La stupidité, ça peut s'excuser. D'abord par prudence, car on est toujours le con d'un autre, ce n’est pas moi qui le dis, c'est l'autre con. Ensuite parce que le crétin standard est certainement la victime d'une éducation trop négligée pour une société trop laxiste, ce n’est pas moi qui le dis, c'est Frédéric Mitterrand. Enfin, parce que les débiles profonds sont aussi nombreux que les mouches et que dix milliards de mouches ne peuvent pas se tromper, il faut aimer la merde, ce n’est pas moi qui le dis, c'est Sam Elliot.
Mais la stupidité, ça devient problématique quand ça touche quelqu'un de socialement important. Tenez, prenez par exemple un Président de la République française qui déclare au Pape, au Pape hein, qu'il faut réguler internet "pour en corriger les excès et les dérives qui naissent de l'absence totale de règles", objectif qui relève, selon lui, "d'un impératif moral".
Déjà, parler d'internet au Pape, c'est comme parler de développé couché à Stephen Hawking, ça ne va pas l'intéresser des masses. Ensuite, quitte à parler d'internet, il faudrait éviter de dire des monstruosités juridiques qui font hurler l'avocat que je suis à la mort.
Pour commencer, oser indiquer qu'il y a des excès et des dérives à internet, c'est d'une banalité tellement stupide que ça en est confondant. Allô, Monsieur le Président ? Allô ? Internet, c'est une communauté humaine, donc elle génère forcément des excès et des dérives. La société française par exemple, en tant que société humaine, comporte des excès et des dérives, la mafia par exemple, la violence, la tricherie et le mensonge bref...Internet, ce n’est pas plus le Far West qu'autre chose. C'est donc inutile de le préciser.
Ensuite, dire que ces excès et dérives naissent de l'absence totale de règles, alors là, les bras m'en tombent. Non, mais, Monsieur le Président, vous savez combien de règles de droit concernent l'internet multimédia 2.0 ? Sans blague, vous l'ignorez ? Mais internet n'est pas une zone de non-droit, il faut être totalement gogol pour oser même pouvoir imaginer ça. Toutes les règles du droit classique s'appliquent à internet, sans compter les lois spécialement dédiées (genre, la LCEN, la DADVSI, l'HADOPI, bref, une bonne partie du code de la propriété intellectuelle). Alors, je vais vous apprendre une vérité incroyable, toutes les règles du droit français s'appliquent à internet. Et vous, vous considérez qu'internet, c'est une absence totale de règles ?
Enfin, réguler internet, c'est pour vous, un impératif moral. Alors là, je dis chapeau, c'est magnifique le feu d'artifice se clôture en beauté: en résumé, il est moralement impératif qu'une communauté humaine soit régulée par des lois.
Alors, je vais vous dire: ça fait des millénaires que le rapport du droit à la morale, à l'équité et à Dieu a été étudié et honnêtement, non, ce n'est pas un impératif moral de créer des lois. D'abord parce que vous ne sauriez pas définir précisément la morale, ensuite parce que la loi et la morale, même définie très simplement ne se confondent pas du tout. Elles peuvent se recouper, se croiser et s'éloigner, mais le besoin de réguler la vie sociale ne vient pas d'un impératif moral. Il vient de ce que les hommes qui coexistent en commun doivent, s'ils veulent pouvoir fonctionner ensemble un minimum, avoir un projet commun et l'imposer à toute la société. Si vous croyez vraiment que la morale est la mère de la loi, jetez un oeil au quatrième de couverture de n'importe quel livre de John Rawls ou de Hayek ou de Marx et vous verrez que, quelle que soit la conception que vous en ayez, le droit, ce n'est pas de la morale. Parlez nous de droit naturel et de droit positif, je ne sais pas, mais stoppons là les stupidites.
Ensuite, donc, je vais vous donner l'avis d'un juriste sur internet. Internet ne pose pas le problème de l'absence de règles, on vient de le voir. Internet pose le problème de l'application de la règle. Internet, ce n’est pas le Far West. Si vous aviez voulu faire des comparaisons, vous auriez pu rester poète en indiquant qu'internet, c'est l'Olympe et cela pose la question de l'efficacité de la norme dans un environnement où le délinquant peut changer de forme comme proteus (en modifiant son adresse ip avec un vpn ou un proxy), communiquer à la vitesse de la pensée avec ses acolytes (chat/forums), jouïr de clairvoyance et de clairaudience (webcams), maîtriser la magie vaudou (ordinateurs zombies), agir à distance (les tentatives d'escroqueries orchestrées depuis des pays lointains sont très nombreuses), dupliquer les objets numériques à l'infini (contrefaçon d'oeuvres de l'esprit), envoyer des millions de chevaux de Troie à travers le monde...
Internet, c'est, d'un point de vue informatique, donner un pouvoir divin à des mortels. Les règles humaines ne sont peut-être plus très adaptées. Inutile donc d'en rajouter.
On m'objectera que tant de révolte pour une phrase, si crétine soit-elle, c'est exagéré. Mais c'est faux. Le paradigme du Président est gravement erroné et explique que notre Assemblée nationale et notre Sénat sont terriblement enfermés dans l'erreur qui consiste à considérer qu'internet est une zone de non droit et qu'il convient donc de faire des lois pour le policer. Or, en réalité, on ajoute des lois inefficaces à d'autres lois inefficaces quand la seule vraie réflexion du juriste devrait être, comment rendre les centaines de règles déjà applicables à internet utiles ? Comment encadrer une délinquance matrixiènne ? Ou alors faut-il commencer à repenser certaines règles sur la propriété privée en matière de contrefaçon ? Doit-on ou peut-on violer une partie de la vie privée des internautes pour les protéger ? Jusqu'où les moyens de lutte contre cette cybercriminalité doivent-ils aller, par rapport à la démocratie ?
Une justice automatisée, à la Hadopi 1ere version du texte, celle censurée par le Conseil constitutionnel, est-elle souhaitable ? Voilà quelques vraies questions à se poser, Monsieur le Président, et à poser au Pape si vous pensez que cela l'intéresse.
Mais par pitié, cessons de considérer internet comme un Far West. C'est juste con.
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