Note du chroniqueur ensommeillé : Scusez pour la interuptionne de la roubrique. Retour de "Guerre et Pègre" après quinze jours de formation intensive en immersion totale : "Théorie et méthode pour changer une couche de nourrisson sans se faire pisser dessus, ah putain le salopiau !…"
En une quinzaine d'années, Dennis Lehane est devenu un auteur incontournable du roman policier américain, un vrai grand. Quand Richard Price écrit sur New-York, Michael Connelly et James Ellroy sur Los Angeles, et George Pelecanos sur Washington, Dennis Lehane raconte, lui, son Boston. Pas le Boston huppé des université et des grandes familles, mais celui de son enfance dans les quartiers pauvres.
Commencée en 1994 avec le cycle formé par les cinq enquêtes de Patrick Kenzie et Angela Gennaro ("Un dernier verre avant la guerre", "Ténèbres, prenez-moi la main", "Sacré", "Gone, Baby, Gone" et "Prières pour la pluie"), sa renommée d'écrivain a ensuite touché un public plus large que celui des polars, notamment grâce au succès de "Mystic River" et "Shutter Island".
Mais Dennis Lehane est aussi très présent sur grand et petit écran : il a participé à l'écriture de la meilleure série policière de tous les temps ("Sur écoute" / The Wire), et deux de ses livres ont été excellemment adaptés au cinéma ("Mystic River" par Clint Eastwood et "Gone, Baby, Gone" par Ben Affleck). Un troisième, "Shutter Island", est en cours de post-production sous la direction de Martin Scorsese et sortira en France en octobre 2009.
Son dernier livre, "Un pays à l'aube" (titre original : The Given Day) s'éloigne du roman noir et du thriller pur pour dessiner une épaisse fresque (750 pages, quand même) du Boston des années 20, dans laquelle se croisent une star nonchalante du base-ball, un ouvrier noir accusé de meurtre et contraint à la fuite, ainsi qu'un flic irlandais qui va passer de la lutte anti-bolchevique à l'activisme syndicale.
Les années 20 évoquent habituellement l'insouciance, le jazz et la prohibition, mais ce n'est pas ce qui intéresse Dennis Lehane. "Un pays à l'aube" a l'immense mérite de nous faire redécouvrir une ambiance oubliée : d'un côté les soldats reviennent du front européen et on licencie les ouvriers noirs pour leur faire de la place; de l'autre, les masses d'immigrants toujours plus nombreux amènent dans leurs bagages les idées révolutionnaires du Vieux Continent.
En réalité, à la fin de la guerre en 1918, l'Amérique est en pleine crise d'adolescence et la tension est extrême dans tout le pays: les anarchistes organisent partout des attentats à la bombe, les socialistes agitent les usines et réclament des droits syndicaux pour les travailleurs, les émeutes raciales sont réprimées dans le sang et des grèves tournent à la bataille rangée, provoquant une obsession anti-communiste qui aura de belles années devant elle. C'est dans ce contexte agité et passionnant qu'interviennent les personnages de Lehane, jusqu'au point culminant que constitue la grève de la police de Boston en 1919.
A la façon d'un James Ellroy recréant le Los Angeles des années 50, Dennis Lehane a cherché à se tailler un univers à sa pogne : sa description de l'époque est vivante, minutieuse comme un décor de film historiquement fidèle. Trop fidèle, peut-être. Il y manque la folie d'un James Ellroy, fantasmant sa ville autant qu'il la recrée, qui permettrait d'entraîner le lecteur dans une vraie cavale plutôt que de l'inviter simplement à une promenade instructive. Faute d'être un absolu chef-d'œuvre, "Un pays à l'aube" reste néanmoins une lecture éminemment recommandable.
"Un pays à l'aube", un roman de Dennis Lehane, publié chez Rivages/Thriller, environ 23 euros.
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