Si j'en crois ce que je lis sur le Net, Sony est l'exact opposé d'une femme enceinte. Laissez-moi vous expliquer: Quand une femme tombe enceinte, c'est qu'elle s'est fait aimer, vous en conviendrez bien volontiers. Et lorsqu'elle perd ses eaux, c'est qu'elle est prête à entrer dans ce qu'on appelle communément la phase de délivrance.
Alors que, si on en croit les consommateurs révoltés, quand Sony perd ses OS, ce sont les autres qui se font fait baiser et en plus ça signifie que cette société va totalement foirer sa phase de délivrance.
Mais reprenons: L’un des arguments de vente de la PS3 lors de sa sortie, avait été de permettre l'installation d'autres OS que celui de Sony et certains acheteurs de cette console avaient installé la distribution Linux Yellow Dog. Mais voilà qu’aujourd'hui, Sony vient de décider que finalement, il ne serait plus possible, pour des raisons de sécurité, de conserver les autres OS.
Les consommateurs s'en sont émus et on entend hurler au vol, à l'assassin, ah que si on avait su, on n'aurait pas acheté la PS3 et que c'est un scandale, etc. L'un des acheteurs anglais de la PS3 a même obtenu un remboursement partiel de la part d'Amazon UK, en invoquant la directive européenne 1999/44/CE/ du 25 mai 1999 (ce qui ne veut certainement pas dire que son argumentation est bien fondée, mais simplement qu'Amazon n'a pas voulu aller jusqu'au procès). Alors, qu'en est-il vraiment ? Cette modification est-elle vraiment illégale ? Grâce à mon appel aux bonnes volontés, j'ai obtenu les documents qui ont été portés à la connaissance de l'acheteur d'une PS3, et voilà ce que nous pouvons juridiquement dire.
Le contrat de "licence de logiciel système applicable au système PlayStation 3" contient une clause 3 (Services et Mises à Jour) qui stipule que Sony "peut fournir des mises à jour, des mises à niveau ou des services de votre système PS3™ afin de veiller à ce qu'il fonctionne correctement et conformément aux directives SCE, ou peut également vous adresser de nouvelles offres. Quelques services peuvent être fournis automatiquement et sans préavis lorsque vous êtes en ligne. En outre, d'autres services peuvent vous être fournis par l'intermédiaire du réseau en ligne de SCE ou de canaux autorisés. Sans limitation, les services peuvent inclure la fourniture de la dernière mise à jour ou du dernier téléchargement d'une nouvelle version susceptible d'inclure des correctifs de sécurité, de nouvelles technologies ou des configurations et fonctions révisées ou nouvelles pouvant empêcher tout accès à des contenus piratés ou non autorisés ou toute utilisation d'un matériel ou d'un logiciel non autorisé en lien avec le système PS3™. De plus, vous ne pourrez peut-être pas visualiser votre propre contenu s'il inclut ou affiche du contenu protégé par une technologie d'authentification. Certains services peuvent modifier vos configurations actuelles, donner lieu à une perte de données ou de contenu ou entraîner la perte de certaines fonctionnalités. Il vous est recommandé de procéder régulièrement à la sauvegarde des données hébergées sur votre disque dur et dont le type permet la sauvegarde."
Et un article 9 (Dispositions juridiques de portée générale) qui stipule "En utilisant le Logiciel Système ou en y accédant, vous acceptez d'être lié par l'ensemble des modalités actuelles du présent Contrat". Et aussi que Sony "peut, à sa discrétion, apporter des modifications aux modalités du présent Contrat à tout moment, étant précisé que celles-ci peuvent comprendre celles figurant dans la documentation ou le manuel du système PS3™ ou encore sur le site http://www.scei.co.jp/ps3-license/index.html. [...] Votre accès à ou utilisation continu(e) du Logiciel Système indique que vous acceptez les modifications apportées au présent Contrat."
Cela signifie que le consommateur accepte ce contrat puisqu'il utilise le logiciel système de la PS3 et qu'il accepte donc que Sony modifie le logiciel système sans problème, lesdites modifications pouvant impliquer la perte de certaines fonctionnalités.
Ce simple constat nous permet d'écarter sans hésiter les questions de dol ou de vices du consentement que l'on voit fleurir sur le Net. Ici, il n'y a pas de tromperie de la part de Sony, puisque l'acheteur est réputé avoir lu le contrat de licence et qu'il sait donc parfaitement que Sony peut changer à volonté les fonctionnalités de sa PS3 si bon lui semble.
On peut également écarter, me semble-t-il, la question du défaut de délivrance, invoqué par le consommateur anglais à l'encontre d'Amazon UK, qui lui a remboursé partiellement le coût de la PS3 puisqu'il n'avait plus la possibilité d'utiliser Linux sur sa machine. Le consommateur anglais a invoqué une Directive européenne (ça fait impressionnant comme ça, mais bon, en France, la Directive est insérée dans notre droit national depuis l'ordonnance 2005-136 du 17 février 2005 elle-même codifiée aux articles L. 211-4 et suivants du Code de la consommation), mais c'est pas forcément le bon terrain. (A nouveau, ce n'est pas parce que Amazon a préféré payer dans le cadre d'un geste commercial que le terrain juridique invoqué par le consommateur est le bon).
En effet, l'argument de l'anglais repose sur le défaut d'une obligation de délivrance du bien vendu. La fameuse directive impose que le bien délivré à l'acheteur soit conforme à ce qui lui a été dit, mais, ainsi que le confirme notre article L. 211-8 du Code de la consommation, l'acheteur ne peut contester la conformité en invoquant un défaut qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer lorsqu'il a contracté. Or, quand l'acheteur se procure une PS3, il a, à l'époque de son achat, un objet qui correspond à ce qui lui a été dit. Il peut installer Linux dessus. Il n'y a pas un "défaut" de conformité. En outre, l'acheteur a accepté dès le départ le contrat de licence, il a donc connaissance de ce que dans l'avenir, Sony peut changer les fonctionnalités de la PS3 à sa guise et donc éventuellement lui sucrer la possibilité d'avoir un autre OS.
Alors ? le consommateur doit-il imiter le cri d'amour du poulet à la broche d'un vibrant "Je suis cuit cuit" ?
Non.
Un autre terrain juridique existe qui devrait permettre de crier à Sony "va chercher" afin qu'elle nous rapporte l'OS.
En effet, une ordonnance du 23 août 2001, adaptant plusieurs textes communautaires sur la consommation, et codifiée entre autres à l'article L. 132-1 du Code de la consommation, lui-même modifié par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, prévoit que "Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat."
Vous sentez venir le truc ? La DGCCRF a toujours considéré qu'une clause est abusive lorsqu’elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Or, la modification unilatérale des caractéristiques d'un bien vendu entre à l'évidence dans ce champ des clauses abusives. Et c'est d'ailleurs confirmé par le décret du 18 mars 2009, qui complète l'article R. 132-1, qui dispose que "Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives[...] et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : 3° Réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre;"
Par conséquent, la clause par laquelle le consommateur est réputé acquiescer à la possibilité que se réserve Sony unilatéralement de modifier les configurations et fonctionnalités de la PS3, apparaît nulle et donc non écrite.
Vous pourriez donc être en droit de vous plaindre de cette modification des spécificités de votre console et Sony, selon cette analyse, l'a dans l'OS. Attendons de voir si d'autres acheteurs mécontents obtiennent gain de cause en justice.
Ah oui, et pour ceux qui ont souffert de ces jeux de mots foireux sur les OS, je me permettrais de leur rappeler ce vieux dicton plein de sagesse: Lorsque le chien jaune aboie, le car-à-vannes passe.
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