Bon ça doit commencer à se voir et se savoir, mais j'aime ce que fait le scénariste Fabien Vehlmann. IAN était la BD de la découverte, Les Cinq Conteurs de Bagdad celle de la confirmation du talent de conteur justement, Le Diable amoureux... montrait que la paire avec Duchazeau fonctionnait vraiment bien. Les derniers jours d'un immortel confirmait son entrée dans mon panthéon personnel des scénaristes de BD. Et arrive Green Manor, en intégrale.
Plantons rapidement le décor : Londres, fin du XIX° siècle. Raaah l'Angleterre victorienne, ses gentlemen à haut-de-forme et canne-épée, ses ladies sanglées dans des corsets et parées de mousseline et de crinolines. Ce smog pesant comme une chape de plomb sur les bas-quartiers, étouffant tout espoir et réveillant les mauvais penchants.
Le Green Manor est un club très spécial puisqu'il accueille la lie de l'humanité : des lords ayant pour loisir le meutre, l'assassinat, l'éradication de leurs congénères. Mais attention, ils sont complètement différents de ces vulgaires qui tuent pour l'argent ou pour une femme. Oh non, eux tuent pour la Gloire, pour l'Art, parce qu'ils le peuvent. Et s'ils récupèrent l'argent ou l'amour, ce n'est qu'une heureuse coincidence et pas le but premier of course.
Cette intégrale reprend donc les 16 charmantes historiettes criminelles parues précédemment dans les trois tomes de la série. 16 courts récits de 6 à 8 pages en moyenne, riches en cynisme, en macabre, en ironie et en méchanceté gratuite. Un délice, tant Vehlmann arrive à varier les situations de meurtre, profitant admirablement du format court. On pense immédiatement à Maupassant pour la cruauté envers les personnages, et à Poe pour la complexité des enquêtes et pour le suspens qu'il arrive à instiller. On a vu pire comme références nan ?
Au dessin, Denis Bodart croque avec facilité trognes patibulaires mais presque de lords sévères, salons cossus du grand monde et bouges mal famés des docks, dans un style à la croisée du réalisme et du gros-nez. Alliant rigueur pour les détails et exagérations pour l'expressivité, c'est un mélange subtil qui profite pleinement au récit.
L'objet-livre est quant à lui à saluer avec un petit format ne gênant pas la lecture, une couverture granitée lui donnant un aspect vieilli et poussiéreux pile dans le ton de l'oeuvre, des pages de garde marbrées bien old-school et un marque-page. Et les vingt pages de croquis à la fin forment un bonus appréciable.
Une série de belle qualité, imaginative et cruelle, dans un écrin à la hauteur.
Green Manor, de Fabien Vehlmann et Denis Bodart, 3 tomes séparés ou l'intégrale de 160 pages à 35€, chez Dupuis
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