Bill Gate et François Mitterrand sont deux hommes que tout oppose quand on y réfléchit bien. Pourtant, voilà que leurs pensées se rejoignent, comme un cri d'amour vivant à cette news.
C'est ainsi que François Mitterrand disait, dans La fin d'une époque que "Le journaliste, lui peut écrire n'importe quoi et se tromper sur tout, cela ne change rien, ses journaux se vendent toujours aussi bien ou aussi mal". Il faut dire que ce grand homme était en plein flame war contre certains journaux concurrents de Canard PC, à l'éthique douteuse.
Quant à Bill Gates, il n'hésitait pas, pour sa part, à prétendre, dans son célèbre Ethique à nique ton mac, que "les pommes, c'est comme les oranges, ça pousse avec de la mauvaise graine".
Quel est, me direz-vous, le rapport entre ces deux pensées ?
Eh bien, c'est simple, je lis partout sur internet qu'Orange vient de se faire condamner à une peine record de 64.250 €, au bénéfice d'un abonné, pour avoir supprimé unilatéralement une option d'accès internet sur le mobile de ce dernier.
Or, c'est un raccourci criminel qui n'a aucun sens juridique. Pire, il vous fait imaginer que nous vivons dans un monde fantasmé de justice à l'américaine où Elle peut prononcer des condamnations à titre de dommages et intérêts, très importantes, accordées à un plaignant, peu important la réalité de son préjudice.
Car, lorsque l'usager qui faisait, depuis plusieurs années, un usage conséquent de son téléphone mobile et notamment du service WAP a vu son option Orange sans limite supprimée brutalement, et qu'il a assigné cet opérateur pour le voir condamner à rétablir cette option, il demandait également la somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues.
Et le 21 mai 2007, le Tribunal condamne d'ailleurs la société ORANGE à lui verser 2.500 €.
Vous voyez donc que nous restons dans le cadre d'une justice indemnitaire, c'est à dire que nos juges ont pour mission de "rétablir l'équilibre" ; ils doivent indemniser le préjudice subi par le plaignant, mais non pas punir la partie perdante en lui infligeant des dommages et intérêts punitifs. Ce n'est pas la conception du Droit français, et c'est ce qui vous explique que si vous attaquez Orange parce que les conditions contractuelles ne sont pas respectées, vous ne gagnerez que des sommes équivalentes au préjudice que vous avez réellement subi du fait de cette violation. Et si votre seul préjudice réside dans le fait que vous ne pouvez pas envoyer les photos de vos soirées sur votre compte Facebook, n'imaginez pas, même un instant, gagner plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Alors, me direz vous encore, d'où vient cette condamnation d'Orange à payer 64.250 € ? C'est tout simple.
Figurez-vous que, dans le jugement du 21 mai 2007, Orange est non seulement condamnée à payer 2.500 € à l'usager mécontent mais, surtout, elle est condamnée à rétablir le service qu'elle avait coupé, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard.
Et qu'a fait Orange ? Elle a fait appel et refusé de rétablir le service.
Moralité, quand la Cour d'Appel de Rennes a, le 21 février 2011, confirmé le jugement et donc confirmé que l’opérateur avait eu un comportement fautif, elle a aussi liquidé l'astreinte, c'est à dire qu'elle a condamné Orange à verser une somme de 64.250 € à l'usager, mais uniquement parce qu’elle a fait sa mauvaise tête ! Si Orange avait rétabli le service comme le jugement lui intimait de le faire, elle n'aurait pas eu à verser un centime de plus à l'usager. Cette somme ne correspond, ni à une évaluation du préjudice de l'usager, ni à une punition d'Orange, mais juste au fait que cette dernière n'a pas voulu exécuter ce que lui ordonnait de faire le Tribunal.
Moralité : il ne faut pas croire tout ce que vous lisez.
Si Orange a bien versé 64.250 €, ce n'est pas une condamnation "record", c'est juste qu'elle paye le prix pour n'avoir pas voulu exécuter un jugement. Et encore, ce n'est pas cher payé. Car la somme de 64.250 € correspond à une astreinte de 50 € par jour de retard entre le jugement et le prononcé de l'arrêt de la Cour d'Appel. Les juges ont donc divisé par 10, ce qui ressort de leur pouvoir souverain à agir ainsi, le montant de ce qu'aurait pu toucher l'usager.