J'en ai parfois marre des effets de manche à la barre. Alors, dans ce cas, je synthétise une bonne grosse plaidoirie en quelques mots clés qui sont du plus bel effet. Moi - raison - gagner - l'autre - tort - perdre. Ah oui, et puis n'oublions pas -pognon- parce que bon, faut bien vivre.
Je vous propose donc, dans le même esprit, un résumé de l'article précédent sur eBay: eBay - LVMH - réseau de distribution sélective -contrefaçon - hébergeur (non) - Mario kart.
Mario kart parce que, animé d'audace, je comparais les peaux de banane et autres carapaces rouges aux moyens de procédure soulevés par eBay. Mais rappelons tout d'abord ce qu'est la procédure: ce terme regroupe, en gros, l'ensemble des règles qui régissent l'intervention du juge. Qui doit le saisir, comment le saisir, quand le saisir, pourquoi le saisir etc... Si vous manipulez bien ces règles, vous pouvez gagner un procès sans que la demande de l'adversaire à votre encontre ne soit jamais jugée. Par exemple, vous pouvez gagner un procès en faisant juger que l'adversaire a saisi la justice trop tard (prescription) ou que l'assignation ne contient pas les mentions obligatoires (nullité) ou encore que le tribunal saisi n'est pas le bon (incompétence).
C'est ce qu'ebay a essayé de faire, plaidant que, puisque les serveurs qui abritent les annonces sont américains, seul le juge de ce beau pays serait compétent pour juger de l'affaire. Magnanime, eBay accepte éventuellement la compétence des tribunaux des pays visés par les annonces, mais comme la France n'en faisait pas partie, le tribunal français reste incompétent. Il est vrai que cette question est intéressante. Pour faire une analogie grossière, c'est comme si vous étiez blessé par une balle en France, tirée par un sniper depuis les États-Unis. Qui serait compétent pour juger de ce cas ? Un tribunal français ou américain ? Avec internet, un serveur américain peut causer un dommage en France.
Alors, nos juges ne mâchent peut être pas le chewing-gum, ils ne mangent pas d'hamburgers ni ne portent de chapeau de cow-boys, mais ils savent écarter avec panache un argument de procédure comme celui-ci, en rappelant que, tant au niveau communautaire que national, il est constamment jugé que dès lors qu’un site internet est accessible au public français, les tribunaux français sont compétents pour trancher un litige lié à ce site internet. Et le Tribunal de relever : "à l’examen des procès-verbaux de constat (annexes n° 4, 21, 55, 56, 60, 87, 124, 125) et des copies d’impressions d’écran associées versées par les demanderesses [les filiales de LVMH donc, suivez un peu je vous prie], le Tribunal constate que de nombreuses annonces sont, quoique hébergées sur des sites étrangers de eBay, accessibles au public français, par la traduction en français de leur libellé original ; Attendu que le libellé en anglais d’annonces n’exclut pas nécessairement le public français de leur accès."
Et une banane jetée en l'air pour rien, une.
Mais eBay avait d'autres bonus à utiliser. Cette société plaide également l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris pour la raison suivante. Bon, on s'accroche, ok ? C'est que, voyez-vous, il n'y avait pas une mais bien deux sociétés eBay au procès. Les filiales de LVMH ont ainsi assigné eBay inc, société holding et eBay International AG, filiale de la première. eBay inc indique ainsi que son siège est aux États-Unis, en Californie, ce qui ramène à la compétence du juge, ben oui, américain, bravo.
Les plus perspicaces d'entre vous me demanderont, mais pourquoi diable les demanderesses ont-elles assigné les 2 sociétés ? Si eBay International AG est celle qui, concrètement, diffuse les annonces de vente aux enchères, pourquoi s'embêter à aller chercher la maison mère américaine ? C'est que, voyez-vous, une holding est une société purement financière, qui détient le capital d'autres sociétés qui sont donc ses "filles". La holding contrôle de ce fait ses filiales et se trouve affectée patrimonialement par leurs bénéfices ou leurs pertes. La holding peut détenir concrètement une très grosse partie de l'argent de tout le groupe. Lorsque vous demandez des dizaines de millions d'euros à une filiale, il peut être sage de mettre en cause également sa holding de sorte qu'elles soient condamnées ensemble (on dit "solidairement"). Vous êtes ainsi certain de toucher l'argent.
Mais reprenons; eBay inc est américaine et tente de s'extraire du procès français en invoquant sa nationalité.
Le juge français balaye cet argument en rappelant que selon l'article 46 du Code de Procédure civile, une société étrangère peut être appelée devant le juge français lorsque le fait dommageable a été subi en France. Or, le préjudice subi par les filiales françaises a eu lieu où ? Ben c'est ça, en France. En effet, les ventes eBay violent le réseau de distributeurs français choisis par les filiales du luxe, ce qui fait perdre des ventes au marché français. Et il en va de même pour la contrefaçon.
Donc, pour résumer: le Tribunal français est compétent, même si les serveurs d'eBay sont américains (car le site eBay est consultable en France) et même si la société eBay inc est américaine (car le préjudice allégué par les demanderesses a été subi en France).
À ce niveau du procès, le Tribunal se penche maintenant sur les arguments que l'on appelle "de fond", c'est à dire les questions de droit qui vont permettre de dire qui a raison et qui a tort.
Et eBay ne se démonte pas. Vous connaissez la vieille maxime: "la meilleure défense c'est l'attaque" ? Et bien, eBay la connaît aussi, et la voilà tentant de placer quelques coups bas pour démolir les sociétés du luxe et notamment la légalité de leur réseau de distribution sélective. Elle tente également de démontrer qu'elle fait ce qu'il faut pour chasser les articles de contrefaçon. Elle demande une expertise et aussi la saisine du Conseil de la concurrence.
Les filiales du luxe seront-elles à terre ? eBay parviendra-t-elle à placer son quart de cercle avant + pied ? Oh mon dieu, quel suspense insoutenable!
Stay tuned, true believers!
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