Putain, j'en chialerais. Ainsi se termine, après cinq saisons comme prévu initialement, la meilleure série policière jamais tournée. Bon, allez, probablement la meilleure série tout court en ce qui me concerne.
Les vieux lecteurs de "Canard PC" ont pris l'habitude de lire dans la rubrique "Papier Culture" les râles d'extase qu'Ackboo et moi-même tâchions fébrilement de retranscrire à la sortie de chacune des saisons. A ceux-là, je dis : "Amis, il n'est plus temps de tergiverser, courez vous procurer cette ultime livraison et rendez grâce aux deux auteurs, David Simon et Ed Burns".
Aux autres, qui ne mesurent pas la chance qu'ils ont d'avoir encore devant eux cette découverte à faire, je vais tenter d'expliquer pourquoi ils doivent absolument inclure la totalité de cette série dans leur liste de Noël.
"Sur écoute" (The Wire, en VO) est une série policière qui décrit la vie des criminels et des forces de l'ordre dans la ville de Baltimore. Diffusée par HBO, elle a été créée par David Simon, un ancien journaliste du "Baltimore Sun", et par Ed Burns, ex policier de la ville, source du premier au sein des forces de l'ordre.
Hommes de terrain, ces deux-là ont vu de près tous les problèmes d'une ville confrontée à la pauvreté et au trafic de drogues. Plutôt qu'une succession d'anecdotes vendues au plus offrant des producteurs hollywoodiens, ils en ont tiré une vision profondément politique de la chose. Politique, au sens grecque : "qui a rapport à la conduite des affaires de la Cité". En ce sens, "Sur écoute" est une série extrêmement politique puisqu'elle ne cesse de mettre les acteurs de la société civiles (industriels, politiciens, éducateurs et journalistes) face à leurs responsabilités dans la situation de leur ville.
Durant sa première saison, la série pose les termes de ce qui sera le fil conducteur de toutes les saisons suivantes : d'un côté l'organisation et la vie quotidienne des trafiquants de drogues petits et grands; de l'autre les efforts que la police tente de leur opposer et en particulier ceux qui sont nécessaires pour obtenir des autorités les moyens adéquats. "Sur écoute" est donc d'abord l'histoire d'une longue succession d'enquêtes anti-drogues menées à base d'écoutes téléphoniques, avec ses héros récurrents coté police comme coté gangsters. Mais à partir de ce postulat de départ, et inextricablement lié à celui-ci, chaque saison aborde en prime un thème particulier qui conduit à analyser un aspect différent de la situation sociale de la ville.
La saison 2 explore la désindustrialisation et ses conséquences pour l'activité du port de Baltimore, ses ouvriers et leur syndicat. Pendant la saison 3, c'est l'affairisme et l'obsession du rendement qui entraînent les dealers à prendre des cours de marketing sauvage, les politiciens à user de tous les artifices pour être élus et les policiers à truquer les chiffres de la criminalité par tous les moyens, y compris en expérimentant sur la légalisation de la drogue. La saison 4, peut-être la plus brillante et la plus désespérante à la fois, est consacrée au système éducatif américain et à sa faillite, au sens propre comme au figuré. Enfin, la dernière saison décrit sans pitié la lente dégradation du travail de la presse en introduisant plusieurs personnages travaillant au Baltimore Sun. Et c'est comme cela qu'il faut comprendre le titre original de la série : ce n'est pas seulement une référence à l'écoute téléphonique (the wiretap) : "The Wire" c'est textuellement "le fil", celui qui relie tous les acteurs et domaines de la ville entre eux.
Cette construction originale, où les grands arcs scénaristiques courent sur toute une saison, permet une écriture très libre des épisodes. Puisqu'il n'est pas nécessaire de boucler une intrigue après chaque tranche de 52 minutes, la série prend le temps d'installer ses personnages, de montrer les détails de leur vie, leurs hésitations, leur erreurs. Après quelques épisodes, on se rend compte avec surprise à quel point il est incroyablement agréable d'être considéré comme un adulte par une fiction télé, à quel point a contrario les autres séries sont toutes entières écrites pour un public supposé incapable de se concentrer plus de trois minutes.
Ce n'est donc pas une surprise de retrouver au générique en tant que scénaristes la crème des auteurs de romans noirs américains : Richard Price, George Pelecanos et Denis Lehanne. Tous trois ont des approches similaires de la réalité sociale américaine, bien que prenant en général pour sujet trois villes très différentes : New-York pour Richard Price, Washington pour Pelecanos et Boston pour Dennis Lehane. Rarement une même série aura fait appel à autant de talents d'écriture réunis et, ayant commis grosso modo un quart des scripts, il y a fort à parier qu'ils ne sont pas pour rien dans l'impression générale de qualité. J'ai été également favorablement impressionné par l'attention apportée à la qualité de l'image. Sans effets tape-à-l'œil, ni filtres à la mode ni mouvements bizarres, on sent que les scènes sont filmées avec un vrai soin et chaque plan est réfléchi, donnant parfois lieu à des images superbes. Comme par hasard, parmi les réalisateurs revenant le plus souvent sur la série, on trouve Ernest R. Dickerson, le directeur de la photographie de tous les premiers Spike Lee.
Et pourtant, malgré un succès critique certain (Stephen King s'est même fendu d'un édito dithyrambique sur la saison 4 dans Entertainment Weekly), malgré (ou à cause de) l'incroyable qualité générale de "Sur écoute", la série n'a pas connu de véritable succès d'audience aux Etats-Unis. La faute au propos, trop pessimiste pour le téléspectateur lambda; la faute au rythme, trop posé par rapport aux séries montées comme des clips; la faute aux personnages, trop nuancés pour une télé dominée par Les Experts; la faute au casting, trop… noir. C'est sans doute triste à dire juste après l'élection de Barack Obama, mais il semble bien que ce soit une des raisons du relatif manque de succès de "Sur écoute" : être une des rares séries où 80% du casting est black. Pourtant, les acteurs en question (tous inconnus avant le début ou presque) sont d'incroyables révélations : je serai bien surpris si au moins une demi-douzaine d'entre eux ne cartonnent pas sur nos écrans dans les toutes prochaines années.
"Sur écoute (saison 5)", une série télé en coffret DVD chez HBO / Warner, disponible en zone 2 pour environ 50 euros.
P.S. : "Sur écoute" est disponible en dvd zone 2 (édition Benelux), notamment sur Mediadis.com, mais aussi en import zone 1 (avec une piste de sous-titres en français un poil québécois).
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