Maurice Vian, mon voisin de palier, me le disait encore récemment, "quand la police est sur les dents, c'est celles des autres, évidemment". Je le soupçonne d'être membre de ce mouvement présent sur le Net, copwatch, qui s'est donné pour mission de photographier ou filmer les policiers dans nos rues afin, je cite "de nous protéger des violences policières."
Le ministre de l'Intérieur, Claude Béant, ému de voir que des policiers pouvaient ainsi être identifiés et diffamés par le biais de ce site, a saisi la justice pour le voir fermer.
Et, par jugement du 14 octobre dernier, le Tribunal de grande instance de PARIS en état de référé, a fait injonction à tous nos FAI de mettre en oeuvre ou faire mettre en oeuvre, sans délai, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au site https://copwatchnord-idf.org/” - (blocage par IP ou blocage par DSN)- et ce jusqu’à ce que soit rendue une décision définitive statuant sur les deux plaintes déposées le 4 octobre 2011 par le ministre de l’Intérieur contre X pour injures et diffamation envers des fonctionnaires de police et l’administration.
Le tribunal a également dit que Monsieur Claude GUÉANT, agissant en qualité de ministre de l’Intérieur, devra rembourser aux FAI les coûts afférents à la mesure de blocage du site sur présentation par elles des factures correspondantes.
En résumé, le Tribunal a considéré que les propos tenus par le site au sujet de policiers, dont l'identité était parfois révélée, étaient injurieux et diffamatoires et que des données personnelles (noms, lieux d’affectation et photographies de fonctionnaires de police) ont été collectées à l’insu des personnes concernées et portées à la connaissance des internautes, ce qui constitue une violation de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978.
Et si le tribunal a ordonné que les frais afférents à cette mesure de blocage d'un site soient remboursés aux FAI, c'est en considération du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, la justice estimant que ce principe interdit de faire supporter aux fournisseurs d’accès -qui ne sont en rien responsables et auxquels il est demandé de prêter leur concours au respect de la loi- le coût généré par la mise en oeuvre d’une mesure justifiée par l’intérêt général.
Eh bien, mes amis, cette décision me fait de la peine. Non pas au regard de ce qu'elle décide –je n'ai aucune envie de donner mon avis sur la question de l'intérêt ou pas de copwatch– mais plutôt en ce qu'elle confirme, une fois de plus, l'écrasante impuissance des Tribunaux face à un délit commis par Internet.
Parce que, tout d'abord, le site copwatch est toujours parfaitement accessible. Ensuite parce que, de toutes les façons, 34 sites miroirs sont déjà en place, ce qui fait que même lorsque le site sera bloqué, l'information sera toujours présente sans aucun problème. Et pour bloquer chacun de ces sites, il faudrait d'autres procès, et entre temps, d'autres sites miroirs seront créés. Et puis un simple VPN, tor ou I2P permettront de contourner le blocage. Enfin, cette décision de justice a fait le tour du Web, générant un magnifique effet Streisand.
Oublions deux minutes l'intérêt ou pas de copwatch, ne nous prononçons pas sur le bien ou le mal d'une telle démarche. Partons simplement du principe que c'est illégal comme le juge le Tribunal. Eh bien, j'en conclus donc que saisir la justice est non seulement inefficace, puisque l'illégalité perdurera sans qu'aucun FAI ne puisse rien y faire, mais encore est contre-productif puisque tout le monde en parle et cela génère donc une publicité incroyable en faveur du délinquant.
J'irais même jusqu'à dire que saisir la justice et gagner son procès fait parfaitement l'affaire du délinquant, qui continue d'agir impunément et touche plus de monde que jamais. Nous sommes entrés dans l'ère du qui gagne perd. Précisons d'ailleurs que, quand le Tribunal dit que le ministre doit payer les frais liés au blocage du site, c'est pas cloclo qui va sortir son chéquier personnel, vous en doutez bien. C'est donc, in fine, le contribuable qui paiera pour une mesure inutile.
Faut-il se réjouir d'une telle impuissance de la justice ? Le geek en moi s'en amuse en effet, impossible de ne pas dire qu'il est réjouissant de savoir que les moyens informatiques d'aujourd'hui dépassent la réalité juridique et sociologique d'hier. Depuis que j'ai eu un Amiga entre les mains, j'ai rêvé à cette société informatisée faisant trembler les puissants. Regardez comme Hadopi, ça fait rire. Comme le procès intenté à Pirate Bay n'empêche certainement pas ce site d'exister et d'être toujours très actif. Regardez comme Wikileaks continue de faire trembler. Mais le juriste et le citoyen qui sont en moi s'en inquiètent de plus en plus.
Parce que la justice, c'est la seule solution de résolution pacifique et rationnelle que l'être humain ait pu inventer. Et que si la justice est vraiment inefficace, le réflexe sera de faire appel à une solution nettement moins pacifique et rationnelle. Et un ministre de l'Intérieur qui est prêt à jouer le jeu de la justice, c'est bien, si cette dernière peut faire son travail. Si elle est impuissante, quelles sont les autres options qui s'offrent à lui ? Voulons-nous vraiment d'un État prêt à se passer totalement de la justice pour résoudre ses problèmes ? Je parlais de Wikileaks ; si vous jetez un oeil à la homepage, vous verrez qu'il y est indiqué que "Nous sommes forcés de suspendre temporairement les publications, le temps d'assurer notre survie financière. Pendant presque 1 an, nous avons combattu un blocage financier illégal". Je ne sais pas si c'est vrai, mais cela accrédite mon inquiétude. On ne peut pas bloquer légalement Wikileaks ? Alors, bloquons-le illégalement.
Certains diront que, de ce fait, si on peut craindre des débordements, un site comme copwatch s'impose d'autant. Mais c'est un peu l'histoire de la poule et de l'oeuf. Si copwatch peut impunément être diffamant et injurieux et divulguer illégalement des données privées, cela aussi risque de générer à terme un comportement brutal à son encontre. Qui a commencé ? Who watches the Watchmen ?Et qui sont les Watchmen de nos libertés ? Les cops ou les copwatchs ? Alan Moore seul le sait.
Quant à moi, ou courge, dans quelle étagère, je ne le sais pas. Mais gageons qu'à la longue, une réaction aura lieu face à l'impunité de la délinquance sur le Web.
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