Les semi-conducteurs, un cas de containment technologique à l’heure de l’affrontement sino-américain
Introduction
Les semi-conducteurs sont des matériaux à la fois conducteurs et isolants d’électricité, utilisés pour produire des composants tels que des diodes, des transistors ou des circuits intégrés. Ils servent pour le calcul, la mémoire et pour que les objets dialoguent entre eux et avec leur environnement. En résumé, ils sont un maillon indispensable dans la chaîne de valeur de l’électronique mondiale et au cœur des enjeux technologiques contemporains comme la révolution digitale et la transition écologique.
Ce secteur économique crucial demeure aujourd’hui l’un des points faibles du rattrapage technologique de la Chine. L’Empire du milieu réalise en effet 36% de la production électronique mondiale mais seulement 10% de la production de semi-conducteurs et 0% des plus évolués.
Depuis le mandat de Donald Trump, les relations sino-américaines se sont détériorées à tel point que l’on parle d’une nouvelle guerre froide opposant les deux premières puissances économiques mondiales. Les États-Unis, dans une logique de conservation de leur leadership, utilisent toute une gamme de leviers destinés à empêcher la montée en puissance chinoise, notamment les semi-conducteurs qui sont devenus une véritable arme de <em>containment </em>technologique.
[...] Les limites du containment technologique américain
Le face à face systémique entre la Chine et les États-Unis est un phénomène récent. Nous avons vu que la politique américaine pour contenir l’avancée technologique de Pékin est pour le moment couronnée de succès. Mais si l’on se projette plus loin, dans un horizon de moyen-terme, alors certaines failles du dispositif apparaissent.
Tout d’abord,
il est légitime de s’interroger sur la rationalité économique des relocalisations d’usines sur le territoire américain. Les futures fonderies de TSMC et Samsung en Arizona et au Texas vont permettre à Washington d’assurer sa souveraineté technologique. Mais les coûts de production des puces seront bien plus élevés en Amérique qu’en Asie (30% de plus qu’à Taïwan par exemple) ce qui devrait conduire logiquement à un renchérissement des produits pour le consommateur. La sacro-sainte doctrine néo-libérale d’optimisation des coûts s’en trouvera fortement affectée.
Certaines voix commencent d’ailleurs à se faire entendre, venant notamment d’hommes d’affaires asiatiques très haut placés qui remettent en cause les investissements colossaux qui ne bénéficieraient en fin de compte qu’aux américains.
En outre, la politique actuelle des États-Unis va entraîner des dommages collatéraux inéluctables. C’est la conséquence directe de l’extraterritorialité du droit américain.
L’entreprise néerlandaise ASML, qui dispose du monopole mondial sur les technologies les plus avancées de gravure (photolithographie) a été l’une des premières touchées par les mesures de containment. Elle ne peut plus exporter vers la Chine ses machines les plus sophistiquées telles que les EUV (technologie extrême ultra-violet). Aujourd’hui, Washington voudrait aller plus loin afin qu’ASML ne puisse plus vendre certains équipements d’ancienne génération au risque de remettre en cause la viabilité économique de l’entreprise qui a besoin du marché chinois. L’histoire nous l’a montré, les sanctions peuvent s’avérer contre-productives si elles ont des conséquences trop néfastes sur les alliés.
Prenons un autre exemple :
le géant sud-coréen Samsung est prêt à investir aux États-Unis mais se voit obligé, dans le cadre de l’alliance Chip 4, de désinvestir en Chine. Or, la Corée du Sud exporte plus de 60% de ses semi-conducteurs vers l’Empire du milieu et a investi sur le sol chinois des milliards de dollars, particulièrement pour la production des puces liées à la mémoire. Si Washington décidait de pousser au maximum le containment, la Corée du Sud aurait bien plus à perdre qu’à gagner et pourrait remettre en question sa participation à l’alliance.
La question est donc de savoir si les américains parviendront à trouver le juste milieu pour bloquer le rattrapage de la Chine sans se mettre à dos ses principaux alliés.
Enfin, il est important de rappeler que la guerre technologique se joue sur le marché haut-de-gamme qui ne représente que 10% des semi-conducteurs.
Sur la marché mature (90% des puces), le monde devra compter sur les capacités de production chinoises afin de répondre à la demande exponentielle. Il serait par conséquent illusoire de penser que la Chine va disparaitre de ce secteur. Sur les 39 fonderies qui ont vu le jour en 2021, un quart ont été construites en Chine. Le Parti Communiste se positionne sur le bas et milieu de gamme en attendant que ses investissements de long-terme dans la R&D donnent des résultats. C’est l’une des forces majeures de l’Empire du milieu : la patience et l’abnégation.