Laissez-moi vous narrer une de mes aventures de tantôt. Tandis que j'animais avec des corses une de ses soirées mondaines où le tout Paris détonne, un de mes proches amis me demanda, "dis, oh grand maître de l'Univers", oui, j'ordonne à mes amis de rester simple sinon ça fait pompeux, "s'il te plaît, dessine-moi le Web".
Alors, le saint exubérant moyen aurait dessiné une toile d'araignée avec des mouches gouvernementales prises au piège. Mais pas moi. En tant que Saint exaspérant d'exception, j'ai dessiné une cave avec un large plafond. Car le Web, c'est une gigantesque chambre d'écho où la même idée peut se répéter mille fois, sans que ce soit très pertinent pour autant.
Tenez, prenons par exemple le cas du nouveau délit d'usurpartion d'identité. Le Sénat, qui est en cours de vote sur la loi LOPSI 2, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler dans ce forum, étudie donc un article prévoyant, en l'état de sa rédaction, que « Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ».
Alors, partout sur le web, on lit répété à l'infini que c'est un mauvais texte car il fait référence à la diffamation, en ce qu'il punit l'atteinte à l'honneur et à la considération. Or, l'action en diffamation est une procédure spéciale, très courte, qui se déroule devant des chambres spécialisées et ne permet pas de très lourdes sanctions, alors que le texte de la LOPSI 2 serait soumis à la prescription de 5 années (on aurait 5 années pour se plaindre de l'usurpation d'identité) et permet de lourdes sanctions. Du coup, grâce à ce texte, la victime qui n'aurait pas engagé à temps son action judiciaire en diffamation, pourrait se rattraper pendant 5 années grâce à ce texte.
Cette remarque n'est pas très pertinente. La loi classique sur la diffamation est relative au droit de la presse et vise à réprimer le fait que quelqu'un puisse tenir, à l'encontre d'une autre personne des propos attentatoires à son honneur.
Or, le délit d'usurpation réprimé par la LOPSI 2 vise à combattre quelqu'un qui se ferait passer pour une autre personne pour lui faire tenir des propos diffamants. Par exemple, si je dis que Boulon est roux, ce qui est aussi faux qu'attentatoire à son honneur, je tombe sous le coup de la loi spéciale sur la diffamation. Si je crée une page Facebook au nom de Boulon, que je me fais passer pour Boulon et que je dis que je suis un roux, je tombe sous le coup de la loi LOPSI 2.
Ce n'est pas la même infraction. Ici, on punit le fait de s'être fait passer pour un autre afin de lui causer un préjudice. On ne punit pas quelqu'un qui dit du mal d'une autre personne mais quelqu'un qui se passer pour une autre personne et qui lui fait tenir des propos diffamants pour elle-même. C'est beaucoup plus grave et surtout, ce n'est pas la même chose. Je ne vois donc pas vraiment l'utilité du parallèle avec l'action classique en diffamation.
Non, si ce texte actuellement étudié par le Sénat est fort mal rédigé, c'est pour une autre raison. En effet, l'usurpation d'identité n'était pas réprimée en tant que telle par la loi, mais, les conséquences de cette usurpation d'identité si ! Ainsi, par exemple, l'article 434-23 du Code pénal punit de 5 ans d'emprisonnement et de 75.000 € d'amende "le fait de prendre le nom d'un tiers mais uniquement dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales". De même, si l'usurpation d'identité permet au délinquant de monter une escroquerie, cette dernière (qui se définit comme étant une tromperie élaborée, entre autre, par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité - article 313-1 du Code pénal) sera punie de 5 ans d'emprisonnement et de 375.000 € d'amende. On peut également citer l'usage de faux qui, selon l'article 441-1 du Code pénal consiste en une "altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice" et se trouve puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45.000 € d'amende.
Il n'y avait donc pas de vide juridique sur les conséquences d'une usurpation d'identité, mais sur le fait même de se faire passer pour autrui, sans chercher pour autant à lui nuire. Par exemple, je peux créer une page Myspace ou Facebook au nom de quelqu'un de célèbre. Ce n'est pas en soi illicite, et tant que je n'utilise pas cette usurpation de façon malveillante, je ne risque aucune sanction. Rappelez-vous l'affaire de l'internaute qui avait crée un faux profil d'Alain Juppé fin 2007 sur Facebook. Il n'avait pas d'intention malveillante, il souhaitait juste alerter les utilisateurs des réseaux sociaux de la facilité avec laquelle une telle usurpation pouvait être accomplie.
Donc, si le texte de la LOPSI 2 doit servir à quelque chose, c'est à prohiber l'usurpation en tant que telle. Or, que lit on ? qu'est un délit "le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération".
Outre que le choix des termes "troubler la tranquillité" est sidérant d'imprécision, il est clair qu'une usurpation d'identité qui ne serait pas faite en vue de troubler la tranquillité de celui à qui on pique son identité, resterait légale. Et c'est cela que je trouve le plus idiot. Quitte à légiférer sur la question, il fallait interdire l'usurpation en tant que telle, cela aurait été beaucoup plus simple et efficace et aurait évité à une cohorte de juges de déterminer si dans tel ou tel cas très précis, la tranquillité de celui qui s'est fait volé son identité a été troublée.
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