Dans la news précédente, je vous révélais avec brio que les héritiers de la morte Adèle ne peuvent pas vraiment revendiquer un droit à la récupération des œuvres de l'esprit qu'elle s'était procurée par le biais d'une licence.
Pour démarrer cette news, je vous propose une devinette. Comment vous appelez le fantôme de Steve Jobs hantant un monastère ? C'est un Mac Abbé. Cet habile jeu de mot me permets d'enchaîner avec la question du jour: les héritiers d'un macchabée ont-ils un droit à récupérer ses mails et son compte Facebook, Instagram, Twitter, Flickr et autres ?
Pour résoudre cette question épineuse, il faut déjà se rappeler que, comme je vous l'expliquais dans la news précédente, la loi Informatique et Libertés prévoit que les héritiers peuvent demander l'actualisation des données personnelles du macchabée mais pas de réclamer leur transfert.
Du coup, comment ça se passe ? En pratique, Facebook refuse de donner les identifiants d'un client décédé à ses héritiers, sauf décision de justice l'autorisant à se faire.
Google, Yahoo, Msn et d'autres ont mis en place des moyens de déterminer, de votre vivant, le devenir de votre compte une fois que celui-ci devient inactif pendant un certain temps. Vous pouvez désigner des bénéficiaires qui recevront vos identifiants. Cela permet de gérer, entre autres, le devenir de vos comptes à votre décès.
Est-ce à dire que si Mac Abbé n'a pas activement prévu les suites de son décès pour ses mails, il n'y a rien à faire ? Et que Facebook est légitime à refuser l'accès gentiment demandé par les héritiers au compte du défunt ?
Ce n'est pas si simple et nous nous trouvons à un carrefour de plusieurs droits:
- Tout d'abord le droit des héritiers. L'article 724 du Code civil nous explique que "Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt."
Donc, les héritiers de Mac Abbé doivent hériter de tout ce qui entre dans le patrimoine du regretté.
Mais encore faut-il que les mails, photos et autre compte Facebook soient considérés comme étant dans le patrimoine dudit défunt. Sinon, évidemment, les héritiers ne peuvent avoir un droit à récupérer ce qui n'est pas dans le patrimoine de Mac.
- Le droit de la propriété intellectuelle. Il faut avoir à l'esprit que l'auteur d'une photographie ou d'un texte, d'un dessin ou d'une musique se voit automatiquement octroyer des droits d'auteur sur son œuvre, à la condition, qu'elle soit originale, c'est à dire qu'elle révèle l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Et l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. "
Que tirer de ce constat ? Que tous les mails ou messages twitter, toutes les photographies ne sont pas automatiquement des œuvres de l'esprit. Il faut qu'il y ait une originalité. Donc, les mails ou messages qui sont dépourvus d'originalité ne seront pas des œuvres de l'esprit. Vous me direz, c'est subjectif, et seuls les juges sont aptes à dire s'il y a une originalité ou pas. Mais quand même, on peut avoir parfois des certitudes. Le mail envoyé pour dire bonjour, comment ça va, ça n'est pas une œuvre de l'esprit. Le tweet qui indique aujourd'hui, j'ai encore pris un café, j'aime bien ça, pareil. La photographie prise par à l'arrache, par un mec bourré, vite fait mal fait, en soirée d'un groupe de potes qui trinquent, c'est pareil, il n'y aura pas d'originalité au sens de la loi, c'est à dire que le photographe n'a pas maîtrisé suffisamment les paramètres de lumière, de pose de ses sujets, ni n'a recherché un effet artistique quelconque, il a juste souhaité figer un moment quelconque.
En revanche, le mail qui contiendrait des réflexions personnelles sur la vie, une déclaration d'amour, un tweet comportant une réflexion humoristique ou une photographie artistique sont protégés par le Code de la propriété intellectuelle.
Il faut donc différencier, parmi la "production" de votre de cujus, les œuvres de l'esprit, protégées, des simples productions n'octroyant aucun droit à personne.
Pourquoi faire cette distinction ? Parce que, d'une part, toute production qui n'est pas une œuvre de l'esprit est libre de droit. Et partant, le défunt, de son vivant, n'avait aucun droit à son encontre et l'on peut donc considérer que toute sa production non originale n'entre pas dans son patrimoine. Et aussi parce que le Code de la propriété intellectuelle règle la question de la mort de l'auteur.
C'est l'article L.123-1 qui nous dit dans son style impayable que "L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent."
Les héritiers d'un défunt "récupèrent" donc tous ses droits d'auteur. Or, comme les œuvres de l'esprit du macchabée sont stockées en ligne, ils ont donc le droit de récupérer les identifiants pour y avoir accès.
- Mais troisième branche du droit à prendre en compte, celui des tiers et de leur vie privée. Dans les messages d'un compte mail, dans un compte Facebook ou instagram, il peut y avoir des tiers qui s'expriment. Par exemple, le macchabée était fan de soirées échangistes ou s'amusait à invoquer Satan les soirs de pleine lune. En récupérant les identifiants du De Cujus, les héritiers vont avoir accès non seulement aux messages/photographies du macchabée, mais aussi à ceux de ses amis. Amis qui ne souhaitent peut être pas que les héritiers, l'épouse par exemple du défunt, lisent leur correspondance avec feu son mari. Il peut donc y avoir un problème important de violation de la vie privée des tiers qui est protégé par l'article 9 du Code civil.
En résumé, il n'entre dans le patrimoine de Mac Abbé que ses œuvres de l'esprit sur lesquelles les héritiers ont un double droit, celui de l'article 724 du Code civil et celui de l'article L. 123-1 du Code de la propriété intellectuelle. Par conséquent, s'il n'y a pas de loi qui oblige clairement Google, Yahoo, Facebook ou Twitter à transmettre les codes d'accès d'un de leur abonné décédé, si les héritiers écrivent à ces sociétés et justifient du décès de l'abonné et de leur qualité d'héritiers, les sociétés devraient se trouver dans l'obligation de transmettre les identifiants donnant accès aux œuvres de l'esprit.
En revanche, se pose la délicate question du droit des tiers et de l'accès, par les héritiers, à leur messages privés destinés uniquement à leur De Cujus.
Comme vous le voyez, c'est plutôt le bazar et il est temps que le législateur s'intéresse à cette question difficile du devenir, à son décès, des comptes de stockage de données produits par une personne.
Voir la news (0 image, 0 vidéo )