Oh je sais, pour vous, le monde du droit est un univers aride, composé d'articles de loi incompréhensibles et de jurisprudences qui assomment, un univers où des femmes aux yeux bandés brandissent leur épée pour trancher, mais trancher quoi, vous n'osez même pas vous poser la question de peur de connaître la réponse, en tous les cas, vous avez le sentiment que ça concerne votre bourse et vous n'avez pas tort. La justice peut coûter cher.
Mais pourtant, le droit c'est aussi un monde rigolo où des proverbes sympathiques peuvent égayer votre quotidien. Durex sex sed sex (*) par exemple, qui vous apprend que l'amour avec un préservatif, c'est quand même de l'amour. On peut également citer ce beau proverbe, " illégal en deçà des Pyrénées, légal au-delà", très connu pour avoir été lancé par l'agneau Pascal juste avant de se faire égorger (**). Et que voulait dire ce bel agneau, que nous appellerons Théodore, ou bien Blaise, comme vous préférez ? Eh bien, tout simplement que ce qui est illégal dans un pays peut être légal dans un autre et que donc, aucun comportement n'est illégal par nature. Il ne l'est que par une décision d'un gouvernement ou d'un autre.
Prenons un exemple pour illustrer cet adage. Les États-Unis ont un contentieux international depuis des années avec Antigua-et-Barbuda, un petit pays des Antilles, aux Caraïbes. Figurez-vous que ce pays vit d'exploitation de sites internet de casinos et de paris online, concernant des sports européens et américains. Mais les États-Unis ont bloqué ces sites, les déclarant illégaux pour les Américains, au titre de plusieurs lois fédérales et locales.
Or, pour le gouvernement d'Antigua-et-Barbuda, ces sites sont parfaitement légaux et respectent toutes les chartes internationales de lutte contre la fraude, le blanchiment d'argent, etc.
Donc vous voyez, illégal aux US, selon des lois fédérales, légal aux Antilles, selon les lois du gouvernement d'Antigua-et-Barbuda.
Mais ce n'est pas tout.
Car, comme vous le savez, la plupart des Etats dans le monde (plus précisément, 157 Etats) sont membres de l'Organisation Mondiale du Commerce, l'OMC (ou WTO pour les Anglais). L'OMC c'est une organisation internationale qui s'occupe des règles régissant le commerce entre les pays
Et donc, comme les États-Unis et Antigua-et-Barbuda font partie des 157, ce dernier a saisi l'OMC pour trancher le litige invoquant le fait que les USA bloquent illégalement leur activité.
Et là, vous allez voir, le double effet Kiss Cool de l'adage susnommé.
En 2003/2004, l'OMC donne raison à Antigua-et-Barbuda. Leurs sites de paris et de casinos en ligne sont tout à fait légaux et respectueux des lois internationales, donc, les États-Unis ne peuvent pas les déclarer illégaux.
En 2004/2005 les États-Unis font appel et perdent.
Les deux pays essayent de transiger, ou plutôt, Antigua-et-Barbuda aimerait bien, mais les États-Unis lui font un joli doigt d'honneur tout en lui précisant bip you, parce que bon, on reste américain, on vous emmerde mais on ne peut pas le dire avec des gros mots.
En 2005, l'OMC est à nouveau saisi, cette fois pour savoir quel délai est accordé aux États-Unis pour mettre leur législation en vigueur, compte tenu du jugement de l'OMC qui donne raison à Antigua-et-Barbuda. Parce que bon, le jugement, c'est bien, mais tant que les lois fédérales et locales continuent d'exister, les sites en question sont toujours illégaux. Les États-Unis ont jusqu'en avril 2006 pour corriger le tir.
Passé ce délai, mais toujours en 2006, Antigua-et-Barbuda saisit à nouveau l'OMC parce que bon, là, ça va bien quoi et l'OMC reconnaît que les États-Unis n'ont toujours rien fait. Les Américains finassent et il faudra encore 3 autres saisines de l'OMC, entre 2006 et 2007, pour que l'OMC finisse par se fâcher et accepte, pour forcer les États-Unis, de permettre à Antigua-et-Barbuda de suspendre tout reversement aux USA des droits liés à la propriété intellectuelle de leurs artistes et créateurs jusqu'à ce que les USA lèvent l'embargo sur leurs sites de paris et de casino.
Oui, vous avez bien lu, un Etat a le droit de ne pas respecter la propriété intellectuelle des artistes d'un autre Etat !
Après encore bien des tentatives infructueuses de transactions avec les États-Unis, le gouvernement d'Antigua-et-Barbuda vient d'annoncer qu'il va ouvrir un site internet de vente légale des oeuvres de l'esprit américaines, sans leur reverser un seul centime. Du coup, le prix sera très réduit et très attractif, pour les acheteurs du monde entier. Il serait ainsi prévu un versement de 5$ par mois en échange d'un accès illimité à toutes les oeuvres de l'esprit (musique, films, séries TV, logiciels, etc.) américaines.
Et ce n'est pas du piratage, puisque c'est autorisé par l'OMC. C'est donc légal.
Vous voyez, illégal en deçà des Pyrénées, légal au-delà.
(*) Le lecteur ingénieux aura compris qu'il fallait lire dura lex sed lex, proverbe qui signifie littéralement "la loi est sévère, mais c'est la loi". C'était une élégante façon de dire que, si on juge une loi trop sévère, on doit quand même continuer de la respecter, et il faut la changer plutôt que la contourner.
(**) Le lecteur malicieux aura reconnu le proverbe "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà" de Blaise Pascal.
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