« Le retour de l’OTAN ne condamne pas l’Europe de la défense »
Deux bémols à la puissance militaire américaine devraient inciter l’UE à reconsidérer l’idée d’une défense continentale : l’intérêt premier des États-Unis qui les pousse à regarder vers l’Asie, et le fait que, depuis Trump, ils n’offrent plus la même sécurité inébranlable, souligne Gilles Paris, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
[...] le retour de l’OTAN ne condamne pas l’Europe de la défense. Deux éléments pourraient permettre de maintenir en vie cette ambition continentale.
Le premier tient à la géographie des intérêts des Etats-Unis, que l’invasion de l’Ukraine n’a pas modifiée en profondeur. Le court terme ne dure par définition qu’un temps.
Il y a un peu plus d’un an, Joe Biden s’apprêtait à annoncer un sommet avec son homologue russe à Genève pour tenter de bâtir une relation « stable » et « prévisible » entre les deux pays. C’est peu de dire que cet objectif n’a pas été atteint. Celui qu’il recelait, normaliser avec Moscou pour mieux pivoter vers l’Asie et la rivalité avec la Chine, reste une priorité américaine, la tournée régionale que Joe Biden vient d’y effectuer l’a encore rappelé.
Des géopoliticiens néoréalistes comme Stephen Walt, qui enseigne à Harvard, ne sont d’ailleurs pas hostiles au concept d’Europe puissance, analysé comme le préalable à un partage du fardeau en bonne intelligence entre alliés occidentaux. Ils mettent en avant les chiffres qui confortent cette idée.
A la veille de l’invasion de l’Ukraine, les budgets de défense des pays européens membres de l’OTAN représentaient déjà trois à quatre fois celui de la Russie.
La sortie de l’Allemagne de sa torpeur stratégique – elle va investir 100 milliards d’euros dans son armée – va encore creuser l’écart. Le Danemark pourrait ensuite rejoindre par référendum, le1er juin, cette perspective d’Europe de la défense en rompant avec trois décennies de régime dérogatoire.
Le long et douloureux découplage énergétique d’avec la Russie ne pourra également que renforcer le bloc européen.
Ensuite, la garantie de sécurité promise par les Etats-Unis n’est plus l’invariant de naguère, depuis l’épisode tumultueux du mandat de Donald Trump. Quelles que soient les perspectives d’un retour à la Maison Blanche de son chantre le plus tonitruant,
le non-interventionnisme de « l’Amérique d’abord », attisé sur Fox News par le polémiste Tucker Carlson, s’enkyste au sein du Parti républicain, en dépit de la détermination atlantiste manifestée par le chef de la minorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell,notamment lors de sa visite à Kiev, le 14 mai.Il s’est d’ailleurs trouvé onze voix républicaines au Sénat pour s’opposer à l’aide massive voulue par Joe Biden pour l’Ukraine, l’un des très rares dossiers bipartisans au Congrès. Elles sont venues de trumpistes inconditionnels, la sénatrice du Tennessee Marsha Blackburn ou son homologue de l’Alabama Tommy Tuberville, ou d’espoirs conservateurs comme le sénateur du Missouri Josh Hawley. Avant sa victoire à la primaire républicaine de l’Ohio, le3 mai, J.D. Vance, une autre jeune pousse trumpiste, bien partie pour rejoindre la Haute Assemblée en janvier 2023 en lieu et place d’un républicain classique,le jurait : « Que je sois damné si je donne la priorité à la frontière orientale de l’Ukraine alors que notre propre frontière sud est submergée par un tsunami humain de migrants illégaux. »
Cette autre réalité ne peut échapper aux Européens : que l’OTAN soit aujourd’hui revigorée, personne n’en doute, mais pour combien de temps ?