêt de l'utilisation de ce moteur, la date exacte de résiliation du contrat, comment s'est fait le transfert, s'ils ont encore utilisé le moteur et ses outils ou pas après coup, respecté les 20 sessions de tests conjoints ou Q/A communs, fait rétrocession d'outils nouveaux venant en amélioration du CryEngine, on n'en sait rien et s'il y a jugement, ce sont des informaticiens experts qui seront mandatés pour le dire. La section 7.3 semble quand même bien couvrir CIG sur ce sujet, mais bon... Autant passer donc.
5 à 5.9 : La section 5, c'est le paiement : Je vous fais grâce des quotes sans fin, mais en gros : CIG doit au total
1.850.000 € pour utiliser le moteur et sortir le jeu sur l'ensemble des plates-formes citées plus haut, si toutefois la relation devait durer jusque là (incluant la license d'utilisation et un forfait à 1.250.000€ couvrant les royalties).
C'est Peanuts !!! Ils étaient sans doute déjà trop dans les cordes pour pouvoir négocier un pourcentage sur le CA concernant les royalties, et vous verrez plus bas que le montant d'une éventuelle réparation se limitera, en dehors d'éventuels D&I supplémentaires, à ce montant maximal (6.1.4), s'ils ne l'ont pas d'ores et déjà touché en intégralité lors de la rupture du contrat (vous avez accès à un tableau des dépenses effectuées par CIG quelque part? ca accréditerait une rupture ou fin de contrat sur la fin 2016).
Revenons à nos moutons : Ladite somme se répartissant dans le temps comme suit :
- 250.000€ à régler avant le 30/12/2012
- 700.000€ sous forme de paiement intermédiaire (350k licence moteur, 350k royalties) entre 2012 et 2014.
- 400.000€, uniquement des royalties, au moment de la première "public release" (cf. paragraphe 1.5) ou au plus tard le 01/07/2014.
- 250.000€, uniquement des royalties, pour le 01/07/2015.
- 250.000€, uniquement des royalties, pour le 01/07/2016.
Chose intéressante, le décompte s'arrête à 2016 (le reste ce sont quelques options facultatives). Terme prévisionnel initial du contrat de GLA? Rupture logique ou non renouvellement à ce moment là? On retrouvera bien les dates, mais là aussi ça tendrait à appuyer le fait que la relation s'est terminée selon les termes du contrat.
En comparaison avec les chiffres rapportés quelques pages en arrière et reprenant les rentrées d'argent sur 2015 et 2016, c'est sûr que Crytek doit l'avoir mauvaise au regard de la montagne de blé, des dizaines de millions de dollars accumulés chaque année par CIG. Heh, c'est bien sûr dommage car des emplois sont en jeu, mais tant pis pour Crytek, ils n'avaient qu'à mieux négocier le contrat qu'ils ont signé librement. Surtout qu'ils ont quand même un moteur de qualité.
La section 6 est en rapport avec ce qui précède et elle est importante : Ce sont les limitations de garantie et de responsabilité (ce genre de clause dite "pénale" ou limitative de responsabilité est tout à fait valable dans un contrat passé entre deux professionnels de la même branche : Cela relève de la liberté contractuelle).
C'est très bien ficelé.
Voilà ce que je retiens de vraiment important dans le GLA, pris dans sa globalité. Le reste du document, les points 9 et 10, les annexes, c'est de la coopération pour les annonces de presse, l'agrément des sous contractants de CIG, une licence connexe pour Autodesk, rien de primordial pour le dossier. Le seul point vraiment important c'est l'annexe 2 reprenant le produit "star citizen", tel que désigné pendant la vie du contrat :
Au final, à la lecture de ces éléments, on voit que certains points peuvent être discutables, mais globalement je rejoins ce qui est dit dans pas mal d'endroits, c'est que le point 6.1.4, la clause limitative de responsabilité, qui est valable, peut potentiellement éteindre quasiment toutes les prétentions de Crytek (à supposer qu'il n'y a pas eu volonté effective de frauder mais honnêtement je ne le pense pas. Tout au plus un peu de négligence au moment de passer d'un moteur à l'autre, quelques trucs qui traînent, mais cette simple négligence est couverte par la clause pénale). Le paiement intégral des sommes qui étaient dues par CIG, qui a probablement été effectué, couvre également cette clause pénale et limite fortement le risque financier potentiel en raison d'un éventuel procès. D'autres clauses peuvent être considérées comme très limite, voire abusives en droit des contrats, comme par exemple la 8.3 qui prétend pouvoir conserver des obligations contractuelles à la charge de CIG alors que l'accord global est désormais éteint. Vouloir conserver un droit qui va durer pendant la "life of the game" (cf définition de l'alinéa 1.2, qui rentre en contradiction avec elle-même et avec d'autres sections du contrat), alors que le contrat est mort, c'est quand même assez abusif. La plupart des obligations meurent fort logiquement avec le contrat. L'accessoire suit le principal. Sur le chapitre de la résiliation, de la fin ou du non renouvellement du contrat, on voit clairement qu'il y a plusieurs portes de sortie qui sont à disposition de CIG, presque à tout moment de la relation. Et que les dates, la chronologie des faits et l'échéancier prévisionnel du contrat, en particulier en 2016, semblent indiquer que CIG n'a simplement pas souhaité renouveler ce GLA. (vous me reprendrez en cas d'erreur). Si le contrat est arrivé à son terme et n'a pas été renouvelé, ils se libèrent. Une réclamation ou un CryEngine devenu non conforme aux attentes, ils se libèrent. Crytek en pleine panade financière, ils se libèrent. Je ne vois pas trop quel aurait été l'intérêt pour eux de "breach" le contrat de façon frauduleuse alors qu'il est globalement très bien rédigé pour eux...Le juge va le voir immédiatement.
Revenons maintenant sur les allégations principales de Crytek :
On peut écarter très rapidement les points subsidiaires qui n'ont aucune chance de passer l'étape du référé :
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Le conflit d'intérêt avec Freyermuth : On ne dispose pas dans le dossier d'une copie de l'écrit le libérant (je crois pour le moins avoir tout vu), mais on peut légitimement penser qu'il est très au-dessus d'une telle erreur et que cet écrit existe bel et bien (par exemple les avocats de CIG demandent par conclusions interposées pourquoi Crytek ne retire pas le moyen du conflit d'intérêt alors qu'ils ont présenté une copie de l'écrit passé entre Crytek et Freyermuth et libérant ce dernier. C'est sûrement ajouté au dossier de la Cour. Pour l'instant, Crytek ne change rien sur ce point mais si la juge valide ce document, les règles Fédérales 7, 11 et 12 de Procédure Civile US l'obligeront à écarter ce moyen lors du référé).
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La mise en cause de RSI dans le dossier. Comme souligné, RSI n'est pas signataire du GLA, c'est une tierce partie qui ne peut donc être actionnée pour non respect des obligations contractuelles issues de cette convention. Malgré la combinaison des paragraphes 2.4 (le fameux) et 1.1, qui pourraient toutefois prêter à confusion : RSI est sans aucun doute un "affiliate", mais n'est pas signataire et n'est pas référencé comme partie prenante au contrat. Le droit positif US, comme le nôtre, est très clair là-dessus : "Under California law, a plaintiff cannot maintain a breach of contract claim against an entity who is not a party to the contract”. C'est l'affaire Barnhart v. Points Dev. US Ltd., No.16 Civ. 2516, 2016 WL 3041036, at *3 (C.D. Cal. May 25, 2016).
Pour les points plus discutables :
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Cette interprétation autour de la notion "d'exclusivité" (section 2) : "
Crytek grants to Licensee a world-wide,
license only -
to non-exclusively develop, support, maintain, extend and/or enhance CryEngine such right being exclusive only with respect to the Game;
To exclusively embed CryEngine in the Game and develop the Game". C'est vrai que ça peut clairement s'entendre comme un droit exclusif et non une obligation. C'est d'ailleurs l'acception généralement établie aux US.
Merriam-Webster defines the word as permission to act or freedom of action. See “License.” Merriam-Webster.com. Merriam-Webster, n.d. Web. 20 Dec. 2017; see also Cal. Civ. Code § 1644 (“The words of a contract are to be understood in their ordinary and popular sense, rather than according to their strict legal meaning; unless used by the parties in a technical sense, or unless a special meaning is given to them by the usage, in
which case the latter must be followed”). Et aussi Cal. Civ. Code § 1655 (“Stipulations which are necessary to make a contract reasonable, or conformable to usage, are implied, in respect to matters concerning which the contract manifests no contrary intention.”). Le point de vue Doctrinal et les dispositions du Code Civil californien concernant le droit général des contrats.
The Ninth Circuit (le regroupement des 15 cours de district du Sud Ouest des USA sous la houlette de la Cour d'appel Fédérale dite du "ninth circuit") recognizes that “the essence of an ‘exclusive’ license under the Copyright Act is that ‘the copyright holder permits the licensee to use the protected material for a specific use and further promises that the same permission will not be given to others.”
Affaires Minden Pictures, Inc. v. John Wiley & Sons, Inc., 795 F.3d 997, 1005 (9th Cir. 2015) (quoting I.A.E., Inc. v. Shaver, 74 F.3d 768, 775 (7th Cir. 1996).
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La séparation des deux produits, si séparation il y a vraiment eu sous l'empire du GLA : Déjà, il faudra mettre ça en rapport avec les dates, date de fin de contrat puisque après ça CIG peut bien faire ce qu'il souhaite de son produit qui reste sa totale propriété en passant sur Lumberyard, dont l'annonce officielle date de fin 2016 (regardez également le paragraphe 7.3, il vient en contradiction avec le 1.2, le 8.1 ou le 8.2, le 6.1.4, bref, il y a des portes de sortie partout) date de séparation de SC/S42, si toutefois cette séparation existe vraiment et que les produits ne sont pas conjointement accessibles "through the Star Citizen game client". Les deux jeux peuvent être considérés comme en interaction avec "the main Star Citizen Game" puisqu'ils abordent tous deux le même univers. date de création de nouvelles entités ou structures gérant ce ou ces produits, sachant que l'alinéa 2.5 rappelle que le "Licensee may assign this License to Affiliates", date de mise en avant de ce fameux "Star Engine"... Il y aurait matière à discuter, certes, mais ça ne va pas aller bien loin.
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La validité de la clause limitative de responsabilité de l'alinéa 6.1.4, que semble à tout prix vouloir dénoncer Crytek : CIG sort une pelletée d'arguments et de jurisprudences abondant dans leur sens :
Cal. Civ. Code §1639 : “When a contract is reduced to writing, the intention of the parties is to be ascertained from the writing alone, if possible”.
Selon les dires de CIG sur ce point, le Droit américain fait clairement la différence entre le "contract" et le "tort". Ce que Crytek ne ferait pas. Ces derniers voudraient attaquer sur la base d'une simple rupture contractuelle abusive en appuyant sur le "tort", donc en soulevant l'intention frauduleuse de CIG lorsque ces derniers se sont dégagés du contrat. En droit US, une partie qui va se dégager normalement d'une convention (par la survenance du terme, par résiliation simple ou un non renouvellement) va traditionnellement bénéficier d'une présomption de neutralité dans sa motivation. Si cette rupture occasionne un dommage, ce dommage sera réglé selon les termes civils du contrat, s'ils existent (6.1.4). A moins de vraiment prouver l'intention frauduleuse et la fraude.
"The California Supreme Court has held that, outside the insurance context, a claim for an “intentional” or “tortious” breach of contract may lie only when : (1) the breach is accompanied by a traditional common law tort, such as fraud or conversion; (2) the means used to breach the contract are tortious, involving deceit or undue coercion or; (3) one party intentionally breaches the contract intending or knowing that such a breach will cause severe, unmitigable harm in the form of mental anguish, personal hardship, or substantial consequential damages."
Erlich v. Menezes, 21 Cal. 4th 543, 553–54, 981 P.2d 978, 984 (1999).
Cependant, CIG n'a pas entièrement raison sur ce point et prend en exemple quelques arrêts qui ne sont pas représentatifs de toute la jurisprudence, qui va bien sûr avantager la volonté des contractants avant tout (c'est le principe du "benefit of the bargain"), mais aussi vérifier s'il n'y a pas un préjudice particulièrement injuste ou inéquitable qui résulterait d'un manquement à la loi. d'une intention frauduleuse ou d'une fraude que le demandeur devra prouver. Cependant, là où ils ont raison, c'est que la volonté des parties sera érigée en principe primaire, comme chez nous : L'ancien article 1134 du Code Civil, devenu l'article 1103, dispose que " Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits". Tant que ceux-ci respectent l'Ordre Public et les Bonnes Mœurs. Le principe est très semblable.
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Le non affichage des logos et copyrights Crytek/Cryengine après la fin de leur relation : Pas grand chose à dire, ils sont sur Lumberyard et non plus sur CryEngine.
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Quant à la demande de dommages et intérêts supplémentaires, en dehors et au-delà de la clause contractuelle 6.1.4, sur la base d'un éventuel préjudice subi concernant la rupture contractuelle ou les copyrights :
Slottow v. Am. Cas. Co. of Reading, Pennsylvania, 10 F.3d 1355, 1361 (9th Cir. 1993) : “Punitive damages aren’t available in California for simple breaches of contract, no matter how willful”.
Saregama India Ltd. v. Young, No. 02 Civ. 9856, 2003 WL 25769784, at *1 (C.D. Cal. Mar. 11, 2003) : “Punitive damages are not available under the Copyright Act".
Riedel v. JP Morgan Chase Bank, N.A., No. 13 Civ. 1146, 2015 WL 12657068, at *2 (C.D. Cal. Apr. 3, 2015) : "dismissing claim for punitive damages where sole remaining claim was for breach of contract".
Je ne veux pas sembler partisan, d'autant que certaines parties de la rédaction prêtent bien volontiers à discussion, mais je reconnais que la lecture du contrat fait ressortir un avantage certain pour CIG. De même sur les arguments juridiques. Niveau technique, sur le fait de savoir s'ils avaient encore par négligence ou omission (ce qui n'ouvre pas forcément droit à des dommages et intérêts au regard du contrat) certains bouts de code ou certains outils du CryEngine...A notre niveau c'est impossible à dire.