Il a toujours été assez facile de railler Microsoft.
D'abord à cause de son ancien président et membre fondateur, Bill, dont on racontait qu'il était très collant, au point que vous pouviez le jeter par autant de Gates que vous vouliez, il revenait toujours par des Windows. Autant dire que tout le monde en avait plein le DOS de sa présence.
Et puis on se moquait volontiers des rapports soi-disant conflictuels de la société avec Apple. On murmurait même, que, loin d'être ennemies, les deux majors du monde de l'informatique avaient entretenu des relations amoureuses et qu'une fille était née de cette union. Mais si, vous la connaissez, c'est Christina Apple-Gates.
Enfin bref, on se moquait, mais tout ça c'était avant le drame.
Non parce qu'avec les années, Microsoft a tué notre innocence et détruit notre refuge. Il fut un temps où l'univers des jeux vidéo était enfantin, peuplé de plombiers moustachus, de dinosaures verts, rigolos, et de princesses en détresse. Nous étions biens, dégagés de tout souci et vous ne pouvez pas imaginer combien c’était apaisant pour moi. Loin de la gravité du juridique, je pouvais m'ébattre sottement de plates-formes en bastons, piloter des vaisseaux spatiaux ou shooter des monstres.
Et puis les premiers nuages noirs apparurent au-dessus de l'Europe, quand Microsoft entama une guerre contre les reproches juridiques dirigés à l'encontre de ses abus de Position Dominante (prohibé depuis l'article 82 du Traité de Rome de 1957, puis, notamment, par le Règlement (CE) n° 1/2003 et en France par l'article L. 420-2 du Code de commerce). Déjà, à l'époque on grinçait des dents, mais l'ensemble de notre hobby n'avait pas encore sombré dans les eaux troubles du juridique. On se contentait de taper sur les doigts de Microsoft au sujet d'Internet Explorer (qui était, entre autres, un des sujets de cet abus de position dominante), mais les jeux vidéo restaient vierges de tout ennui judiciaire.
Puis Microsoft, et les autres acteurs du monde des jeux vidéo, se sont intéressés à la Justice et, petit à petit, ils ont fini par faire ménage ensemble. Certes, c'est un ménage houleux, mais que voulez-vous, la Justice est comme toutes les femmes : quand elle a ses règles, elle n'est pas facile à vivre.
Et on a commencé à légiférer, lourdement, à cause du piratage touchant les jeux vidéo comme les autres oeuvres de l'esprit. A partir de ce moment là, il me fut douloureux de penser à la candeur primesautière que je ressentais en jouant à Daggerfall, alors qu'en lançant Oblivion, je pensais Hadopi, Dadvsi, Conseil constitutionnel et Christine Albanel.
Puis tout s’est accéléré. La question juridique de la revente des jeux vidéo s'est posée, et j'ai pensé à notre hobby en termes d'usus, fructus et abusus, de licences et de droit de propriété, d'article 544 du Code civil ou L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Et puis il y eut les DRM, les connexions permanentes à Internet nécessaires à l'utilisation d'un jeu ; je ne pouvais plus faire une partie sans m'interroger sur l'articulation de ces mesures anti-piratage avec l'exception à la copie privée de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence Mullholand Drive.
Et puis il y eut la question des hôtels de vente, d'achats online de biens virtuels, de création de monnaie et les articles L. 532-1 et suivant du Code monétaire et financier sont venus perturber mon clic de souris.
Aujourd'hui, avec l'annonce de la nouvelle Xbox, on a touché le fond. A toutes ces questions, DRM, refus de vente d'occasion, hôtel des ventes etc. s'ajoute celle de la vie privée (avec le nouveau kinect qui filme ou écoute en permanence).
Vais-je, maintenant, quand je vais entrer dans mon salon, me demander si l'article 9 du Code civil est violé ?
Le temps de mon enfance, de la CBS Colecovision et de l'innocence, est définitivement enterré.
Merci Microsoft.
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