(Avant d’aller plus loin, si vous préférez avoir un résumé du jeu, passez directement au second post).
Isotopium Chernobyl, qu'est-ce donc ? Il s’agit d’un jeu en ligne où l’on contrôle un véhicule roulant, dans une aire de jeu, une arène. Dit comme de cette façon, ça ne paye pas de mine. Sauf que le véhicule est un drone radiocommandé et que la zone de jeu existe physiquement, sorte de maquette de ville située dans des locaux professionnels quelque part dans le monde. Remote Games, l’entreprise derrière le projet, est ukrainienne, mais j’avoue avoir eu beaucoup de mal à trouver des informations sur la question (le Kickstarter semble me confirmer leur nationalité).
Les différents éléments visibles sur l’écran principal du jeu, avant le début d'une partie.
Détails des éléments de l’image :
1. les trois types d’isotopes (rouges, verts et bleus), convertissables en unités d’énergie ;
2. L’énergie disponible du joueur ;
3. Inscription à la liste d’attente (robots disponibles) ;
4. joueurs "incarnés " dans une partie (avec le numéro de leur voiture) ;
5. file d’attente (qui précède l’incarnation) ;
6. réglages : retour à la page d’accueil, quitter ou entrer en mode plein écran ;
7. tchatbox du jeu ;
8. vue donnée par le drone roulant en cours de partie.
Présentation générale et détails techniques
Le jeu se joue directement dans le navigateur web, de préférence Chrome, sans avoir rien à installer. Il faut cependant avoir téléchargé la dernière version et disposer d'une bonne connexion à Internet. Mon vieux PC me prive donc de pouvoir expérimenter moi-même la "démo" de ce jeu en cours de développement. Il y a au maximum 10 robots en jeu en même temps pour le moment (bien que le plus souvent ce nombre tourne autour de 5, les autres rechargeant leur batterie), mais 30 sont prévus à terme. Dans leur modèle économique, ils pensent franchiser un concept d’arènes à thème, qui seraient toutes connectées via Internet ; les joueurs pourront ainsi se "téléporter" dans d’autres lieux à travers le monde depuis l’un de leurs jeux. Dans les faits, ils pourront prendre le contrôle d’un autre drone roulant localisé ailleurs, dans une autre arène, quelque part dans un autre pays.
Les drones sont désignés et imprimés en 3D directement par les développeurs ou par des sous-traitants, leur conférant une complète autonomie pour les fabriquer ou avoir à disposition des pièces de rechange. Les développeurs ont choisi d’équiper les robots d’un micro-ordinateur Raspberry Pie et les contrôles se font par Wi-Fi. Ils ont dû résoudre un paquet de difficultés techniques, comme les temps de latence ou bien les capacités des batteries.
Isotopium Chernobyl est donc un jeu pionnier avec ce que j’appellerais le concept de jeu vidéo "à environnement physique". On y contrôle un drone roulant qui se déplace dans une maquette de ville. La technologie, bien qu’encore limitée, est là et suffisante pour permettre des contrôles précis, quasiment sans temps de latence (même s’il y en a de temps en temps) et avec une très bonne résolution d’image. Les développeurs parlent eux-mêmes de "remote reality game", soit de "jeu à réalité distante" à propos de leur concept de jeu.
Jeu qui est pour le moment très limité, en terme de taille de lieux à explorer comme en intérêt, mais les bases d’un nouveau "moteur de jeu" sont là : lieux existant réellement, donc avec un monde physique complet, multijoueur simultané, contrôle très réactif des drones et grande qualité vidéo, fonctions disponibles des drones roulants (déplacement horizontal, phares, dispositif anti-renversement, tirs simulés [mitraillette et laser] en vue d’un mode FPS en équipe, accélération de la vitesse). Les développeurs ont mis à disposition une balle en mousse dans une sorte de stade pour laisser les joueurs s’amuser avec, ainsi qu’un pneu de modèle réduit. Ils ont aussi créé plusieurs petits labyrinthes, dont un constitué de miroirs.
L’arène actuelle d’Isotopium Chernobyl a comme on s’y attendait pour thème Chernobyl. Elle mesure 10 mètres sur 20, soit 200 mètres carrés en tout. Les développeurs ont vraiment soigné leur maquette de ville : le niveau de détails est plus qu'honorable pour l’échelle réduite. Ils ont fabriqué eux-mêmes les différents éléments du décor, bâtiments compris, et même si on peut voir de loin en loin une partie des coulisses (tentures bleues accrochées aux murs, lampes au plafond, câbles électriques dépassant de-ci de-là des bâtiments, arbres en carton pâte), cela reste bluffant. Toutes les inscriptions visibles sont rédigées en russe, ambiance Chernobyl oblige. On peut circuler à son gré au sol et dans les étages de plusieurs bâtiments, mais aussi sur des ponts routiers. Si leur Kickstarter leur permet de financer leur projet, ils ont prévu d’ajouter plein d’éléments intéressants, comme différents types de véhicules (récolteurs, constructeurs, combattants) et des améliorations des maquettes de ville (portes ouvrantes, ascenseurs, pièges, "téléporteurs", labyrinthes, FPS en équipe, quêtes). C’est vraiment prometteur et j’ai hâte de voir leurs trouvailles. Difficile d’estimer l’échelle du jeu, mais d’après la taille des véhicules, qui font environ la longueur d’un pied humain, je pencherai pour du 1/30e ou du 1/35e ; un personnage humain ferait ainsi respectivement 6 ou 5 cm de haut.
Le système de paiement est ingénieux : on doit récolter via des bornes des isotopes qui procurent de l’énergie. Une unité d’énergie permet de jouer pendant une minute. De base, on dispose de 10 mn de jeu et on peut en grapiller gratuitement une fois en jeu. Il existe trois sortes d’isotopes trouvables à des bornes, qui une fois ponctionnées se rechargent avec le temps : les isotopes rouges, très courants, mais qui apportent peu d’énergie (une unité d’énergie pour trois isotopes rouges) ; les verts qui sont rares mais apportent 2 unités d’énergie ; les bleus, très rares, qui en octroient 8. En payant, on peut obtenir davantage de temps de jeu, mais je trouve leurs tarifs assez élevés. Peut-être que si leur projet est financé, ils réduiront un peu les prix. Le temps de jeu gratuit peut sembler drastiquement court, mais en l’état je crois qu’il suffit largement à faire le tour de la démo d’Isotopium Chernobyl.
A terme, la maquette de la ville de Chernobyl sera agrandie. Remote Games a aussi annoncé son projet d’ouvrir prochainement une seconde arène, ayant cette fois-ci pour thème l’exploration martienne. L’aire de jeu sera divisée en deux parties distinctes : d’une part le sous-sol, où il faudra extraire des ressources ; d’autre part la surface, où on pourra assembler une base à l’aide de blocs et qui sera soumise aux tempêtes de sable. Sur la maquette de Chernobyl, les développeurs veulent par ailleurs ajouter un cycle jour-nuit ainsi que des phénomènes atmosphériques, en utilisant des sortes de fumigènes pour simuler une brume.
Noter que le soir, le jeu est surtout fréquenté par des joueurs américains et russes, alors que le matin on trouve plutôt des français. Le système de tchat est pour le moment archaïque et ne supporte pas les lettres accentuées. On peut voir en haut à droite de la page du jeu les joueurs qui sont en cours de partie et quel char leur est alloué. Le système de file d’attente est bien pensé : à droite de la liste des joueurs "incarnés " se trouvent les joueurs sur liste d’attente (de 0 à plus de 20 parfois). Une fois cette liste d’attente vide, au milieu en haut de la page du jeu il faut cliquer sur un bouton pour s’inscrire à la liste d’attente ; il ne reste alors plus qu’à patienter pour avoir droit à son tour. Selon la fréquentation et le nombre de drones disponible, le délai avant le début du'ne partie peut varier de quelques minutes à plus de trente.
Vue aérienne de l’aire de jeu, ce qui donne une idée de l’échelle.
Digressions et spéculations sur ce type de "moteur de jeu"
En 2009, RC Tiger en son temps avait commencé à déblayer le terrain. Dans ce jeu conçu par des Allemands, on contrôlait comme dans Isotopium Chernobyl des chars miniatures radioguidés dans une petite surface de jeu. L’idée était là, malgré une image très pixellisée. Les tirs étaient simulés mais les déplacements des modèles réduits radiocommandés étaient eux bien réels. En remontant encore plus loin, l’émission télévisée Hugo Délire proposait en 1992, de jouer par téléphone à un circuit de petites voitures radioguidées. C’était très limité, le joueur ne pouvant interagir que sur la vitesse du véhicule, mais pour l’époque c’était une prouesse technique. Je me souviens d’un détail intéressant : les techniciens devaient passer l’aspirateur toutes les deux heures, à cause de la prolifération de moutons de poussière. Ce qui donne un aperçu des difficultés matérielles imprévues de ce support.
Ce type de jeux est pour moi à la charnière entre jeu vidéo classique et jeu vidéo "à environnement physique". Il pose un tas de problèmes techniques mais aussi éthiques ou conceptuels : qu’est-ce qui relève du jeu et qu’est-ce qui n’en fait pas partie ? A titre d’exemple, quand un développeur doit entrer dans l’arène pour débloquer un drone coincé ou remettre debout un élément de décor, certains joueurs cherchent à rouler sur lui. Qu’en sera-t-il le jour où les drones permettront d’interagir plus finement avec le décor (drones volants, pourvus de bras et de mains, capables de lancer des projectiles ou d’utiliser des outils) ?
Il faudra poser des règles vraiment claires sur ce que qui est permis ou pas dans l’aire de jeu vis-à-vis des êtres vivants qui y pénètrent. Il existe aussi des comportements non prévus encourageants, plus créatifs, telle l’utilisation faite par certains joueurs des leviers conçus pour retourner un drone renversé : ils s’en servent parfois pour lancer un salut à un autre joueur ou à un développeur (désormais, il fait partie des usages de saluer ainsi les autres joueurs ou bien les Admins).
D’un point de vue conceptuel à présent, qu’est-ce qui peut être considéré comme relevant du jeu vidéo pur ou du contrôle de drone dans le monde physique ? Un drone coincé dans le décor ou une borne à isotope éteinte mais redonnant quand même de l’énergie, sont-ce des bugs physiques ? Les bornes à isotopes modélisées par ordinateur puis imprimées en 3D et les bâtiments en carton sont-ils toujours des éléments virtuels du point de vue du joueur ? Ce que la caméra du drone capte en jeu et transmet au joueur, peut-il être considéré comme étant les "graphismes" du jeu ?
Ce terrain d’étude se révèle riche et passionnant, plein de promesses. Notamment, je trouve intéressant certaines réactions et suggestions des joueurs sur la tchatbox du jeu et j’attends avec curiosité de lire les réactions sur ce forum. Imaginez ce que ce genre de projet pourrait donner dans quelques années, quand la miniaturisation permettra de créer des drones humanoïdes de petite taille pourvus de membres et de mains, qui leur permettront d’utiliser des outils et des véhicules. Personnellement, ça me fait rêver, j’y vois un grand potentiel ludique.
Les applications possibles peuvent autant être de loisir que professionnelles. L’avenir du jeu vidéo, c’est peut-être de naviguer entre différentes maquettes de villes ou de mondes localisées chez des entreprises et des particuliers. Qui sait, ce "moteur de jeu" pourrait même permettre de concevoir des films ou des clips faits maison. Si ce "moteur de jeu " était combiné à la "réalité augmentée" (ajouts d’effets visuels numériques en temps réel dans le monde physique), cela pourrait donner lieu à des jeux encore plus intéressants, et d’une certaine manière cela bouclerait la boucle.
Les liens utiles
1. Le site du jeu vidéo à proprement parler (Isotopium Chernobyl), en anglais
https://www.isotopium.com/
2. Le site des concepteurs du jeu vidéo (Remote Games), en anglais lui aussi
https://www.remotegames.net/
3. Leur Kickstarter (qui a pu être pleinement financé, date butoir le 30 novembre 2018), en... anglais
https://www.kickstarter.com/projects...-over-internet
(vraiment très riche en informations sur le jeu)
4. Le serveur Discord dédié au jeu (avec une section spécifique pour les francophones)
https://discordapp.com/invite/tDXsAuN
5. Un let’s play français du jeu : celui du youtubeur Dan Field (à ma connaissance le premier Français à avoir couvert le jeu)
https://www.youtube.com/watch?v=ahjGiCkCjuU
6. Article de Canard PC sur RC Tiger (la news est inaccessible on ne peut la voir que depuis le forum)
http://forum.canardpc.com/threads/35...lement-gratuit
7. Le site de RC Tiger (tout cassé, offline mais quelques infos intéressantes s'y trouvent)
http://net.rctiger.com/sneak.html
Récapitulatif des informations pratiques indispensables
Les commandes en jeu. Attention, c'est en QWERTY.
La carte du "monde" actuel, qui est appelé à s’agrandir.
Bref historique et prévisions de leur projet.
Spécifications techniques actuelles :
=> file d’attente pouvant atteindre et dépasser les 20 joueurs ; environ 30 mn d’attente aux heures de pointe. Préférez passer le matin, il semble y avoir nettement moins de monde.
=> une fois inscrit sur la liste d’attente, de 4 à 10 joueurs dans la partie en simultané, selon les disponibilités (drones rechargeant leur batterie).
=> clavier en QWERTY.
=> navigateur Chrome (dernière version) et bonne connexion Internet recommandés. Cela semble marcher aussi avec Firefox. Il semblerait par ailleurs que les téléphones portables récents permettent de jouer.
=> temps de jeu : 10 mn gratuites de base. Possibilité de gagner du temps gratuit supplémentaire en récoltant des isotopes à des bornes (qui se rechargent avec le temps). Noter qu’un glitch permet parfois de récolter de l’énergie sur une borne éteinte (vide). Sinon, mode payant (voir sur le site), mais ce n’est pas donné. Après, ça permet de soutenir leur projet, en plus de leur Kickstarter.
=> tchat minimaliste mais fonctionnel, les caractères accentués ne sont pas supportés (pour le moment).
Quelques jeux vidéo pionniers dans le domaine des jeux "à environnement physiques"
Désolé, les sites Internet présentant ces jeux n’existent plus pour la plupart, voire même n’ont jamais existé en ce qui concerne Hugo Délire. Notez que la plupart de ces jeux ne sont plus disponibles actuellement.
1. 1992, le circuit de petites voitures d’Hugo Délire (contrôles par téléphone), la Piste infernale.
Pays : France, mais inspiré de Skærmtrolden Hugo (1990), au Danemark.
https://www.youtube.com/watch?v=aoHY0dMQHCk
(Ca m’étonnerait que le jeu se soit déroulé en direct, ça devait être enregistré)
2. 2008, Robot Internet Fighting, combat de robots miniatures humanoïdes en ligne.
Pays : Etats-Unis.
https://www.youtube.com/watch?v=Kh6f8LFRCpA
(Les robots pouvaient juste se coller des mandales, mais c’était pas mal pour l’époque)
(il a même existé une variante avec des robots jouant au football)
3. 2009, RC Tiger, contrôles en temps réel via un navigateur web de modèles radioguidés.
Pays : Allemagne.
http://net.rctiger.com/sneak.html (site officiel)
https://www.youtube.com/watch?v=wWgHmS-kFFo (vidéo du jeu)
4. 2013, Anki Drive un circuit de petites voitures dirigées par Smartphone. Pas un jeu en ligne, mais les voitures étaient dotées d’une intelligence artificielle grâce à l’utilisation des Smartphones.
Pays : Etats-Unis.
https://www.youtube.com/watch?v=vXINC6xau64
5. 2016, PathDriver, un jeu venant d'un projet d'un particulier, avec maquette et modèles réduits en carton/papier à monter soi-même. Contrôles via Smartphone ou tablette, mais pas un jeu en ligne.
Pays : France.
http://pathdriver.pixngraph.com/ (site officiel)
https://www.youtube.com/watch?v=siZty1yiycY
Voilou, c’est tout pour le moment, mais je surveille ce projet de loin. Je vous tiens au jus s’il y a du nouveau, via les posts suivants. Et je compte bien me débrouiller pour y jouer un peu moi-même (depuis chez un proche ou autre), ça me fait trop de l’œil.