Après avoir été quelque peu appâté par un topic-fake, je propose de redémarrer du bon pied le topic des pêcheurs de Canard PC : ça c'est du programme qu'il est bon.
Voyages, parcours, techniques de pêche, débats halieutiques ou digressions sur l'amour le la rivière et de son écosystème, tout le monde est bienvenu pour parler de ses rapports en zone non protégée avec des poissons, quels qu'ils soient.
Et pour cette activité qui n'a pas toujours la réputation qu'elle mérite, si on pouvait noyer le flood tout en musclant le flow, ça n'en serait que plus beau
Je commence avec une partie de pêche qui me restera toujours en mémoire, et qui aurait sans doute eu sa place dans le topic des bons moments légaux.
C'était l'été dernier. Une petite vallée des Pyrénées. C'est la fin de l'après-midi et comme souvent à cette époque, le ciel se couvre brusquement et annonce par la même occasion la fin des activités alpines pour la majorité des vacanciers.
Mais pour moi, c'est juste l'inverse : à peine le temps de passer prendre le matos que je saute dans la caisse, tel un môme qui sait que le père Noêl ne passe pas tous les jours et que justement, c'est maintenant.
Une grande route, puis une plus petite, et enfin le chemin, aussi étroit que désert - et où quelques rochers sont tombés ça et là - serpente à mi-hauteur de cette vallée aussi merveilleuse qu'encaissée. Et au milieu coule une rivière. MA rivière.
La pluie tombe déjà depuis un moment, et maintenant ça bastonne dans tous les sens. Tout est en place. J'arrive enfin à mon petit parking dessiné en herbe d'alpages et j'enfile mes Waders en vitesse, avec la fébrilité idiote du pêcheur qui a toujours peur d'avoir loupé "le moment". Ce moment de frénésie qui fait un des charmes de la truite.
Seulement ça tape vraiment fort. Les orages en montagne, c'est pas la bruine du Morbihan : ça te réveille un mort et tu te sens tout petit. Joyeusement seul mais vraiment tout petit.
J'attendrai un peu que ça se calme en descendant là-bas : à l'abri du petit pont. C'est toujours bon là, avec ce coude profond et sombre qui débouche sur un grand filet de courant clair et transparent. "Transparent comme l'eau claire", ici ça a tout son sens d'habitude... mais moins aujourd'hui : ça bouillonne comme jamais.
Je descends comme je peux vers ce coup encaissé. "Plus c'est inaccessible et plus c'est mieux". Autre axiome un peu idiot du pêcheur. Je devrais attendre encore un peu car l'orage est juste sur moi maintenant. Pas pour me donner bonne conscience mais parce-que c'est dangereux l'orage, c'est mon papi qui me l'a dit. Mais il y a toujours ce foutu "moment". Et je sais que c'est maintenant. Tout est en place.
Je déplie le lancer et mets ma cuiller préférée. Celle qui est bien usée et qui a déjà fait ses preuves dans ces mêmes conditions. J'ai un peu la polio des doigts mais c'est toujours comme ça : j'y suis.
Un premier lancer pour tâter le terrain, et c'est déjà la touche sur le deuxième : le poisson prend à la sortie du coude et je le ramène sans mal. Pas une grosse prise mais elle est joliment mouchetée de rouge et de noir. Le temps de plonger les mains dans l'eau et elle repart d'où elle est venue. Je le savais : elles sont là.
S'en suivra un récital de prises toutes plus réjouissantes les unes que les autres, dans le rugissement des crues d'été, entre escalades de rochers glissants et parties de cache-cache. Et puis il y aura celle qui touchera dans le gros remous derrière une grosse pierre émergée, et qui me fera croire un instant qu'elle est collée au fond : de la grosse mémère qui ne sort que l'été. C'était ça que j'étais venu chercher. Du moins c'est ce que je croyais.
La lumière changeant, je m'apprêtais à partir. L'orage était bien loin maintenant. Je ne sais plus quand il s'est arrêté d'ailleurs, ni depuis quand le silence avait repris le dessus. Mais alors que je lève les yeux et que je savoure ce moment de plaisir, je réalise que le soleil couchant éclaire une partie de la vallée. Elle est pourpre. Une brume subtile plane au dessus de la rivière et des sapins qui la bordent. C'est un moment parfait.
J'ai enfin trouvé le moment. MON moment. Et j'attends frénétiquement mon prochain Noël.