Je sais, je sais, ce n'est pas un roman policier. D'accord, j'ai à peine commencé que je fais mon premier écart au thème de cette chronique, mais on croise dans ce roman des crapules, des assassinats, et des enlèvements, alors…
Alan Furst est la nouvelle référence du roman d'espionnage de qualité, sauf qu'à la différence d'un John Le Carré il ne s'intéresse ni à la guerre froide, ni à l'époque contemporaine, mais plutôt à l'entre-deux guerres, dernière comprise.
Dans "Le royaume des ombres", nous emboîtons le pas de Nicholas Morath, un hongrois travaillant pour son ambassade en France. Morath est tout à la fois ancien officier de cavalerie, épisodique associé d'une agence de publicité parisienne et espion à son cœur dépendant puisqu'il tente de se partager entre les besoins de sa riche maîtresse argentine et ceux de son oncle, authentique comte et maître manipulateur.
Ici, le spleen magyar n'a rien à envier à l'âme slave et l'on voyage beaucoup dans une Europe de 1938 qui ne laissent à ses nouveaux enfants, les petits pays issus de l'éclatement de l'empire austro-hongrois, qu'un choix honteux entre écrasement sanglant ou annexion tueuse d'espoir. L'ombre du fascisme est partout dans cette chronique d'un désastre annoncé et une des grandes réussites du roman est de nous faire vivre de l'intérieur ce qui n'était autrement qu'un succession inexorable de dates issues d'un manuel scolaire : Anschluss, troubles séparatistes, annexion des Sudètes, guerre en Tchécoslovaquie, résistance de la Pologne… et partout, tout le temps, l'incroyable lâcheté de la France et de l'Angleterre.
Pas de James Bond chez Furst, même si le détachement désabusé avec lequel Nicholas Morath endure son existence mouvementée entre Paris, Anvers et Bratislava, pourrait rappeler le héros de Ian Fleming. Sauf que les faits d'armes de Morath se limitent à des voyages en trains de nuit, quelques faux passeports et de brefs échanges de coups de feux nocturnes. L'essentiel est ailleurs, dans les intrigues politiques et les hésitations diplomatiques. Sans réel début, ni véritable fin, Alan Furst dresse le portrait d'un monde voué à disparaître sous les bruits de bottes, dont les derniers témoins luttent désespérément pour ralentir la marche d'Hitler.
"Le royaume des ombres", roman d'Alan Furst, collection Points Poche, 7 euros environ.
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