Hadopi Banane, c'est un cri de victoire, poussé par l'Elysée, qui résonne aujourd'hui aux oreilles frémissantes des internautes. Hadopi Banane, c'est aussi un cri d'amour de notre Président, lancé à l'intention des majors, des réseaux de distribution old school et des acteurs d'un internet civilisé. Hadopi Banane, c'est enfin un résumé concis de la décision rendue par le Conseil constitutionnel au sujet de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.
Car le Conseil a refusé de considérer inconstitutionnelle la fameuse loi Hadopi 2, sauf pour un petit alinéa de rien du tout. En voilà les raisons principales :
- Le nouvel article L. 331-21-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi HADOPI 2, dispose : " Les membres de la commission de protection des droits, ainsi que ses agents habilités et assermentés devant l'autorité judiciaire mentionnés à l'article L. 331-21, peuvent constater les faits susceptibles de constituer des infractions prévues au présent titre lorsqu'elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne mentionnée aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1.
" Ils peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées. Il est fait mention de ce droit dans la lettre de convocation.
Lorsque les personnes concernées demandent à être entendues, ils les convoquent et les entendent. Toute personne entendue a le droit de se faire assister d'un conseil de son choix.
Une copie du procès-verbal d'audition est remise à la personne concernée."
Le Conseil considère que cet article n'est ni bi-curieux, ni surtout ambigu ; qu'il est en résumé parfaitement clair, contrairement à ce que pensaient les requérants qui avaient saisi le Conseil sur le fait que les termes "faits susceptibles de constituer des infractions" n'étaient pas clairs, notamment à cause du mot "susceptibles".
Le Conseil ajoute que les tribunaux apprécieront au cas par cas, comme il leur appartient de le faire, si un supplément d'enquête ou d'instruction est nécessaire ou si les éléments de preuve rassemblés par les fonctionnaires et agents chargés de fonctions de police judiciaire suffisent à établir la culpabilité de la personne mise en cause et permettent, le cas échéant, la détermination de la peine.
- La loi HADOPI 2 modifie les articles 398-1 et 495-6-1 du Code de procédure pénale, ce qui permet de prévoir le mécanisme de l'ordonnance pénale pour les téléchargements illégaux : c'est un jugement pris rapidement par un juge qui constate, grâce au procès-verbal d'un agent "verbalisateur", la commission d'une infraction.
Vous connaissez déjà cette procédure, très utilisée en matière d'infractions au Code de la route. L'ordonnance pénale, que vous recevez chez vous, vous informe donc que vous avez été reconnu coupable et vous prévient de la condamnation qui a été prononcée contre vous. Mais vous pouvez contester ladite infraction devant un juge du Tribunal de police.
Pour les requérants, cette procédure judiciaire très simplifiée est contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la justice, car les litiges relatifs à la contrefaçon sont bien trop complexes. Ils reprochaient aussi le fait que, si les victimes, c'est à dire les ayants droit, peuvent se constituer partie civile et demander au juge de se prononcer, toujours par ordonnance pénale, sur des dommages et intérêts, cela prive les défendeurs d'un procès équitable, puisque, qui dit procédure rapide, dit moyens de défense limités.
Pour le Conseil, eu égard justement aux particularités des délits de contrefaçon commis au moyen d'un service de communication au public en ligne, le législateur avait le droit de soumettre la poursuite de ces infractions à des règles spécifiques et en prévoyant que ces délits seraient jugés par le tribunal correctionnel composé d'un seul magistrat du siège ou pourraient être poursuivis selon la procédure simplifiée, le législateur a entendu prendre en compte l'ampleur des contrefaçons commises au moyen de ces services de communication.
Egalement, le Conseil rappelle que la procédure simplifiée prévue par les articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la justice et qu’en conséquence, l'extension du champ d'application de cette procédure aux délits de contrefaçon commis par internet et la possibilité qu'une peine de suspension de l'accès à un tel service soit prononcée par ordonnance pénale ne méconnaissent pas davantage ce principe.
Enfin, le Conseil précise qu'aucune règle ne s'oppose à ce que le juge puisse également statuer, par ordonnance pénale, sur la demande de dommages et intérêts formée par la victime dès lors qu'il estime disposer des éléments suffisants lui permettant de statuer.
- La loi HADOPI 2 réintègre l'article L. 335-7 : " Lorsque l'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne, les personnes coupables des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 peuvent en outre être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.
" Lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services.
" La suspension de l'accès n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service. L'article L. 121-84 du code de la consommation n'est pas applicable au cours de la période de suspension.
" Les frais d'une éventuelle résiliation de l'abonnement au cours de la période de suspension sont supportés par l'abonné.
" Lorsque la décision est exécutoire, la peine complémentaire prévue au présent article est portée à la connaissance de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, qui la notifie à la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne afin qu'elle mette en œuvre, dans un délai de quinze jours au plus à compter de la notification, la suspension à l'égard de l'abonné concerné.
" Le fait, pour la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, de ne pas mettre en œuvre la peine de suspension qui lui a été notifiée est puni d'une amende maximale de 5 000 €.
" Le 3° de l'article 777 du code de procédure pénale n'est pas applicable à la peine complémentaire prévue par le présent article."
Le Conseil nous dit à ce sujet que le fait que les délits de contrefaçon puissent être non seulement punis d'amendes et de peines de prison (n'oubliez pas que la loi DADVSI reste en vigueur) et aussi punis d'une peine complémentaire de coupure d'accès à internet avec interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat, portant sur un service de même nature, auprès de tout opérateur, ne méconnaît pas le principe constitutionnel de nécessité des peines. Ce n'est pas, pour le Conseil, une sanction disproportionnée. En outre, le Conseil ajoute que le fait que l'abonné doive continuer à payer l'abonnement à son FAI ne constitue ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition et que cette disposition, qui trouve son fondement dans le fait que l'inexécution du contrat est imputable à l'abonné, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.
- La loi HADOPI 2 crée un nouvel article L. 335-7-1 ainsi rédigé : " Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L. 335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités, en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne auquel la commission de protection des droits, en application de l'article L. 331-25, a préalablement adressé, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation, une recommandation l'invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet.
" La négligence caractérisée s'apprécie sur la base des faits commis au plus tard un an après la présentation de la recommandation mentionnée à l'alinéa précédent.
" Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est d'un mois.
" Le fait pour la personne condamnée à la peine complémentaire prévue par le présent article de ne pas respecter l'interdiction de souscrire un autre contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne pendant la durée de la suspension est puni d'une amende d'un montant maximal de 3 750 €."
Le Conseil précise ici que cette peine complémentaire n'est pas floue, et que la négligence caractérisée est une notion qui ne revêt pas un caractère équivoque.
- Enfin, la loi HADOPI 2 modifie l'article 434-41 du code pénal qui punit d'une peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende "la violation, par le condamné, des obligations ou interdictions résultant des peines... d'interdiction de souscrire un nouveau contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne résultant de la peine complémentaire prévue en matière délictuelle par l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle."
Pour le Conseil, cette disposition n'institue pas une peine manifestement disproportionnée.
En revanche,
- Le Conseil déclare inconstitutionnel le 2ème alinéa de l'article 495-6-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue d'HADOPI 2, car ce dernier prévoit que, dans le cadre de la procédure pénale simplifiée, la victime (les ayants droit) pourra former une demande de dommages et intérêts et, le cas échéant, s'opposer à l'ordonnance pénale (si elle ne prononce pas lesdits dommages et intérêts ou si le montant n'est pas suffisant aux yeux de la victime).
Pour le Conseil, cette disposition ne fixe pas les formes selon lesquelles cette demande peut être présentée ni ne précise les effets de l'éventuelle opposition de la victime.
Cet alinéa est donc déclaré inconstitutionnel.
Alors, que penser de tout cela ? Je préparerai une autre news (voire un article papier) sur le sujet. Pour l'instant, digérons ces informations et poussons tous en cœur le cri de détresse de l'internaute inquiet:
Hadopi Banane !
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