Bon, je vous le dis : il est impossible de penser à la fois en termes d'Internet et de Droit. Non, vraiment, ça rend fou ; N'essayez pas ça ne sert à rien. Ça fait des années que je m'efforce de concilier ces... Pardon ? J'ai déjà fait cette intro ? Ah zut, je me répète. Je me répète. Je me... Pardon ? On a compris ? Ah oui, désolé, mais que voulez-vous, je deviens laxiste et je cède à la facilité de la répétition. C'est à la mode aussi. Tout le monde est laxiste aujourd'hui. Tenez, prenez certaines informations, elles sont répétées en boucle dans l'actualité sans que personne ne s'interroge vraiment sur ce qui est dit. Et le pire, c'est que ça a des conséquences en droit. Vous voulez un exemple ? Ok, ok ça vient, on a cinq minutes quand même, non ? On n'est pas sur MTV, ce n'est pas un clip de droit. Génération d'impatients va.
Bon, prenons la nouvelle qu'on trouve partout sur internet ces derniers jours. Il paraîtrait, ma bonne dame, que deux Anonymous ont été placés en garde à vue, mardi 2 octobre, par l'Office central de lutte contre la cybercriminalité, rapport à l'enquête qui était menée sur le piratage de l'intranet du Ministère de la Justice. Un hacker avait dérobé un fichier contenant 1500 e-mails et mots de passe en clair de fonctionnaires de la justice, ce qui aurait permis aux vilains pirates de pénétrer l'intranet du Ministère et d'y piquer des textes de loi en préparation pour les livrer au grand public. Et il a donné des infos sur Facebook à un autre copain hacker. D'un point de vue juridique, cette information est a priori banale. On connaît la musique :
- l'article 323-1 dispose que "Le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende." Et, "lorsqu'il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende". Enfin, cet article précise que "Lorsque les infractions prévues aux deux premiers alinéas ont été commises à l'encontre d'un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 € d'amende".
- L’article 323-2 ajoute que "Le fait d'entraver ou de fausser le fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende", précisant également que "Lorsque cette infraction a été commise à l'encontre d'un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l'Etat, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende."
- Tandis que l’article 323-3 précise que "le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende". Et comme toujours, il ajoute que "Lorsque cette infraction a été commise à l'encontre d'un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende.".
Donc si je me contentais de faire comme tout le monde, je terminerais cette news par une pirouette verbale dont j'ai le secret et, repus de cette bouillie informative, vous partiriez sans aucun gaz à l'âme, je dirais même plus, vous partiriez l'âme en pet.
Mais non, rien à faire, personnellement quand je lis ces news, je m'interroge sur un truc : hormis le fait que le hacker a pu utiliser Facebook pour faire passer une info à un autre hacker, ce qui me paraît douteux, je ne comprends pas pourquoi on clame partout que ce sont deux Anonymous qui ont été arrêtés. Et comment sait-on que ce sont des Anonymous d'abord ? De tous les articles que j'ai lus, aucun ne s'explique sur cette appartenance du hacker principal à ce groupe mystérieux. Et pour cause, réfléchissez un peu. Les Anonymous, par essence, et ce n'est pas Vin Diesel qui me contredira, ne forment pas un groupe structuré. Il n'y a pas vraiment de leader et, en tous les cas, les mecs se cachent derrière des pseudos et un masque de Fawkes.
Je pose donc la question : quelle preuve peut-on avoir que le hacker qui a pu rentrer dans la base de données du Ministère fait bien partie des Anons ? Peut-être se vante-t-il d'en faire partie, mais après tout, moi aussi je peux dire que je suis un Anon. Qui va me contredire ? Ce n'est pas un groupe qui impose un droit d'entrée à ses membres. Il n'y a pas de rituels secrets à accomplir, on n'est pas chez les franc macs ici, pas de poignée de main secrète pour se repérer. En fait, tout hacker peut se franchiser Anonymous et bénéficier instantanément de leur notoriété.
En réalité, c'est bien de ça dont il s'agit, les Anonymous, sont une franchise de l'anarchie. N'importe qui peut se prétendre Anons et ça fait peur et ça excite les médias. Mais qui est vraiment un Anonymous ? Tout le monde et Ulysse. Enfin Personne quoi. D'ailleurs, ça porte bien son nom hein, les membres sont anonymes. Par conséquent, je le répète, pourquoi lit-on partout dans la presse qu'un Anonymous a piraté le Ministère de la justice et qu'il a donné des infos à un autre Anonymous ? Par laxisme sans doute. Parce que l'un d'entre eux doit se vanter d'en faire partie et que personne ne vérifie l'info. Parce que, peut-être, que le hacker ne s'est même pas vanté et que pour les médias aujourd'hui, hacker est synonyme d'Anonymous. Peut-être aussi parce que les Anonymous, les vrais, ont revendiqué cette attaque pour se faire de la pub, alors que le hacker en réalité ne fait pas partie de ce groupe.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi je m'énerve comme ça. Si se faire frissonner avec la version moderne du S.P.E.C.T.R.E amuse les médias pourquoi pas ? Ben parce que toute cette affaire a une conséquence juridique très importante. Déjà un hacker, seul, qui pirate dans son coin le Ministère de la justice et qui en parle à un autre pote hacker ou qui lui donne des infos, c'est déjà grave (je vous ai rappelé plus haut les conséquences). Mais un hacker, qui fait partie d'un groupe de hackers reconnus de dangerosité publique, alors là attention il risque beaucoup plus gros.
C'est que l'article 323-4 du Code pénal dispose que "la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs des infractions prévues par les articles 323-1 à 323-3-1 est punie des peines prévues pour l'infraction elle-même ou pour l'infraction la plus sévèrement réprimée". Dooonc un hacker isolé risque, puisqu'il s'agit d'un site mis en œuvre par l'Etat, entre cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 € d'amende et 7 ans de taule/100.000 € d'amende. Mais ce n'est qu'un risque. Un bon avocat peut le réduire considérablement et permettre à son client d'écoper d'une peine nettement moins lourde. Il peut obtenir la clémence du juge. Tandis que, si le hacker fait partie des Anonymous, il a droit à l'infraction la plus sévèrement réprimée, donc 7 ans de prison/100 000 € d'amende ; et le juge sera bien moins enclin à la sympathie. Il aura la main bien plus lourde, puisqu'on a affaire à un membre d'une organisation réputée très dangereuse. Le dossier de ce hacker se présente donc très différemment selon qu'il fait vraiment partie ou non des Anons.
Et il en va de même pour son copain à qui il transmet des infos. Lui, s'il fait partie des Anons, il peut aussi écoper de la peine maximale de 7 ans de taule/100.000 € d'amende (puisqu'il fait partie d'un groupe établi en vue de la préparation d'acte de piratage) alors que s'il est isolé, il risque moins. Déjà, il n'a commis aucun acte de piratage direct. Il n'est probablement même pas complice. Il est sans doute receleur d'informations obtenues illégalement. A ce titre et selon l'article 321-1 du Code pénal, qui dispose que "le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit", il risque cinq ans d'emprisonnement et 37 500 euros d'amende.
5 ans/37500 € d'un côté, 7 ans et 100.000 € de l'autre, ce n'est quand même pas pareil. Et ici également, la clémence du juge sera plus difficile à obtenir s'il fait partie d'un groupe menaçant ; nul doute que, dans ce cas, sa peine colle de près au maximum encouru.
Moralité: D'une, se vanter de faire partie des Anonymous c'est dangereux pour la santé quand on est un hacker. De deux, il ne faut surtout pas confondre hacker et Anonymous. Les Anonymous sont un groupe et, de ce fait, ils ont un traitement spécial dans le Code pénal. Ne parlons pas d'eux tant que nous ne sommes pas certains de la véracité de l'information. Et comme c'est une information très difficile à vérifier (puisqu'ils sont anonymes par essence... eh, oh, je sais bien que le carburant est cher, mais suivez un peu quand même), il faudrait dire, à la limite, si c'est bien le cas, que le hacker se vante d'être un Anonymous ou que le groupe Anonymous prétend se revendiquer du forfait commis par le hacker. Mais pas qu'il est un Anonymous, comme si c'était une information avérée.
Merci pour son avocat.
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