Des visages patibulaires inscrits dans une croix gammée, avec le symbole SS sur des ailes d’aigle : non, cette affiche n’est pas celle d’une nouvelle liste électorale fantaisiste pour les prochaines européennes, mais celle avec laquelle une fédération japonaise de catch avait commencé à promouvoir son Pay-Per-View de juin, Dominion, il y a quelques semaines.
La chose ayant scandalisé la National Wrestling Alliance, un organisme américain qui regroupe diverses associations de catch à travers le monde, l’affiche a été remplacée par une autre plus inoffensive, tandis que le porte-parole de la fédération incriminée commentait l’incident en déclarant que l’utilisation d’une telle imagerie était simplement le résultat d’une "inattention" de leur part. Vraisemblablement avant de téléphoner à sa femme pour lui expliquer que la présence de prostituées transsexuelles dans le lit conjugal la veille au soir était tout bêtement le fruit d’un "malentendu cocasse".
Curieusement, cette affaire d’affiche n’était pas un coup de provoc orchestré par une petite organisation de catch hardcore en mal de publicité, mais par New Japan Pro Wrestling, la fédération numéro 1 de l’archipel nippon, et la deuxième au monde en termes de popularité et de prestige, fondée dans les années 70 par Antonio Inoki (devenu depuis l’une des plus grandes légendes du catch japonais), et désormais la propriété de Yuke’s, le développeur à qui l’on doit la fameuse série des WWE Smackdown vs. Raw.
Quoiqu’il en soit, c’est l’occasion de parler ici de puroresu (catch japonais, le terme étant une japonisation/contraction de l’anglais "pro-wrestling"), parce qu’il n’y a pas que la WWE dans la vie d’un amateur de bastons simulées. Alors aujourd'hui point de Jeff Hardy, de Kane ou de Batista, mais des Keiji Mutoh, des Shinsuke Nakamura et des Miharu Misawa au programme de la rubrique catch. Et beaucoup de vidéos, qui valent souvent mieux qu'un long discours.
Si les nombreuses fédérations de catch au Japon offrent une grande variété de styles, le plus emblématique de ce qui distingue le puroresu de son homologue américain est ce qu’on appelle le Strong Style, personnifié par la NJPW. Le Strong Style met l’accent sur le réalisme et présente le catch comme s’il s’agissait d’un authentique sport de combat (bien que l’issue des matchs reste prédéterminée). Pas vraiment de storylines, pas de gimmicks cartoonesques (à l’exception de quelques personnages comme Jushin "Thunder" Liger, le Bioman des rings), pas de bodybuilders dont l’arsenal se limiterait à deux coups et une projection, un mélange d’arts martiaux et de prises de soumission, des matchs assez longs : le Strong Style préfigurait les compétitions de MMA modernes, et son inventeur, Antonio Inoki, a d’ailleurs décidé d’aller encore plus loin dans le réalisme des combats en fondant la Inoki Genome Federation, dans laquelle des catcheurs affrontent des combattants issus du monde des MMA.
Rivale de la NJPW, All-Japan Pro-Wrestling proposait à l'origine un style légèrement différent nommé King's Road et popularisé par le colossal Giant Baba. Le catch King's Road mise toujours sur le réalisme, mais un peu plus sur la puissance que sur la technique.
Mais il n'y en a pas que pour les spécialistes de la clé de bras qui dure deux heures ou les bourrins dans le catch japonais, puisque les diverses fédérations comptent généralement une division dite "Junior", celle des lourds-légers, au catch plus aérien, proche de la lucha libre. Dans celles-ci se sont illustrés des acrobates comme Tiger Mask (l'une des inspirations du personnage de King dans la série Tekken), Hayabusa (qui a hélas fini en chaise roulante) et des luchadores comme Silver King (interpète du méchant du film Super Nacho) et Low-Ki (qui devrait débuter dans quelques mois à la WWE sous le nom de Kawal).
Une autre différence notable entre le puroresu et le sports entertainment à l’américaine est le traitement du catch féminin (joshi puroresu), pris beaucoup plus au sérieux. Bien qu’en déclin depuis la fin des années 90, avec la retraite de stars comme Akira Hokuto et Bull Nakano, et même si certaines fédérations mettent en avant le physique de leurs catcheuses plutôt que leurs performances sur le ring, le joshi propose quand même généralement des matchs d’un niveau largement supérieur à celui des Divas de la WWE.
A l’opposé de tout ce sérieux, on trouve néanmoins des fédérations qui préfèrent au contraire accentuer les aspects comiques et spectaculaires du catch, comme HUSTLE. Cet "Opéra de Combat" dirigé d’une main de fer par le Généralissime Takada, cruel dictateur à côté duquel Omar Boulon a l’air d’un vrai démocrate, est notamment le théâtre des pitreries de Hard Gay Razor Ramon, humoriste-catcheur dont la classe et la sobriété n’ont d’égale que le respect des marques déposées par la WWE.
Toujours dans le clownesque, Dramatic Dream Team a vu sa ceinture de championnat être remportée par des enfants, un singe ou encore une peluche Hello Kitty. Parmi les compétiteurs, on trouve des robots et des momies. C'est aussi la fédération où s'affrontent Kikutaro et Ebessan, les adeptes du catch mou. Bizarre que Ramu, la gamine maléfique qui dirige DDT, n'ait jamais embauché Mokujin-ken, le catcheur-boîte en carton, mais elle peut en revanche se targuer d'être la seule à bénéficier du talent de Misutero, le catcheur invisible.
Bref, c'est vraiment dommage que Graham Chapman ait décidé d'amputer les Monty Python d'un membre en 1989. Colin "Bomber" Harris aurait sûrement eu une sacrée carrière dans le monde merveilleux du puroresu.
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