Inspiré d'échanges récents dans le topic de la musique, parlons ici d'indus, au sens large et sans restrictions.
Peut-être un petit aperçu vite fait avant toute chose ? Volontiers, mais je ne suis ni prof ni journaliste donc pas forcément très doué pour présenter les choses.
Le terme est né en 1976, avec la création du label Industrial Records par le groupe anglais Throbbing Gristle. Le mot a en fait été trouvé par l'artiste/cinglé Monte Cazazza, avec l'expression "Industrial Music for Industrial People".
A ce moment, l'indus était une réponse à la chute du punk, pourtant prometteur, dans la routine rock'n'roll. Il s'agissait donc d'un mouvement qui s'est démarqué dès l'origine du rock, du punk, de la pop et en fait d'à-peu-près tout. Ces artistes se définissent entre autres par des références communes : William S. Burroughs, Philip K. Dick, Aleister Crowley, H.P. Lovecraft, le Comte de Lautréamont...
Jon Savage détaille ainsi en 83 les axiomes de l'industriel :
-Une autonomie organisationnelle (usage de leurs propres labels et voies de distribution) ;
-Un accès illimité à l'information : réexamination de tabous, propagande intensive et une très forte conscience du combat pour l'information ;
-Utilisation de synthétiseurs et d'anti-musique : la musique n'est pas une fin en soi, mais il est important que la forme réponde du fond ;
-Inclusion d'éléments extra-musicaux ;
-"Shock Tactics : a time honored technique to make sure what you have to say gets noticed"...
(à noter que Monte Cazazza n'a jamais prétendu avoir quoi que ça soit à dire ; aux dires respectueux de Genesis p-orridge de Throbbing Gristle, il s'agissait plutôt des actes désordonnés d'un maniaque psychotique camouflés sous un prétexte artistique).
Voilà l'industriel tel qu'il était à sa création. Il faut aussi remarquer que la majorité des pionniers de l'industriel estimaient dès 1983 que le mouvement était mort, enterré, vendu et compromis.
Quelques noms d'artistes fondateurs : Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, SPK, Mark Pauline (en tant qu'ingénieur et metteur en scène de n'importe-quoi ultraviolent, encore en activité, quoique diminué de quelques doigts, à travers le Survival Research Lab), Monte Cazazza.
Pour plus d'infos sur cet industriel originel, voyez le numéro 6/7 du magazine Re-Search, intitulé Industrial Culture Handbook (1983).
Cette source oublie un peu, à mon avis, de mentionner qu'en France, Die Form commençaient à se remuer, et que depuis trois ans en Slovénie, Laibach terrorisait le chaland et remuait la vase qui végète à la base de tout système politique.
Aujourd'hui, cet héritage industriel est toujours actif. Genesis p-orridge, en tant qu'artiste-performer, perpétue la vision de Throbbing Gristle et de Psychick TV. N'importe quelle recherche google vous montrera de quoi est capable cet énergumène, mais je ne vais pas en parler parce que c'est HC.
Laibach sont toujours en activité et sont à la tête d'un des groupuscules d'avant-garde les plus intéressants aujourd'hui à mon avis mais comme ils ne se cantonnent pas à l'indus, je n'en parlerai pas plus.
Les techniques initiallement développées par les pionniers de l'industriel se sont diffusées dans la pop, et le succès d'artistes comme Marilyn Manson et Rammstein semble donner raison à la vision pessimiste des originels du mouvement.
Oui mais ça serait trop simple, puisque, avec les belges de Front 242, l'Electronic Body Music a fait son apparition.
Mâtinée de techno ou de metal, voilà en gros ses groupes-phares :
Hocico, Grendel, Spetsnaz, Combichrist, Hanzel und Gretyl, Psyclon Nine, Tamtrum, etc.
Une fraction goth s'est également emparée de l'héritage industriel, et en a tiré un truc assez sympa : voir Das Ich, Skinny Puppy, etc.
Le metal, évidemment, s'est copieusement nourri de l'indus. L'exemple le plus pertinent à mon avis est celui de Ministry, un groupe qui a profité du grand motocultage orchestré par la Beat Generation pour pousser.
On peut citer aussi KMFDM, ou même voir ce que le Black Metal a fait de l'indus, avec l'exemple de Blacklodge.
Les portes ouvertes, ou plutôt enfoncées par l'industriel ont permis à la musique concrète de faire un retour remarqué : finalement assez proches des futuristes italiens comme Luigi Russolo, des groupes cultes comme Einstürzende Neubauten peuvent être d'une certain façon affiliés à l'indus, allez hop on est pas sectaires y'a encore de la place dans l'panier.
Il existe aussi une fraction d'irréductibles, de durs, qui prônent un industriel très proche dans l'intention de celui de l'origine, avec un nihilisme des plus coriaces, celui de 80.
A la tête de ces gens-là, moi j'ai envie (mais ça n'regarde que moi) de placer deux labels. Un allemand, Galakthorrö, qui produit notamment Haus Arafna, et un suédois, Cold Meat Industries, fondé par Roger Karmanik, plus connu sous le nom du type-qui-fait-Brighter Death Now, et qui produit Raison d'être, In Slaughter Natives, et pas mal d'autres.
A noter aussi la mouvance Power Electronics, avec des artistes comme Pneumatic Detach, Feindflug ou encore Iszoloscope, mêlant bruitisme, rythmes dancefloor pour certains et fond industriel.
Dans le grand vide laissé par la pulvérisation des valeurs se sont immiscés quelques personnages, créant au passage le néo folk mais c'est à mon avis un tout autre sujet, très vaste aussi, que je n'aborderai pas. Citons juste un nom, Current 93, parce qu'il roxx. Avis aux amateurs des écrits de Crowley.
Voilà, j'ai essayé d'aborder un peu tout, maintenant on va tous linker comme des brutes et vont pas me laisser tout seul avec ce monumental TL:DR
Alors il va sans dire que si quelqu'un a envie de me contredire ou pense que j'ai écrit une connerie, qu'il me le dise, et je corrigerai. Pareil pour les phôtes.
Des livres intéressants qui causent plus ou moins du sujet ou qui sont cités par les groupes :
REsearch #6/7 : Industrial Culture Handbook, V. Vale & Andrea Juno, 1983. (EN)
Laibach & NSK : Interrogation Machine, A. Monroe, MIT press, 2005. (EN)
Musiques Expérimentales : Une anthologie transversale d'enregistrements emblématiques, Philippe Robert, Le mot et le reste, 2007. (FR)
Les auteurs de la Beat Generation sont très fréquemment cités : W.S. Burroughs (oui, je sais que c'est pas un beatnik, mais j'écourte), J. Kerouac, A. Ginsberg, B. Gysin.
Beaucoup de références à Jean-Paul Sartre. La bibliographie de Throbbing Gristle comporte à-peu-près tous ses bouquins.
Philip K. Dick, évidemment, et plus particulièrement A Scanner Darkly (Substance Mort).
Les livres d'Howard Philips Lovecraft.
Les manifestes Dada et surréalistes.
Le manifeste L'Art des Bruits, de Luigi Russolo.
Traité de bave et d'éternité, Isidore Isou.
Je n'ai pas lu les bouquins Camion Blanc sur le sujet, mais il paraît qu'ils valent le coup.
Des flims aussi. C'est arbitraire, mais je pense pas me gourer de beaucoup :
Stalker, de Tarkovski.
Les deux Mad Max, de George Miller (ouais, y'en a que deux).
Lost Highway, de David Lynch.
La Jetée, de Chris Marker.