Le fléau des Tatares et les mensonges de Marco Polo
L’ouvrage de Marco Polo, le fameux Livre des merveilles du monde, témoigne du contrôle vénitien sur le système d’information des tatares. Le texte, dont l’original a été malheureusement perdu, fut dicté par Marco Polo pendant son emprisonnement doré à Gênes au cours de la guerre qui porta la puissance maritime ligure à devenir un partenaire minoritaire de Venise. A l’idée d’un vieillard dictant ses souvenirs, on devrait préférer l’hypothèse d’un message politique du type : Génois, soumettez-vous, nous contrôlons l’Orient au sommet, en accord avec les prêtres nestoriens. Une étude récente (Frances Wood : Did Marco Polo Go To China ? Secker & Warburg, 1995) met sérieusement en doute que Marco Polo ait pu se rendre personnellement en Chine, suggérant plutôt qu’il construisit son histoire à partir de souvenirs qu’il tenait de son oncle, son père et d’autres Vénitiens sur la route de la Soie, souvenirs qu’il dicta à son secrétaire Rustichello. L’oncle et le père de Marco Polo, selon l’historien Alvise Zorzi, « étaient restés vingt ans à la cour du Grand Khan des Tatares, s’occupant d’opérations de haute finance et politique au plus haut échelon ».
L’hypothèse du message politique justifierait le faux recueil de souvenirs ; l’alternative d’un Marco Polo vaniteux et fanfaron se heurte au grade militaire élevé et au prestige de la famille. (On peut encore visiter le palais Polo à Venise, c’est le plus imposant bâti au XIIIème siècle). A celle du message politique, on peut naturellement ajouter l’hypothèse d’une campagne de désinformation, qui a aussi de la crédibilité si l’on considère les nombreuses éditions successives du livre, rendu mystérieux par un Orient qui était en réalité bien connu des marchands et missionnaires, comme le montrent les nombreux témoignages de l’époque.
Le Livre des merveilles du monde chante les dons humains de Koubilai Khan et de son royaume, alors que la réalité fut décrite en des termes diamétralement opposés par les grands missionnaires franciscains de l’époque. On calcule aujourd’hui que, sous la domination sanguinaire des Tatares, la population chinoise fut décimée, passant de 155 à 85 millions d’habitants en environ 25 ans. Au delà des opérations de Polo en Chine, commencées en 1261, les liens officiels entre les Vénitiens et les Tatares remontent selon différents historiens à 1238, alors que le commandant mongol Soubotai et les Vénitiens de Tana, importante ville marchande sur la mer d’Azov, passèrent un accord par lequel les Mongols devaient détruire les villes rivales de Venise en échange d’informations stratégiques pour l’offensive des Mongols vers l’Occident. Peu après, les Tatares détruisirent Soldaia, Kiev, Budapest et d’autres.