Je dois vous confesser avoir toujours rêvé d'être le James Bond français. Quoi ? Vous avez cru que j'ai toujours voulu être avocat ? Non mais, même si j'ai aujourd'hui la masculinité épanouie d'un Sean Connery, le flegme séduisant d'un Roger Moore et les pectoraux d'un Daniel Craig, vous pensez vraiment que le nombre de mes conquêtes féminines se compare à celui de l'agent secret de Sa Majesté ?
Et pourtant j'ai tout essayé : dès l'adolescence j'ai pris le pseudo "jean bond", j'ai cumulé les 007 sur 20, surtout en math, et je sortais à tout bout de champ mes Pif gadgets pour impressionner les filles ; hélas, sans succès.
Alors j'ai fait du droit, sachant que je retrouverais un jour le frisson de l'univers des espions.
Et ce jour est arrivé mes amis. Grâce à Wikileaks.com.
Ce site créé en 2006, dont on ignore l'identité des créateurs (on connaît cependant son porte parole, Julian Assange), qui a pour mission de recevoir, provenant du monde entier, les fuites de documents officiels, protégés par le secret défense, et de les mettre à la disposition des journaux. Cela garantit l'anonymat des "leakers".
Le site était initialement hébergé par la société suédoise PRQ (créée par deux des fondateurs du site The Pirate Bay) et se trouve repris par plus de 1500 sites miroirs (dont celui du journal Libération) le rendant ainsi impossible à fermer.
Wikileaks a fait parler de lui le mois dernier, pour avoir mis à la disposition
de la presse 250.000 câbles diplomatiques américains, révélant les dessous de la diplomatie des États-Unis, ce qui a fait grincer bien des dents.
Loin de moi l'idée d'évoquer les questions politiques et journalistiques que soulèvent cette affaire. J'ai plutôt envie d'évoquer avec vous les passionnantes questions juridiques de l'accès par le public aux documents administratifs couvert par le secret défense.
- La première loi à ouvrir le bal est celle du 6 janvier 1978 (modifiée par la loi du 6 août 2004) qui organise au profit des administrés "fichés" l'accès aux informations nominatives recueillies sur eux et faisant l'objet de traitements publics automatisés.
- Puis nous trouvons la du 3 janvier 1979 qui libéralise l'accès aux documents administratifs versés aux archives
- et la loi du 11 juillet 1979 qui oblige de faire connaître au destinataire d'une décision administrative les motifs qui la justifient.
Mais vous ne serez pas étonnés d'apprendre que les documents administratifs, dont la consultation ou la communication porterait atteinte au bon fonctionnement des pouvoirs publics (délibérations du Gouvernement, procédures juridictionnelles, recherche des infractions) ou à un intérêt général (secret de la Défense nationale, de la politique extérieure, sûreté de l'État, sécurité publique, sécurité des personnes...) sont inaccessibles.
Traiter chacun de ces thèmes prendrait trop de place ; et puis, moi, j'ai envie là de jouer à James Bond, alors, je vais me concentrer sur le secret défense.
C'est l'article 413-9 du Code pénal qui dispose que :"Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès.
Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale.
Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection, sont déterminés par décret en Conseil d'État."
Et c'est le décret du 17 juillet 1998 qui s'y colle, prévoyant dans son article 2, trois niveaux de protection:
1/ Très Secret-Défense ;
2/ Secret-Défense ;
3/ Confidentiel-Défense.
L'article 3 nous explique que "Le niveau Très Secret-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire très gravement à la défense nationale et qui concernent les priorités gouvernementales en matière de défense.
Le niveau Secret-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire gravement à la défense nationale.
Le niveau Confidentiel-Défense est réservé aux informations ou supports protégés dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale classifié au niveau Très Secret-Défense ou Secret-Défense."
L'article 5 nous apprend que le "Premier ministre détermine les critères et les modalités d'organisation de la protection des informations ou supports protégés classifiés au niveau Très Secret-Défense.
Pour les informations ou supports protégés classifiés au niveau Très Secret-Défense, le Premier ministre définit les classifications spéciales dont ils font l'objet et qui correspondent aux différentes priorités gouvernementales.
Dans les conditions fixées par le Premier ministre, chaque Ministre, pour ce qui relève de ses attributions, détermine les informations ou supports protégés qu'il y a lieu de classifier à ce niveau."
Et, comme dans tout film de James Bond qui se respecte, l'article 7 rappelle que : "Nul n'est qualifié pour connaître des informations ou supports protégés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin de les connaître pour l'accomplissement de sa fonction ou de sa mission."
Oui, c'est la version française du "for your eyes only". Certes, le phrasé de l'article 7 est plus compliqué, mais il faut reconnaître qu'un "Pour vos yeux seulement", ça faisait quiche.
Ainsi par exemple, les extraits du rapport de sûreté de l'usine de retraitement de la Hague sont protégés car un lecteur averti pourrait reconstituer la quantité de plutonium à usage militaire fabriquée et la divulgation des techniques de retraitement pouvant accroître les risques de prolifération nucléaire. Il en va de même des documents relatifs au plan de sécurité "Vigipirate" mis en place sur l'ensemble du territoire au début de 1991, car leur communication permettrait à des terroristes de les contourner.
Précisons que se trouve puni, par les articles 413-10 et 413-10-1 du Code pénal, de 7 ans d'emprisonnement et de 100.000.€ d'amende le fait de violer le secret de la défense nationale, notamment en divulguant des documents protégés.
Bon, et maintenant que je vous ai dévoilé mon côté James Bond , Voyons combien de lectrices rêvent de me rencontrer ? Pardon ? Ah bon !
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