Un grand cuisinier qui apportait un plateau de fromages lors d'une réception huppée lança à la cantonade cet avertissement, "ce qui ne pue pas, n'est pas du roquefort".
Un des convives mordit à pleines dents dans un morceau de roquefort et, surpris par la violence du goût, s'évanouit quelques secondes. Quand il regagna ses esprits, il s'écria, "ce fromage, s'il ne vous tue pas, vous rend le souffle plus fort".
Et bien des années plus tard, un philosophe allemand, à qui l'on narra cette mésaventure bourgeoise, reprit à son compte la formule et l'adapta à sa façon pour signifier que, quand vous voulez abattre quelqu'un, ne vous ratez pas, sinon vous ne ferez que rendre votre adversaire encore plus puissant.
Tenez, prenez par exemple la loi Hadopi. C'est un véritable survivor cette loi, traquée comme une bête et attaquée sur tous les fronts. Tout d'abord, rappelez-vous, encore en gestation, elle fut l'objet d'une attaque de ninjas socialistes qui, en dépit de leur tactique de camouflage en rideaux, ratèrent leur coup. Lorsque sa génitrice, Antéchristine, mit bas la loi, le rejeton fut violemment pris à partie par des Spaces rangers constitutionnels qui le blessèrent grièvement. La bête s'en alla lécher ses plaies et Antéchristine, jouant à la fiancée de Frankenstein, greffa sur son enfant une deuxième loi afin de réparer les dégâts. Le petit monstre, encore jeune, fut alors en proie à d'autres attaques, visant cette fois ses pattes. Car la créature reposait sur quatre décrets:
- Celui du 23 décembre 2009 portant nomination des membres du collège et de la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.
- Celui du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet».
- Celui du 25 juin 2010 instituant une contravention de négligence caractérisée protégeant la propriété littéraire et artistique sur internet
- Et enfin, celui du 26 juillet 2010, relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet qui crée une Sous-section 2 dans le Code de la propriété intellectuelle dénommée « Mission de protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin » avec des articles R. 331-35 à R. 331-46.
Et ce sont pas moins de 3 d'entre eux qui furent attaqués, en 2010, par les sociétés Apple Inc, I Tunes et French Data Network. Le Conseil d'État, le 19 octobre 2011, saisi de ces recours contre les décrets, a rendu 3 décisions très négatives.
En effet, le Conseil a décidé que les requêtes des sociétés Apple Inc et I Tunes contre le décret n° 2009-1773 du 29 décembre 2009 relatif à l'organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet et de French Data Network contre le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du Code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur Internet » sont rejetées, dès lors qu'aucun moyen soulevé par les sociétés requérantes n'était fondé.
Le Conseil d'État rejette également la requête de la société French Data Network dirigée contre le décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Hadopi. Mais comment se fesse, me direz-vous. Et bien, le Conseil d'État valide la procédure au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, rappelant que les recommandations qu'adresse la commission de protection des droits de la HADOPI n'ont aucun caractère de sanction ni d'accusation.
En second lieu, le Conseil d'État estime que le juge judiciaire est le garant du système, c'est-à-dire qu'il n'y aura, en cas de récidive de téléchargement illégal, qu'un procès devant ce juge, et non un contentieux au fur et à mesure des lettres d'avertissement.
En effet, les recommandations adressées par la commission de protection des droits n'étant pas des sanctions, elles ne pourront faire l'objet d'un contentieux devant le juge administratif. Si les pratiques de téléchargement illégal se renouvellent et que la HADOPI en saisit le juge pénal, la personne concernée pourra, devant ce juge, contester les faits relevés dans les lettres d'avertissement. Du coup, voilà le monstre encore sauvé et, si la maxime de ce bon vieux Nietsche est valable, nul doute que la HADOPI va en ressortir plus forte.
D'ailleurs, pour montrer que toutes ces attaques ne font que l'enrager, elle vient de rendre un rapport sur son activité en 2010. C'est ainsi que le 29 septembre dernier, elle fait état de ce qu'elle est montée progressivement en puissance au fil des mois, passant de quelques centaines de demandes d'identification envoyées aux fournisseurs d'accès en septembre 2010, à 11 500 demandes par jour en mai 2011.Les données chiffrées précises sont :
- 1 023 079 demandes d'identification adressées par HADOPI aux fournisseurs d'accès.
- 911 970 identifications (adresses IP) reçues de la part des fournisseurs d'accès, soit un taux de 89 %.
- 490 000 premières recommandations envoyées aux abonnés au 30 juin 2011.
- 20 598 secondes recommandations envoyées aux abonnés.
- 35 003 échanges avec les abonnés concernés (courrier / téléphone) dont 76 % portant sur la demande de détail des oeuvres.Le rapport entre le nombre de recommandations envoyées et le nombre de saisines reçues des ayants droit est de 2,6 %. Alors moralité, après avoir esquivé les recours constitutionnels et administratifs, la loi n'est pas morte et apparaît plus que jamais solide.
Mais les ennemis de cette dernière n'ont peut-être pas dit leur dernier mot.
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