- «Dites-moi, "régent"... Est-il seulement possible que vous soyez aussi simple d'esprit que le suggèrent mes hommes ? »
- «Monsieur, je vous assure que jamais je n'ai songé à... »
Lechii asséna un coup de pied au régent qui ne fit aucun effort pour s'esquiver. L'homme était d'aussi grande taille que gras, bien qu'il préférait se décrire comme « Fortement charpenté » et il était probable qu'il soit voué a finir ses jours sans se déplacer de sa loge. Contrainte qui ne semblait nullement le déranger par ailleurs. Il faut dire qu'auparavant, l'homme prostré qui se tenait devant Lechii était considéré à juste titre comme un administrateur très compétent et intègre. Auparavant. Lechii quand a lui était souvent considéré comme un idéaliste, ou un homme dangereux selon la personne que l'on interrogeait. Il éprouvait une hostilité qui confinait a la haine pure et simple envers les notions de patriotisme et d'un code la guerre qu'il jugeait "barbare et archaïque". Ses idées n'étaient pas nouvelles, mais il était probablement le seul membre de l'armée qui serve le pouvoir en place avec tant de conviction tout en affichant aussi clairement ses idéaux. Par ailleurs Lechii était vigoureux et courageux. Et malgré son jeune âge, il s'était rapidement attiré de par ses qualités autant de loyautés fanatiques que de haine farouche de la part des conservateurs qui jugeaient son interprétation libérale du code militaire comme un crime. En procédant lui-même a une arrestation d'un officier administratif, il venait par ailleurs de violer une dizaine de protocoles sous le regard consterné de son subordonné et Mentor,
Jorge, qui essayait de contrôler au mieux ce qui n'était encore a ses yeux qu'un jeune soldat incontrôlable et têtu.
Lechii entra dans le bureau du "régent", enjambant l'énorme masse constituée par celui qui faisait l'objet de cette arrestation. Il s'arrêta quelques secondes pour observer la pièce dans laquelle il venait d'entrer et ou cet officier administratif passait la plus grande partie de sa vie. Le bureau était spacieux et bien éclairé mais par ailleurs tout a fait spartiate. La décoration se résumait au strict minimum a savoir une tapisserie indiquant que ce bureau servait l'empire. Rien d'autre, pas d'objets luxueux ou de frivolité comme Lechii avait l'habitude d'en voir dans ce genre d'endroits, mais simplement un espace de travail.
Le jeune colonel en était impressionné et commençait a se demander si il ne devait pas réviser son jugement sur un homme tout entier dévoué a sa tâche qui n'avait rien en rapport avec les hautes castes. Il balaya cette pensée en se promettant d'y songer plus tard et claqua des doigts, quatre de soldats firent irruption dans la pièce et saluèrent le jeune homme avant de se mettre a leur poste, bloquant tous les accès. "Des hommes efficaces" songea Lechii, a peine plus vieux que lui pour la plupart mais qui avaient tout combattus avec bravoure et avaient démontré un sens de l'initiative qui inspirait a Lechii un grand respect a leur égard. Les quatre soldats étaient en armure de combat et les armes qu'ils portaient n'était pas de celles qu'on présentait en parade, ce que ne manqua pas de remarquer le "régent", resté à terre tout du long.
Jorge se posta a coté de Lechii avec la prestance d'un officier attaché aux traditions, attendant ses ordres. Celui-ci ordonna qu'on relève le "régent", et voyant que les deux hommes qui s'étaient avancés pour le porter éprouvaient des difficultés, il leur porta assistance malgré leurs protestations et le regard de reproche que lui adressait son mentor:
- « Qui y a-t-il ? Je n'allais pas les laisser s'épuiser a la tâche, quitte a perdre du temps, pour respecter un autre protocole stupide.»
- « Si vous aviez un minimum de cervelle, mon jeune colonel, vous vous seriez rappelés que pendant que vous vous ridiculisiez, deux hommes attendaient bêtement dans le coin de ce bureau. Homme que vous auriez pu appeler. Le protocole a ses défauts, mais aussi ses qualités. Si l'ordre n'est plus respecté, l'armée n'a plus de raison d'être, parce que c'est précisément ce qu'elle apporte.»
- « C'est faux, et je vous en apporterais la preuve, mais revenons a notre principale préoccupation. »
Le vieil officier administratif, maintenant relevé, attendait son jugement. Visiblement persuadé qu'il était sur le point d'être exécuté. Lechii était de plus en plus troublé par cet homme dont la personnalité n'avait rien de cohérente avec ses actes. Il s'avança d'un pas rassurant.
- «Je ne compte pas vous tuer, du moins pas tout de suite... Suivez-moi.»
Lechii prit place dans le fauteuil qu'occupait d'habitude le régent, lui laissant une simple chaise pour s'asseoir. Cependant le jeune Colonel semblait être dans une position aussi inconfortable que celui qu'il arrêtait. Il croisa les jambes pour ne pas donner cette impression et laissa le silence se prolonger de longs instants, observant les différents ouvrages posés sur ce bureau. Essentiellement des rapports, lettres officielles d'une platitude affligeante. Mais aussi un manuscrit visiblement en cours d'écriture posé au centre du bureau. Lechii adressa un bref regard au "régent" pour savoir si il pouvait en examiner le contenu. Lequel paraissait fortement amusé et parla pour la première fois depuis une dizaine de minutes.
- «C'est moi le prisonnier, vous l'homme qui m'arrête. Et vous me demandez la permission d'examiner ce que je peux bien écrire ? Vous n'êtes pas aussi dur que vous essayez de le faire paraitre, jeune homme.»
Lechii ne savait pas si le vieil homme essayait d'écourter ses jours en le provoquant, ou si il était parfaitement sincère, mais il n'en tint pas rigueur et commençait a se demander ce qu'il faisait ici. Il examina le manuscrit quelques instants puis le reposa délicatement. Le vieil homme qui se tenait devant lui avait de vraies prétentions littéraires, et ce qu'il était en train d'écrire était un véritable ouvrage idéologique. Il regardait maintenant cet homme avec un point de vue renouvelé et un certain respect alors qu'il le regardait quelques minutes auparavant avec le même regard méfiant qu'on adresserait a un animal enragé et acculé.
- «Que faire, "Régent" ? Que faire alors que, non content de trahir l'empire, vous n'avez même pas eu l'intelligence de faire en sorte que vos... Expérimentations soient faites discrètement ? Je devrais vous achever séant pour respecter la mémoire de tous ces pauvres gens et j'ai encore l'impression que l'air qui m'entoure est vicié par les horreurs que j'ai vu là-bas. Mais vous me surprenez en tant que personne, et je veux bien vous laisser une chance de me prouver que vous n'êtes pas responsables de ce que j'ai vu.»
- «Je ne l'était pas, comme vous semblez déjà le présumer. Mais j'étais au courant, et j'ai... Toléré certaines choses.»
- «Vous n'êtes donc pas responsable... Si vous pouvez prouver cela votre peine sera amoindrie, vous aurez la vie sauve. Mais comment avez-vous pu "Tolérer" une horreur pareille ? Dites-moi, était-ce pour de l'argent ?» Il se ravisa et balaya immédiatement cette question d'un geste vague, regardant de nouveau la simplicité de cet endroit. «Oubliez ça... Mais expliquez-moi pourquoi. Et expliquez-moi pourquoi vous jouiez encore a l'idiot il n'y a pas vingts minutes.»
- «Nous croyons tous les deux en la même chose, Colonel. Nous avons simplement... Une façon différente de servir notre idéal. Si vous voulez des explications, a votre aise, mais cela risque d'être long. Aussi je recommande d'en parler dans un endroit plus propice.»