Si, comme le disait Nicolas Mulot dans son célèbre guide de drague, la pêche à la morue, le pouvoir des moules, c'est de parvenir à vous plaire quand elles sont fraîches, le pouvoir des foules, c'est de vous donner un paquet de fraîche quand vous parvenez à leur plaire.
J'en veux pour preuve cette nouvelle tendance du crowfunding, qui consiste à récolter de la fraîche, de l'oseille, du flouse, enfin du pognon quoi, auprès des millions d'internautes qui s'enthousiasment pour un projet. Que vous ayez envie d'écrire un livre, une chanson, une BD, de tourner un film, de prendre des photos ou de faire un jeu, vous pouvez présenter votre projet aux foules en délire qui décideront, ou pas, de vous aider à financer votre grande oeuvre.
Il existe des sites spécialisés en ce domaine, kickstarter en tête, aux USA, mais on en trouve aussi en France, et Ivan le Fou a d'ailleurs fait récemment un papier sur la question dans le domaine du jeu vidéo. Toutefois, cette nouvelle tendance pose des questions juridiques. Qu'est ce que vraiment le crowdfunding ? Est-il reconnu par la Loi ? Est-il dangereux ? La justice l'ignore-t-elle ? Ou cours-je, dans quel état j'erre ? Bref, faisons donc un point sur la question.
La notion de crowfunding regroupe plusieurs types de financements participatifs très différents les uns des autres :
- Les vrais sites d'investissement où l'internaute, qui participe au financement du projet de son cœur, percevra des dividendes en cas de succès de l’œuvre : le leader est Mymajorcompany (qui se décline en musique, livres et BD), mais il y en a d'autres : wiiseed, sandawe...
- Les sites qui proposent à des internautes de prêter de l'argent, soit avec intérêt (les sites FriendsClear, Smava par exemple), soit sans intérêt (les sites Babyloan et MicroWorld).
- Les sites qui, en échange de la participation au financement du projet, ne donnent pas de dividende à l'internaute en cas de succès, mais simplement des goodies : livre signé par l'auteur, T-shirt, mug... Ici, on fait plus appel à la générosité de l'internaute qu'à autre chose. Le fameux Kickstarter repose sur ce mécanisme et, en Europe, nous avons Ulule, Kiss Kiss Bank Bank, Babeldoor etc...
- Les sites de micro-crédit, où l'internaute concède un tout petit prêt pour soutenir un projet, en échange d'un remboursement avec intérêt ou de parts sociales de la société qui porte le projet sur lequel il a investi.
Si les USA ont pris, le 5 avril dernier, une loi dédiée au crowdfunding, le JOBS act, en France, cette pratique pose des gros problèmes juridiques, à un double titre.
D'abord parce que les sites qui organisent le crowfunding, mettant en rapport les moules et le réacteur comme on dit à Fukushima ou, si vous préférez, les foules et le créateur, comme on dit chez nous, ont une activité bancaire, puisqu’ils manipulent des fonds pour autrui, voire qu'ils organisent des prêts entre particuliers. Il faut donc qu'ils obtiennent un agrément pour exercer leur activité, en allant gratter à la porte de l'ACP, l’Autorité de Contrôle Prudentiel, autorité administrative qui gère le monopole bancaire (articles L. 211-1, L. 313-1 et L. 515-1 et suivants du Code monétaire et financier). C'est difficile et compliqué.
Pour les internautes aussi : tant qu'il s'agit de participations en échange de goodies, ça peut aller, même si la question du don peut évidemment se poser. Si ma participation s'élève à 1.000 € et qu'en échange j'ai droit à un T-shirt et deux mugs, ma participation pourrait bien être qualifiée de donation, avec les conséquences fiscales qui pourraient en découler (60% d'impôts que le bénéficiaire de la donation doit acquitter sur la somme qui lui a été donnée).
Et si l'on parle des prêts, avec ou sans taux d'intérêt, entre particuliers ce n'est pas mieux. Si leur rémunération est libre (dans la limite des taux de l'usure prévu à l'article L313-3 du Code de la Consommation, soit, pour le deuxième trimestre 2012, de 10,93 % pour un prêt supérieur à 6.000 € fait à un particulier à 20,56 % pour un prêt inférieur ou égal à 1524 €) au-dessus d'un montant prêté de 760 €, il y a des obligations fiscales déclaratives lourdes, faites d'imprimés touffus à remplir et d'impôts velus à payer (Article 242 ter-3 du CGI, article 49 B de l'annexe III au CGI et article 23 L de l'annexe IV au CGI.)
Quant au versement de sommes par des internautes à une société qui aurait un projet, dans le but de percevoir de l'argent en retour, selon le succès dudit projet, le droit des sociétés prévoit que la somme versée s'analyse en un apport en capital. Par conséquent, toute somme versée par un internaute à une société lui donne droit à des parts sociales de cette dernière, ce qui le rend, de facto, associé. Et être associé d'une société, c'est peut être aller un tout petit peu trop loin dans le cadre d'un crowfunding.
Ou alors, on retombe sur la donation. Mais apporter de l'argent à une société, percevoir des dividendes en cas de projet réussi, sans devenir associé de la société, c’est difficile en droit français.
Il est donc urgent que les Pouvoirs publics s'inquiètent du crowdfunding et légifèrent afin de rendre ce domaine, en pleine croissance, plus léger et plus attractif. C'est pour cela que, le 26 mars dernier, les acteurs majeurs du crowdfunding se sont réunis au Palais de la Bourse à Paris pour interpeller les candidats à la présidentielle en présentant pour l'appui au financement participatif.
Ne reste plus qu'à espérer que cela porte ses fruits. Car après tout, "quand la moule gronde et que le thon monte, on peut se retrouver dans la mer jusqu'au cou" (proverbe marin).
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