Je me lance dans une grande aventure avec vous tous, mes canards bien aimés. Je vais tenter de vous livrer une analyse, si possible, claire et entraînante (oui je suis ambitieux) des grands drames juridiques qui intéressent notre hobby. Nous allons tâcher de lever le voile de Maya qui recouvre pudiquement la justice pour contempler, non sans malice, les formes qu'elle prend. Mais je vous préviens, souvent nous l'éventrerons comme d'immondes bouchers pour plonger nos mains dans ses tripes chaudes. Oui c'est dégoûtant, mais rassurez-vous, la justice est aveugle, elle ne saura pas qui l'agresse. Alors, que ceux qui le souhaitent prennent la pilule rouge et me rejoignent....
Ah, vous voilà! bon, alors, lançons-nous sur le procès qui oppose eBay à Dior, mais aussi à Kenzo Parfums, Parfums Givenchy et Guerlain SA, toutes filiales du groupe de luxe LVMH et qui s'est soldé, pour l'instant, par les 3 jugements du tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2008, qui ont condamné eBay à payer au total dans les 39 millions d'euros. Vous allez voir que, quand on entre dans les détails, c'est tout de suite plus complexe que ce qu'une news de 20 lignes peut laisser comprendre.
Puisqu'on en parle, vous avez lu la news précédente, vous connaissez donc l'enjeu juridique qui sous-tend cette affaire, à savoir la qualification de statut d'hébergeur et par conséquent l'application de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004, qui exonère une société qui a pour seule fonction de mettre à disposition du public un espace de stockage de toute responsabilité si les informations stockées sont de nature délictuelle. Sauf si, bien évidemment, la société est prévenue de leur existence et qu'elle n'a rien fait pour les supprimer.
Mais reprenons du début. Alors à ma droite, j'ai les filiales du groupe LVMH qui ont bien les nerfs. En effet, des nombreux articles contrefaits sont vendus grâce à eBay, mais ce n'est pas tout. Le seul fait que des ventes aient lieu, même portant sur des vrais produits, cause un préjudice aux demanderesses qui invoquent la violation de leur réseau de distribution sélective.
Arrêtons-nous déjà à ce stade et définissons rapidement la notion de "réseau de distribution sélective". Quand une société veut vendre un produit ou un service, elle peut le faire elle-même en créant des boutiques par exemple ou bien proposer à des distributeurs de le faire (type carrefour par exemple) ou constituer un réseau de distribution sélective: c'est donc une technique de commercialisation choisie par une société selon laquelle ses produits et/ou services sont diffusés uniquement par des distributeurs, et par eux seuls, qu'elle choisit. L'intérêt ? Cela lui permet de sélectionner des distributeurs dont l'efficacité est reconnue, ou dont l'image colle avec le produit/service, ou qui permet d'assurer au client un service spécifique. Dans notre cas précis, cela permet aux sociétés du luxe de s'assurer par exemple que leurs produits ne seront pas vendus dans des quartiers pauvres par des tatas Josette, 59 ans et 108 kilos pour 1 m 60, mais uniquement dans des quartiers huppés par des mannequins Tatiana, 22 ans, 42 kilos pour 1 m 80. Oui, c'est cruel; soyez le bienvenu dans le monde des affaires.
La société signe donc des contrats de distribution avec les distributeurs choisis, qui ont seuls le droit de vendre lesdits produits/services. Bon, je ne vais pas faire un cours de droit sur le sujet, mais sachez que de nombreux textes régissent cette technique complexe, car les réseaux en question sont une façon légale de contourner le principe de concurrence entre vendeurs. On peut citer par exemple :
- Le droit communautaire et principalement les règlements de 1965, 1999 et 2002 touchant le droit de la concurrence parmi les Etats-Membres,
- Les articles 6, 1101 et 1382 à 1386 du Code civil,
- Les articles L. 420-1, L.420-4 et L.442-6 du Code de commerce, concernant les règles de libre concurrence et les pratiques restrictives de concurrence autorisées.
C'est dire combien la matière est sérieuse pour les produits de luxe qui font appel à ce genre de pratique commerciale et c'est ainsi que les filiales de LVMH considèrent que eBay leur cause un préjudice, indépendamment de la question de la contrefaçon, simplement parce qu'eBay permet la vente des produits en dehors du réseau de distribution sélective patiemment mis en place par ces sociétés.
Les sociétés du luxe reprochent concrètement à eBay :
- d’avoir pris part à la commercialisation de marchandises dépendant de systèmes de distribution sélective,
- d'avoir favorisé et amplifié la commercialisation à très grande échelle par le biais de la vente électronique de produits de beauté et de parfums dépendant de la distribution sélective,
- d'avoir manqué à son obligation de s’assurer que son activité ne génère pas d’actes illicites, en l’espèce d’actes contournant des réseaux de distribution sélective, au préjudice d’acteurs économiques tels que les sociétés demanderesses,
- d'avoir également manqué à son obligation de vérifier que les vendeurs qui réalisent à titre habituel de nombreuses transactions sur ses sites sont dûment immatriculés auprès des administrations compétentes et, en France, au Registre du Commerce et des sociétés ou au Répertoire de Métiers, ainsi qu’auprès des organismes sociaux ou autres, ne dérogent pas aux réseaux de distribution sélective et aux règles applicables en la matière,
- d'avoir fait paraître des annonces et transactions portant sur des ventes illicites avec évidence, soit par des mentions de type « notre boutique propose une sélection de parfums et accessoires de prestige Hermès, Kenzo... » ou encore "la confiance d’un vrai professionnel : + de 500 vrais parfums /... / tous les parfums..."
- d'ignorer le fait que les produits de luxe fabriqués par les sociétés demanderesses portent la mention apparente "cet article ne peut être vendu que par les distributeurs agréés", qu’il n’est donc pas admissible que soient vendus sur internet des produits relevant de cette catégorie dans des conditions dégradantes ou de promiscuité déplorable ou encore d’origine frauduleuse,
Vous comprenez que ce procès dépasse le cadre de la lutte eBay vs LVMH. C'est carrément Internet vs les modèles économiques classiques. C'est le village planétaire vs les champs-elysées. C'est Obama- Biden, les grandes villes et la modernité, vs McCain- Palin le rural et la tradition. Bon, je m'emballe, mais vous avez compris la gravité du procès et les enjeux pour le web et son avenir commercial en France.
Mais reprenons, les sociétés du luxe en concluent donc que leurs marques perdent ainsi le contrôle de l’environnement de vente de leurs produits, et que les agissements constatés n’ont été rendus possibles que par l’intervention active d'eBay qui participe à rédaction des annonces, à la présentation et l’emplacement des vendeurs sur ses sites avec des conseils du guide d’achat sur eBay dont celui intitulé "Parfums" fournissant aux utilisateurs un véritable guide précis d’accès aux boutiques, marques...
Elles soulignent enfin que la responsabilité de eBay est d’autant plus importante qu’elle a délibérément refusé de mettre en place les mesures efficaces et appropriées pour luter contre la prolifération des actes illicites et ce malgré les demandes réitérées des sociétés demanderesses comme celles consistant à sanctionner tout vendeur fautif en fermant définitivement son compte dès la constatation de la faute,
A ma gauche, se trouve eBay et vous avez donc compris que, pour se protéger, la société va principalement tenter de s'abriter derrière l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 et le statut d'hébergeur.
Mais, bien évidemment, la société eBay a d'abord tenté d'allumer des contre-feux procéduraux. La procédure, c'est comme les bonus dans Mario Kart. Vous lancez des peaux de banane à l'adversaire pour le faire sortir de la course. Alors, qu'est ce qu'eBay a bien pu trouver ? Qu'a-t-elle soulevé ? Comment ont répondu les sociétés du luxe à ses attaques ? La réponse dans une prochaine news (et pas demain, je vous préviens tout de suite) ! Stay tuned true believers !
tada! (musique de suspense).
Voir la news (1 image, 0 vidéo )