En matière de technologie, je suis un visionnaire. Mais ne vous y trompez pas, c'est très frustrant car on me vole en permanence mes idées. Déjà, à l'époque, il suffisait que j'en rêve et paf, Sony le faisait. Mais je n'ai jamais touché un seul centime. Et figurez-vous que, moi qui suis PC, Windows 7 c'était mon idée ! Et Microsoft sort son OS, sans aucune considération pour moi, l'ingrat. Et si vous croyez que Mac est plus respectueux de mes inventions, détrompez-vous. Quand l'iphone est sorti, je me suis dit tout de suite que c'était un produit mal fini. Non, c'est vrai, ce qu'il fallait, pensais-je à l'époque, c'est un iphone beaucoup plus gros et puis qui ne téléphone pas. Tout le monde se moquait de moi, mais, tandis que je m'apprêtais à matérialiser mon invention, Steve Jobs dévoile au CES 2010 l'Ipad ! Non mais c'est frustrant, je vous assure !
Et enfin, je me suis dit qu'avec un nom aussi quiche, il y aurait sûrement un idiot pour l'avoir déposé à titre de marque. Cela n'a pas manqué, on apprend que le groupe franco-italien STMicroelectronics a déposé la marque Ipad en 2000 à l'OHMI, l'Office d'enregistrement des marques de l'Union européenne. Et aux States ce n'est pas mieux, le fabricant Fujitsu revendique un dépôt en 2003 à l'USPTO, le bureau américain des enregistrements de marques et brevets.
Les trois sociétés vont donc devoir se retrouver autour d'une table pour négocier le bout de gras, si Apple souhaite éviter un procès en tous les cas. Mais, me direz-vous, une marque, c'est quoi exactement ?
Très bonne question les enfants, en plus ça tombe bien, je voulais justement vous en parler.
Déjà, le droit français ne définit pas la marque. Tout juste l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la marque doit servir « à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale ».
La directive n° 2008/95/ du 22 octobre 2008 de rapprochement des législations sur les marques, tout comme d'ailleurs le Règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire, restent superbement muets sur la question et ne définissent pas non plus la marque.
C'est la Cour de justice des communautés européennes qui, au fil de ses décisions, a fini par juger que la fonction de la marque est l'indication d'origine ou la garantie de provenance ou, encore, la garantie d'identité d'origine. Mouais !
Disons plus simplement que la marque est un signe qui sert à distinguer des produits ou services de ceux de ses concurrents.
La Cour de justice des communautés européennes a d'ailleurs confirmé, dans un arrêt du 18 juin 2009, que la marque a pour fonction de communiquer une information au consommateur.
Mais quelle information exactement ? Eh bien :
- soit pour lui permettre, comme on l'a vu, de différencier des produits concurrents entre eux,
- soit, quand la marque est plus connue, pour lui faire passer un message de qualité de produit,
- soit, enfin, lorsque la marque est de grande notoriété, à représenter l'image du produit, les valeurs de l'entreprise, un style de vie.
Et voilà toute l'histoire : une marque sert à communiquer une information et donc, pour que la marque ait un sens, il faut une communication, ce qui signifie que la marque doit être concrètement utilisée.
La doctrine française s'accorde sur ce point, et va même jusqu'à dire qu'une marque jamais exploitée n'a jamais été une marque, au sens juridique du terme.
Si cette définition est acceptée non seulement en France et en Europe, mais aussi aux États-Unis, les droits américain et français/européen divergent cependant et ce dernier est plus surprenant.
Le droit fédéral américain depuis 1946 exige, pour enregistrer une marque, que l'on prouve son usage dans le commerce ou, à tout le moins, son intention d'en user. La législation ricaine est donc toute d'une pièce. La marque n'a aucun sens sans usage, donc, pas de protection si on ne s'en sert pas ou que l'on n'est pas sur le point de s'en servir.
En Europe, si « la propriété de la marque s'acquiert par l'enregistrement » (l'article L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle), ce même article ne requiert aucune justification d'un usage de la marque, ce qui est contraire à la définition même de la marque que venons de voir.
En revanche, l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne le défaut d'usage "sérieux" de la marque ; mais, encore faut-il que ce soit pendant une période ininterrompue de 5 ans. Et, encore faut-il qu'une personne réclame la déchéance du propriétaire de la marque ; cela ne se fait pas tout seul.
Le droit communautaire a exactement la même approche et c'est étonnant, car alors, qu'est ce qui est enregistré ? Une "idée" de marque ? Un signe, déconnecté de toute réalité économique ? En tous cas, pas une marque au vrai sens juridique du terme.
Vous me direz, et alors ? Je vous répondrais, et alors en France et en Europe on assiste à une course à l'échalote qui n'existe pas aux US. Puisque vous n'avez pas à prouver l'usage d'une marque, il est donc permis de déposer d'innombrables signes pour tous les produits et services imaginables et monnayer ensuite, pour des millions, la vente de cette marque à une entreprise qui en a cruellement besoin. Ce qui du coup contrevient en réalité au sens de la marque, car l'entreprise qui compte l'exploiter en est privée au détriment du premier déposant qui lui, ne s'en sert pas ! Ce qu'on devrait protéger, c'est l'usage et l'entreprise qui s'en sert, et non pas le signe, car à défaut, on en arrive à une situation délirante : l'entreprise qui veut s'en servir, qui veut communiquer aux consommateurs, est dans l'impossibilité de le faire. Elle est prise en otage par un petit malin plus rapide.
Enfin, quoi qu'il en soit, je vais user de mon pouvoir de visionnaire et déposer toute une variante de marques : Ipud (parce que Mac c'est caca), Ipid (parce que Mac, c'est pour les hippies) et Iped (parce que Mac c'est pour les pédants).
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