Envoyé par
Skiant
Bien le bonjour, Grand Maitre B. En cette journée d'après-noël, j'ai une question qui me titille, qui rejoint en quelque sorte les questions posées plus tôt sur la modération au sein d'un forum.
Sur un forum autre que CPC, un utilisateur s'est fait modérer car il ne respectait pas les règles établies dans la section dans laquelle il a posté. Suite à cela, le monsieur sus-cité a lancé un vaste débat, attestant que la phrase : "Vous autorisez les propriétaires de *insérez le nom du forum ici* à supprimer, modifier, déplacer ou fermer n'importe quel message pour n'importe quelle raison et sans autorisation préalable de votre part." ne respectait pas la loi sur la liberté d'expression.
Je précise qu'il s'agit d'un gros forum "public", comme l'est le forum CPC.
Il ne me semble pas que ce soit le cas, mais j'aimerais pouvoir moucher définitivement l'utilisateur, et les futurs utilisateurs lançant le même genre de remarque, la question de la liberté d'expression étant régulièrement relancée sur des forums.
Aurais-tu dans ton chapeau magique un extrait de loi qui pourrait être utilisé afin de faire cesser le pseudo-débat qui sévit?
Grand merci d'avance.
Bonjour à tous, je profite de ce message pour vous souhaiter de vive voix (enfin, de vous écrire de vif clavier) une bonne fin d'année.
Venons en à la question du jour:
Rappelons tout d'abord le régime de responsabilité des exploitants d'un forum de discussion (que j'avais déjà développé ici)
- L'exploitant du forum de discussion pourra voir sa responsabilité recherchée sur plusieurs fondements. D'une part, il pourra être considéré comme auteur principal de l'infraction, dès lors qu'un texte ouvre une telle possibilité. Ex: l'article 227-24 du Code pénal qui condamne à trois ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende, le fait de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.
D'autre part, l'exploitant de forum pourra également être considéré comme coauteur de l'infraction dès lors qu'il a contribué directement à la rédaction du message. Exemple: un exploitant intervenant, par exemple dans le cadre d'une modération, sur le contenu du message publié.
Enfin, si l'exploitant n'a pas contribué à la rédaction des propos, l'article 121-7 du Code pénal pourra permettre d'engager sa responsabilité au titre de la complicité en cas de mise en ligne de textes constituant un crime ou un délit, cet article précisant que l'aide ou l'assistance apportée doit avoir facilité la préparation ou la consommation de l'infraction.
Moralité: il faut des modérateurs, c'est très important: parce qu'en général, on n'engagera pas la responsabilité d'un exploitant de forum qui agit dans les temps pour modérer, disons, supprimer, les messages illégaux.
- Si modérer est donc fondamental pour s'éviter des pbs, quid de la liberté d'expression, lorsque le message supprimée ne viole pas la loi ?
La liberté d'expression est consacrée par plusieurs textes:
La Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 qui dispose :Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 renvoie expressément, dispose en son article 11 :
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Note: Le Conseil constitutionnel a donné à cet article une portée très large, l'appliquant non seulement à la presse et à la communication audiovisuelle, mais admettant également “le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l'expression de sa pensée” (Décision du 29 juillet 1994, n° 94-345 DC).
Et n'oublions pas l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui envisage quant à lui les limitations inhérentes à l'exercice de la liberté d'expression :
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. [...]
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Donc, vous avez compris que la liberté d'expression, c'est in, c'est bat, c'est important. Mais, s'il ne peut y avoir de société de l'information sans liberté d'expression, la liberté d'expression n'est pour autant pas absolue sur internet. En effet, à défaut de dispositions spécifiques réglementant la liberté d'expression sur internet, les règles applicables aux forums de discussion sont celles du droit des libertés fondamentales, du droit des contrats et éventuellement des usages existant en la matière.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a ainsi rendu un jugement le 12 décembre 2001 à ce sujet reconnaissant pour la première fois la possibilité de limiter conventionnellement – au moyen par exemple d'une charte d'utilisation – la liberté d'expression des intervenants sur un forum de discussion.
L'attendu principal du jugement dit "que l'espace de discussion “attac-talk” constitue un lieu privé ouvert au public sous la responsabilité de l'association qui en détermine librement les modalités de fonctionnement et d'utilisation et qui peut donc prendre les initiatives nécessaires au bon fonctionnement du forum de discussion"
Donc, en résumé, le propriétaire du forum privé ouvert au public, qui est responsable de ce que les gens écrivent, peut décider librement des modalités de fonctionnement et d'utilisation, et décider unilatéralement de supprimer les messages qu'il souhaite supprimer.
Il faut que la charte d'utilisation du forum précise que le modérateur peut décider d'effacer un message sans avoir à en justifier, et c'est bon. Ce n'est pas attentatoire à la liberté d'expression, car d'une c'est un espace privé, certes ouvert au public, mais privé quand même et son propriétaire fait ce qu'il veut du moment qu'il prévient d'abord de cela par l'intermédiaire de la charte (qui joue le rôle en gros d'un contrat) et de deux, la liberté d'expression du kevin qui voit son message effacé n'est pas baffouée car il peut parfaitement ouvrir lui aussi un forum pour s'exprimer et dire ce qu'il veut, tant qu'en tous les cas il ne viole pas la loi (injure, propos pornographiques susceptibles d'être lus par des mineurs etc...). on a le droit de dire ce que l'on veut, mais pas où bon nous semble. Si un modérateur ne veut pas nous entendre, il en a le droit. Et nous, on peut créer notre forum pour dire ce que l'on veut.
Après, il peut y avoir des cas particuliers précis qui impliquent une modération fautive, notamment, un abus de droit (par exemple, vous ne supprimez que les messages de pseudo féminin ou d'origine étrangère à votre nationalité), mais dans l'ensemble, ça marche comme indiqué ci-dessus.