L'heure est tardive, la lune est basse, c'est le moment opportun de faire une révélation un peu honteuse : la première fois que mon libraire BD m'a tendu un exemplaire de Blacksad, j'ai décliné l'offre. Certains vieux aigris vont sûrement dire "t'aurais mieux fait de pas changer d'avis". Mais j'aurais quand même fait une sacrée boulette. Bon j'avais une excuse, le premier coup d'oeil m'a rappelé illico presto Téléchat. Pour les plus jeunes, allez voir, c'est un des trucs les plus flippants qui aient été fait comme programme jeunesse. Rien d'étonnant quand on sait que c'est Roland Topor qui en est à l'origine, et Topor est un ami de ce cintré de Jodo...
Cette catharsis faite, vous comprendrez pourquoi je me suis tenu éloigné longtemps de ce polar animalier qui compte depuis peu 4 tomes. Que dire qui n'ait déjà été dit sur la série Blacksad ? Pour ceux qui ne sont pas passés dans une librairir depuis 15 ans, un petit rappel. John Blacksad est un détective privé dans toute la splendeur du cliché hollywoodien. Beau gosse, charmeur mais bagarreur, amateur de belles pépées, de cigarettes et d'imper long. Là où Diaz Canales et Juanjo Guarnido ont tapé fort, c'est dans le character design, en transposant tous les clichés du polar hard-boiled dans l'anthropomorphisme disneyien. Et c'est réussi. Extrêmement.
Le héros est donc un greffier très distingué. Le policier qui le surveille de près un chien. Un journaliste fouineur... une fouine, oui vous comprenez vite le concept. Chaque personnage, chaque mimique donne une impression de justesse incroyable, mêlant très habilement la perception que l'on a du personnage avec l'image que nous renvoit son faciès animalier. Un coup de maître accompli à grands coups d'aquarelles sublimes et de couleurs éclatantes par Guarnido, qui ne perd pourtant pas de vue le trait. Je ne vois pas vraiment pas ce qu'on peut reprocher niveau dessin à ce jeune Espagnol. Vous me direz des nouvelles de la pleine-planche du T4 tiens... Ou de la scène sous les arbres, avec les ombres des feuilles dansant sur le costume clair du Matou...
Niveau scénario, la qualité est de mise également. D'abord classique dans le T1 avec une enquête sur le meutre de Natalia, la petite amie de Blacksad. Puis glaçante dans le T2 avec son allégorie du White Power et des exactions du KKK. Plus sombre encore avec le maccarthysme et la peur de la Bombe dans le T3. Concernant le T4, on revient à quelque chose de plus humain, de moins grandiloquent dans les conséquences. Le félin est envoyé à la Nouvelle-Orléans (en plein carnaval sinon c'est pas drôle) pour retrouver un chanteur de blues un peu junkie sur les bords. L'occasion parfaite pour une plongée dans le monde de l'industrie musicale des années 50, ségrégationniste quand ça l'arrange. Et quand une pointe de vaudou s'en mêle, c'est parti pour saupoudrer Blacksad d'une once de mystère plutôt affriolant. Par contre, faut s'accrocher un peu car la narration à coup de flashbacks n'est pas toujours très claire. Au moins, on lira plusieurs fois l'album pour en saisir toutes les nuances, c'est pas plus mal. Les 7 premières planches sur le site de l'éditeur.
Une série policière de haute tenue, amenée à faire partie des classiques.
Blacksad, Juan Diaz Canales & Juanjo Guarnido, Dargaud, 4 tomes dispo, 13.50€
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