ATTENTION – Gros Spoilers
Ce topic va inévitablement être bourré de spoilers. Comme il serait ridicule de noircir des posts entiers à coup de balises "spoiler", on va faire simple : si les spoilers vous dérangent et que vous comptez jouer à/n'avez pas fini Far Cry 3, ne lisez pas ce topic. Point. Vous aurez été prévenus.
Présentation :
Comme certaines personnes me l'ont demandé sur le topic Far Cry 3, par MP et par Twitter, voici quelques éléments d'analyse du scénario de Far Cry 3, regroupés à partir des notes que j'ai prises pendant mon test. Je n'ai fini le jeu qu'une fois, qui plus est dans le cadre d'un test et pas d'un décorticage en règle, donc il manque forcément des éléments, tout ça n'est qu'un vague "débroussaillage" de tout ce qu'il y aurait à dire. Il n'y a que sur la deuxième île (les 2 derniers chapitres sur les 10 que comporte le jeu) que j'ai pris des notes un peu plus détaillées (regroupées dans la section 5).
J'aimerais bien me retaper la campagne entière avec Figures de Genette sur les genoux et en faisant des schémas, j'aimerais bien avoir le temps d'écrire quelque chose dessus (il faudrait un vrai travail stylistique pour retranscrire l'intelligence de la mise en scène qui parvient à dire bien plus que ce qu'elle montre à l'écran) mais j'ai autre chose à faire et, de toute façon, quelqu'un d'autre le fera avant moi (et bien mieux que je ne l'aurais fait). Il suffit de voir Killing is Harmless, le bouquin que Brendan Keogh a écrit sur Spec Ops : The Line, pourtant un jeu mille fois moins complexe et profond que Far Cry 3. Il y aura certainement des bouquins ou des travaux universitaires écrits sur ce jeu pour ceux que ça intéresse.
TL;DR : Prenez ça comme quelques notes préparatoires à un travail plus approfondi que je ne ferai jamais (et que je vous invite à compléter, c'est pour ça que j'ai ouvert un topic), pas du tout comme une liste exhaustive ou une interprétation définitive.
Bref, voici mes notes, vaguement regroupées par thème et mises en forme.
Dernière chose : même si je n'ai rien formaté (la flemme et pas le temps) ça devrait être assez compréhensible. Il y a juste quelques références à Cronenberg qui gêneront peut-être ceux qui n'ont pas vu ses films. Désolé, je ne pouvais pas faire autrement : les développeurs ont explicitement mentionné A History of Violence et le jeu traite d'un paquet de thèmes "cronenbergiens". Je vous conseille aussi de lire mon test avant, vu que j'y détaille certains points évoqués rapidement (ou pas évoqués du tout) dans mes notes.
Ah, et si vous comptez utiliser ces notes pour écrire un truc, j'aimerais bien que vous me l'envoyiez, par curiosité.
1 Le symbolisme facile / les préfigurations
Ce n'est pas très intéressant mais c'est toujours amusant à relever. J'en oublie sans doute des dizaines.
1.1 Les noms
- Jason Brody : dans la mythologie, Jason dépossédé de son trône par son oncle Pélias. Sauvé et entrainé par Chiron, Jason reviendra prendre ce qui lui est dû. Avant de confronter Pélias sur son trône, doit traverser une rivière (dans laquelle il perdra une chaussure). Cf. Relation Jason/Vaas => Retour de Jason vers Vaas après son initiation par Citra. Par ailleurs, Brody / Body (???)
- Les îles Rook : "to rook" => roquer aux échecs, intervertir deux pièces (???)
- Citra : référence certaine à Cytherea (en français Cythérée – je vous déconseille de rechercher "Cytherea" dans Google, c'est le pseudo d'une actrice porno), l'autre nom de Vénus/Aphrodite en référence à l'île de Cythère. Confirme l'hypothèse d'une Citra "incarnation" de l'île.
1.2 Les préfigurations
Bruits de flingue et de tiroir-caisse dans la vidéo d'introduction – le ver est dans le fruit.
Dès la scène d'ouverture, Vaas (qu'on considère encore comme le "grand méchant") est appelé par Hoyt.
Le briquet qui sauve la vie de Jason quand Vaas lui tire dessus a été placé dans sa poche avant par Vaas lui-même. Acte manqué ou délibéré ?
1.3 Récurrences / rapprochements
- Lumières similaires à celles de la boîte de nuit à chaque fois que Jason pète les plombs face à un boss (Buck/Hoyt). Même QTE droite/gauche ou droite/gauche/espace.
- Grant est tué d'une balle dans la gorge, le premier pirate que Jason tue l'est d'un coup de couteau dans la gorge – Jason retourne sa lame contre lui, en plus.
2 Les personnages
2.1 Considérés comme métaphores
Jeffrey Yohalem (lead writer du jeu) l'a clairement dit dans une interview, chaque personnage est la métaphore d'une philosophie ou du comportement que l'homme peut avoir face à la sauvagerie / l'état de nature / le monde. Pas forcément le plus intéressant non plus mais amusant à lister.
Earnhardt : sur certains points, simple comic relief (cf. la scène où on le voit complètement défoncé au milieu de la grotte) mais aussi premier contact du joueur avec l' "escapism". On apprend dans le handbook que Earnhardt a débarqué sur l'île pour se retirer du monde après la mort accidentelle (?) de sa fille, on peut supposer qu'il se défonce pour oublier.
Willis : "ma petite cabane piégée est un semblant d'ordre au milieu du chaos", patriotisme extrême. Idée d'un "contrat social" à la Hobbes, de l'état comme moyen d'assurer l'ordre au milieu de la guerre générale, y compris par la force. => Ordre : planche de salut
Buck : objectivisme à la Ayn Rand / capitalisme pur. L'ordre doit être établi de façon contractuelle par les individus eux-mêmes, supposés agents rationnels (cf. capacité de Buck à prédire les actions de Jason : "je ne sais pas où tu vas mais je sais ce que tu veux"). Tout peut être vendu, les hommes comme le reste.
Vaas : individualisme absolu (par rapport à la volonté de contrôle de sa famille – "qui est-ce que ça allait être? Eux ou moi ? MOI OU EUX ?". Encore plus intéressant si on considère que Citra est l'incarnation de l'île elle-même, du jeu dont Vaas est un personnage – la révolte de Vaas devient alors quasiment métaphysique, contre l'ordre du monde qu'il habite), relativisme moral, acceptation de la volonté/de la force comme seules règles. Nietzschéisme, pour aller très vite et faire hurler les nietzschéens.
2.2 Considérés comme éléments du dispositif / du jeu
Là ça devient plus chouette.
2.2.1 Les mécanismes
- Grant, le tutoriel : nous fait la démonstration de chaque action, connaît parfaitement les mécanismes que Jason découvre.
- Liza, le principe de réalité/la responsabilité : pas besoin d'en dire plus, c'est assez évident.
- Willis, la mission / le cadre : la première fois, vu dans une hallucination ("lapin blanc" que Jason doit suivre – pas de marqueur jaune dans le rêve). Puis arrivée dans Badtown, réminiscence du rêve, ici il y a un marqueur en permanence sur Willis (Jason sait qu'il doit le suivre - "je dois suivre cette personne"). Puis il arrive et se met à recevoir des missions très orientées "FPS militaire" (détruire une plantation, couvrir une évasion avec un fusil de sniper depuis un point fixe). Par ailleurs, c'est Willis qui a écrit toutes les fiches du manuel (c'est flagrant dans le cas de sa description ou de celle de la wingsuit)
- Buck, la quête Fedex : objectif sans valeur, le couteau, simple monnaie d'échange. La boussole, qui nous guiderait dans un jeu normal, ne sert à rien (red herring) puisqu'au final on se contente de suivre des marqueurs absurdes et qu'à chaque fois Buck nous attend au point suivant, reçoit notre rapport et nous envoie chercher le morceau suivant de la boussole (alors qu'il semble parfaitement savoir où est la dague depuis le début)
- Citra, le jeu : attirante, incarnation de l'île donc du jeu (Cythérée), boucle "action/récompense" du jeu vidéo/boîte de Skinner. Charme le joueur, flatte sa virilité, agite ses seins sous son nez, le convainc qu'il est un héros (+ lien mythologie/jeu moderne, cf séquence d'hallu, combat contre le géant qui évoque à la fois le mythe de l'île et un jeu d'arcade). Manipulatrice mais de bonne foi, contrairement à Hoyt.
- Hoyt, le "producteur" : pour faire simple, vision caricaturale de l'éditeur de jeux vidéo cupide. Voit le jeu comme un produit, la violence comme élément de séduction non pas au niveau individuel (Citra) mais au niveau massif (plus petit dénominateur commun dans un monde globalisé : cf. son discours sur les lentilles avec marqué "123" plutôt que "ABC" pour que tout le monde puisse le lire. "Et le plus fort, c'est que quand je porte la lentille, je ne vois pas le 123 ! ==> Vision belliciste – américaine?- des jeux de guerre tellement omniprésente que les joueurs n'en soint même plus conscients). Scène intéressante, "foreshadowing" : après avoir dit que tout est pareil dans un monde globalisé, Hoyt vante pourtant la qualité des orchestres européens ("les cuivres américains sont trop bombastic") puis fait exploser la barge d'esclaves HORS CHAMP – Clin d'oeil de FC3 à lui-même : si, il reste une différence même si la "partition" est la même - cette différence, c'est la mise en scène : la subtilité d'un Far Cry 3 contre le "in your face" d'un Call of Duty. Hoyt trafiquant d'esclaves (masse) =/= Citra libératrice d'individus (même si également dangereuse). Voir 5 pour la relation Hoyt/Citra et la nature de la deuxième île.
2.2.2 Les P(N)J
Certains personnages de l'île peuvent autant être considérés comme des PNJs que comme des "pseudo-PJs", des non natifs qui ont connu une évolution plus ou moins similaire à celle de Jason depuis leur arrivée sur l'île. Peuvent être vus sous cet angle comme des "profils" de joueurs.
- Dennis, le loser : passe pour un natif (et un grand guerrier) au début, puis on s'aperçoit de plus en plus que c'est un pauvre type qui est venu sur l'île pour échapper à sa vie minable. Adule Citra sa "libératrice", cf. Gas qui adule Allegra Geller dans eXistenZ.
- Sam, le roleplayer : "demandez à Sam ce qu'est le poker (le jeu ?), il vous dira que c'est du bluff" (Hoyt). JOUE son personnage (agent infiltré, là aussi thème très "Cronenbergien" dans le questionnement de la réalité et de l’identité : Le Festin Nu, etc...), au sens littéral, façon rôliste ado ("BLIETZKRIEG !").
- Vaas, le "minimaxeur" : plus compliqué, il faut détailler
3 Vaas
3.1 Considéré comme mécanisme
- Semble au début jouer le rôle du "boss" (et aurait donc dû être dans 2.2.1) mais on s'aperçoit finalement qu'il est tout autant sous le contrôle de Hoyt que n'importe qui d'autre (déjà montré discrètement dans l'intro) et qu'il n'est pas si exceptionnel (Dennis : "Vaas est un grand guerrier mais Hoyt est un démon" – on pourrait donc voir Vaas comme faisant partie du monde, Hoyt se trouvant en surplomb -pouvant sortir de l'île, donc extérieur au jeu-, ce qui confirme l'hypothèse).
- Néanmoins, Vaas parle de libérer Jason, lui dit que Citra enferme les gens dans une boîte et les traite comme des rats : cohérent avec l'idée de Citra boîte de skinner/incarnation du jeu et de Vaas comme rebellion radicale y compris contre les règles qui structurent l'univers dans lequel il vit. Mais alors quelle libération ? Vaas est-il inconscient qu'il est l'esclave de Hoyt (peu probable, il n'est pas con) ou considère-t-il que faute de contrôler, quitte à être esclave, il faut au moins être conscient de ce qui se joue, avoir une vue d'ensemble (être avec Hoyt, le producteur, sur la deuxième île, c'est voir le jeu de l'extérieur, cf 5)
3.2 Considéré comme P(N)J
- Citra nous explique que Vaas est son frère, qu'il était bon à l'origine mais que les drogues données par Hoyt ont fini par le corrompre. Question de la nature de cette corruption : devenu addict à la violence du petit "jeu de guerre" de Hoyt ? Certainement.
- Mais aussi culte de la performance/force chez Vaas. Vaas s'intéresse à Jason parce qu'il a vu en lui un rival potentiel. Tente plusieurs fois de le tuer mais le laisse toujours s'échapper : au début, dans la maison en feu (alors qu'il aurait pu le shooter), en le jetant de la corniche (même chose), finit par tirer mais dans le briquet.
- Tentatives pour tuer Jason, actes manqués ou pas ? Après tout Vaas a l'impression de devenir fou quand il réalise qu'il passe son temps à tuer Jason : ou alors réalise qu'il passe son temps à faire la même chose ? Réalise en même que le joueur le côté volontairement répétitif du scénario ?
- Néanmoins attendait l'arrivée de Jason dans son camp à la fin du chapitre 8 donc savait qu'il n'était pas mort (ou bien informé par Citra – qui lui aurait donné le couteau ancien avec lequel il poignarde Jason : préfiguration de la "trahison" de Citra ?). Discours de Vaas à ce moment "j'avais de grands projets pour toi" (voir 3.1)
– Vaas poignarde Jason par surprise, comme Jason tue les pirates. Nouvelle idée d'équivalence.
– Hallucination de Jason ("bossfight" contre Vaas). A la fin, Vaas "accepte moi dans ton cœur et je renaîtrai" : en tuant Vaas, Jason prend le titre du meilleur "joueur" de l'île ("high score" en quelque sorte). Vaas qui réouvre les yeux à la fin ==> Immortel puisque pas un homme mais un titre, interprété de cette façon. Jason a "repris le flambeau"de Vaas. Va prendre aussi, d'une certaine façon, sa place auprès de Hoyt. => La "conversion" de Jason est terminée
4 Jason
- Subversion de la "cutscene incompetence" – Jason, pauvre touriste terrifié à l'idée de tuer un pirate, devient une machine à tuer dès que le joueur en prend le contrôle mais justifié ensuite par le scénario puisque...
- ...monologues de Jason – commentaires de l'état d'esprit du joueur + "genre awareness" de Jason qui commente les clichés des jeux vidéo. Sorte de dialogue intérieur entre le joueur et son personnage. Confirmé à maintes reprises par Yohalem.
- Meurtre de Buck : au moment où Jason pète les plombs et le tue, on a l'impression de se trouver sur un dance floor, on ne comprend pas pourquoi. Puis hallucination de la boîte de nuit dans la grotte : c'était la première fois (?) que Jason se battait – même QTE que les coups de couteau, d'abord pour la danse puis pour les coups de poing. Lien établi dans le subconscient de Jason, que le joueur découvre a posteriori, à la fois visuel (les spots) et corporel/physique (même QTE, même combat) ==> découverte par le joueur de l'inscription de la violence dans le "schéma mental" de Jason. Indirectement confirmé par Yohalem : "établir une distance entre ce que le personnage sait de son histoire et ce que le joueur en sait est un moyen de créer des effets intéressants".
- Rapport direct entre les capacités du héros et celles du joueur, flou diégétique. "Tu sens la jungle autour de toi" (Citra à Jason) – combat contre les ombres dans l'hallu du géant/face aux doubles de Vaas, dans la pénombre, quasiment uniquement en suivant le HUD.
5 La deuxième île
5.1 Lectures
La deuxième île peut être, encore plus que le reste, être interprétée de plusieurs façons à la fois.
– Comme une "arrière-boutique", coulisse du jeu (lieu où résident les soldats de Hoyt, qui "contrôlent" le jeu -et tiennent en respect Citra et les siens-, d'où ils gèrent leur trafic d'esclaves). Idée en lien avec la fin du chapitre 8 (Jason tue Vaas : "Citra, j'ai gagné ! J'ai gagné !", mais Vaas n'était pas le boss, ou plutôt il y a encore une deuxième couche, un méta-niveau après ce qui aurait dû être la fin du jeu). D'où d'ailleurs surprise de 99% des joueurs (qui rejoint celle de Jason qui pense avoir gagné) en découvrant que Vaas meurt si "tôt" dans le jeu - le "boss" n'aurait pas dû mourir, c'est pas normal.
– Comme une "île dans l'île", endroit où s'enfonce Jason une fois complètement coupé de ses amis et où il finira par acquérir une nouvelle identité (encore une fois, thème "cronenbergien" de l'agent infiltré)
– Comme critique du jeu vidéo en tant que vecteur d'idéologie. La violence de la première île était primitive, celle de la deuxième île est organisée, militaire (cf. travail de Jason pour Hoyt)
5.2 "All in"
- Jason décide de rester sur l'île, se sépare de ses amis. "C'était plus dur que prévu" puis, dix secondes plus tard, "bon, passons à Hoyt maintenant". Rejoint la deuxième île.
- Wingsuit+parachute qui permettent de faire des acrobaties à la Just Cause et de jouer encore plus avec le terrain (les grandes distances deviennent faciles et amusantes à traverser sans avoir besoin de chercher un véhicule). "Vole, Jason, vole" (Willis) ==> légèreté absolue, Jason est vraiment comme un poisson dans l'eau maintenant qu'il est seul sur l'île (réalisation de l'utopie de liberté/individualisme absolu prôné par Vaas ? Dans ce cas, véritable renaissance -une de plus...-, comme promis par Vaas).
- Déguisement de mercenaire : les ennemis ne l'attaquent même plus tant que Jason ne décide pas d'attaquer ou de vider un camp. Jason est devenu l'un d'entre eux/un "habitant" de l'île (toujours idée de la différence entre le joueur et ses adversaires, cf. citations d'Alice au Pays des Merveilles)
- "Faire semblant", jusqu'à quel point ? (Cf. Sam.) Subversion des règles fixées par le jeu : des points de "fast-travel" sont spontanément débloqués sur la carte, de petites cabanes qui ne contiennent pas de "distributeur", avec des noms génériques (camp alpha, camp delta...) à côté des vrais camps militaires qui eux doivent toujours être libérés. Faux camps de Jason qui "joue au soldat" ?
- Frontière de plus en plus floue entre "eux" et "lui". Se met à travailler pour Hoyt, soi-disant pour l'approcher et le tuer. Mission totalement inverse de celle de la première île : doit défendre une plantation de drogue de Hoyt face à des ennemis (dont des molotovs, qui crament les plants comme Jason le faisait quelques heures plus tôt).
- Au bout de plusieurs missions pour Hoyt, coup de fil de Dennis, "où en est l'assassinat de Hoyt ?". Rappel adressé à Jason ou au joueur ?
- Puis moment de brusque réalisation, scène de torture de son frère Riley
5.3 Point de pivot
- Allusion évidente aux scènes de torture des Call of Duty & compagnie. Mise en scène fantastique en 3 étapes.
- (1) Jason arrive, sait qu'Hoyt le regarde via la caméra alors commence direct à cogner son frère pour qu'il ne parle pas. Pure cinématique : le joueur ne contrôle rien à ce stade. "- Où est Jason Brody ?? - JE NE SAIS PAS !!!"
- (2) Sam bricole la caméra et laisse quelques secondes à Jason pour parler à son frère. "Rassure-toi je ne suis pas avec eux mais je vais devoir jouer mon rôle, je n'ai pas le choix"
- (3) La caméra recommence à filmer, début du QTE. C'est maintenant LE JOUEUR qui doit tabasser Riley pour rester "in character". A la fin, commentaire de Jason sur le dégoût du joueur pour ce qu'il vient de faire : "qui suis-je devenu ?" – A propos de Hoyt : "je veux le voir mort". Reprise de contact avec la réalité.
- COMPASSION, THÈME PRINCIPAL DU JEU. Déjà évoquée après la mort de Buck, citation d'Alice au Pays des merveilles (le morse a peut-être mangé plus d’huîtres mais il avait de la pitié pour elles, donc d'après Alice il est meilleur que le charpentier – primat de l'intentionnalité sur l'acte, surtout dans un monde virtuel où seule l'intention est réelle – TRES IMPORTANT pour déterminer ce que peut être une "bonne pratique" du jeu violent). + idée à la Levinas – seul le surgissement du visage de l'autre peut me permettre de sortir de l'enchaînement mécanique des mes pulsions. (+ Yohalem sur Twitter : "Far Cry 3 examines the shooting gameplay reward loop. It's about video games. It's meta.")
5.4 "Betting against the house"
- A partir de là, "détricotage" de toute la pelote en sens inverse, sur deux niveaux. D'abord au niveau de Jason : libération "automatique", écrite dans le scénario - le visage de son frère l'a sauvé, a cassé net son délire et son enfermement.
- Jason tue Hoyt (nouvelle scène de pétage de plomb, référence à la violence "séminale" de la boîte de nuit), s'échappe, sauve Riley (bâtiment étiqueté "arrival")
- Escapade en hélicoptère : Riley pilote, Jason le couvre. Au début Riley flippe puis finalement trouve ça très fun. Transmission de la "malédiction" ("I've been trained by the best!") : Grant était le modèle de Jason, puis Dennis, puis Vaas (d'une certaine façon), maintenant Jason est devenu le modèle de Riley.
- Trahison de Citra (pas vraiment trahison puisque Jason était agent de Citra tout le long, finalement, qu'elle l'a utilisé pour libérer l'île/se libérer elle-même). Jason libéré de l'influence de Hoyt, a libéré l'île, ne reste que le jeu pur, pas "sali" par la vision utilitariste qu'en avait Hoyt ou l'obsession maladive/sociopathique de Vaas. Mais Jason/joueur doit encore se libérer de l'addiction au mécanisme de gratification lui-même, faire face à Citra. DEUXIEME PHASE du détricotage, celle là "manuelle" puisque le joueur devra prendre la décision de tuer ou pas Liza.
- Le "détricotage" est aussi physique, dans la mise en scène. Jusque là le tatouage ne faisait que croître sur le bras de Jason. La, ça repart dans l'autre sens : doigt coupé (annulaire – rupture) puis suppression du tatouage par Liza dans l'hallucination.
- "Bonne" fin : Jason épargne Liza, laisse tomber la dague. Dague ancienne, symbole du combat (liée à l'île ? Prolongement de l'île ? Citra y était attachée), était désirée par tous les personnages mauvais (Buck, Vaas -qui l'utilise pour poignarder Jason-). Renoncer à la dague = renoncer à l'île/à la violence.
- "Mauvaise" fin : Jason tue Liza, baise Citra puis Citra le tue et lui dit que leur fils sera le plus grand de tous les guerriers ("Félicitations guerrier, tu as gagné"). But final accompli : dissolution totale du joueur dans le jeu, cf. Avalon de Oshii (Class Real).
- Pourquoi mais pourquoi n'ont-ils pas supprimé la sauvegarde quand on choisit de quitter l'île (avec tout le teaser que nous fait Citra pendant le "chemin du guerrier" : "si tu pars, tout ton progrès, ton tatouage, tout ce que tu as fait sur cet île sera effacé") ???