Pour commencer il faut parler un peu de l'enfance de Vaurien, fils de hippies à la fin des années 70.
Mes parents se sont rencontrés jeunes, avant le bac pour ma mère juste après pour mon père. Lui était biclassé glandeur/séducteur et avait convaincu ma mère que les études ne servaient à rien. Après une vie de bohème passée à faire le tour de l’Europe en stop et en sabots, à dormir dans des squats pourris et, pour mon paternel, à coucher avec le plus de femmes possible, ma mère trouva les ressources pour décrocher un diplôme d'infirmière. Elle se dit aussi que de faire un gosse vers 23 ans serait peut-être un bon moyen de stabiliser ce couple défaillant. Grave erreur. L'idéal hippie étant d'élever des chèvres dans un trou paumé, mes parents achetèrent donc une ruine dans l’Aveyron pour une bouchée de pain, dans le but de la retaper et de vivre en autarcie avec leur nouveau né. Mais mon père ne savait utiliser ses mains que pour rouler des pétards et caresser les femmes. D'après ma mère il y en eu vraiment plein...
De ce temps lointain je ne me souviens que d'un arbre mort lugubre qui me faisait peur dans le jardin (c'était une forêt en fait) et de l'école maternelle (je prenais seul le minubus scolaire) où il y avait des enfants gitans qui étaient beaucoup plus grands que nous et qui nous terrorisaient.
Maternelle et primaire
Après le fiasco Aveyronnais, retour en Normandie pour mes 4 ans. Mon père a été l'amant de ma maîtresse de moyenne section (véridique), bonne ambiance à la fête de fin d'année !
Souvenir traumatisant d'une dispute dans la voiture avec moi qui agrippe ma mère qui veut sauter en marche, tandis que mon père gueule en roulant à fond en marche arrière...
Pendant plusieurs années ils se séparent, se remettent ensemble, s’engueulent, et rebelote.
Ils terminent par divorcer vers mes 7 ans, puis ma mère se trouve un compagnon stable, gentil et cultivé (futur nouvel époux). Mon père trouve son premier travail (ils ont la trentaine).
Vers 7-8 ans je suis assez doué pour convaincre voisines et petite camarade de classe de jouer au docteur avec moi : je suis très curieux. Ce talent de m’abandonnera assez rapidement… Ce sera en fait un gros désert jusque bien plus tard.
Découverte de l’Atari 2600 et premiers émois vidéoludiques et découverte de Donjons et Dragons suite à l’achat de la boite rouge avec un copain de primaire (qui est aussi le fils des dealers d’herbe de mon père, tellement pratique). A l’école je m’ennuie, aussi bien en cours qu’en récré. Je ne suis pas très populaire : à un moment le foot est devenu la principale préoccupation des garçons, je voulais faire comme eux. J’étais toujours choisi dans les derniers et je détestais ce jeu. Au bout d’un moment je me suis retrouvé à errer dans la cours sans but avec les rares autres non footeux (dont le copain à la boite D&D)
Beaucoup de déménagements à cette époque : à 10 ans j'avais déménagé une bonne dizaine de fois (en restant en Normandie à part pour l’escapade Aveyronnaise)
D’après mes cousins/cousines j’étais un sale petit con. Il est vrai que c’est ma mémé qui s’occupe majoritairement de moi à cette époque et qu'elle me laisse tout faire. Elle m'achète 3 pains au chocolat pour le gouter et elle me donne plein d'argent pour aller jouer au flipper et aux bornes d'arcades (rhaaa Bubble-Bobble) dans les bistrots. Je suis fan des Forbans.
Naissance de mon (demi) petit frère (11 ans d’écart) : ma mère reforme une nouvelle famille et j’ai du mal à m’y intégrer (malgré la gentillesse de mon beau père). Mon père multiplie les copines avec lesquelles il se fâche régulièrement. Parfois je découvre une nouvelle copine tous les 15 jours, parfois ça dure quelques mois.
Collège
Déménagement dans la campagne normande. Je lis joystick même si je n'ai pas d'ordi. J'ai eu une NES (surprise totale du Noel de sixième), mais je rêve des gros RPG de l’Amiga en lisant les tests.
Je me trouve une petite bande de potes, on parle du film de la veille ou des guignols de l'info dans la cour. On est "un peu" lourds : bataille d'eau dans les toilettes, concours de mollards, discussion cul, échange de cassette vidéo avec le porno de canal+... Je ne travaille pas trop et m'en tire avec une petite moyenne, juste de quoi passer au niveau suivant. Mon beau père achète un 'mac classic', je joue à Shuffle Puck Cafe.
Déménagement en ville en 3ème: c'est le retour à la civilisation ! Je me fais plein d'amis avec qui je fais des jeux de rôle et des figurines. Je ne joue plus du tout aux JV : j’ai revendu toutes mes consoles. Certains dont les parent ne sont pas très regardant fument déjà des joints et commencent à picoler. Ma mère s'inquiète. Ma prof de Maths ne m'apprécie pas trop et bloque mon passage en seconde générale (vers le lycée "d'élite" du centre-ville) malgré un bulletin "moyen +" et un brevet obtenu assez largement (ma meilleure note est pourtant équivalent à 15/20 en Maths). Je n’étais juste pas très motivé pendant les cours.
Comme on doit déménager dans une autre région (encore !) finalement ce n'est plus très gênant et je suis autorisé à continuer les études générales.
Lycée
Arrivé en Bretagne dans une ville que je déteste immédiatement. Lycée privé que je déteste aussi. En fait je me déteste, et ma famille aussi. J’avais trouvé mon groupe et je le perdais quasiment aussitôt. Je ne me fais pas trop de pote au lycée, juste deux ou trois inadaptés sociaux déracinés comme moi. Je trouve un club de jeux de rôle ou je passe de très bonnes soirées avec des gens plus âgés (profil étudiant). Rétrospectivement ils étaient super bizarres ces gens… Sympa mais inadaptés sociaux aussi… Comme moi.
Je passe en section S de justesse, puis me laisse couler en première. Je suis dépressif, ne trouve pas ma place, rêve de retrouver mes potes. Redoublement. Prise de tête à la maison. Depuis longtemps la menace de ma mère est de "m'envoyer chez mon père", et finalement je me dis que ça serait peut-être pas si mal. Déménagement pendant l'été chez mon paternel qui habite un appart’ un peu pourrave dans une quartier populaire. Ma chambre fait moins de 10m2 dans un grenier mansardé et vaguement aménagé dans lequel je peux à peine tenir debout. Les voisins s’engueulent en hurlant et en se balançant la vaisselle à la gueule. Une fois le mari sort même son fusil sur le palier. Je m’en fous : après 2 années difficiles je retrouve la ville et mes potes de troisième.
La copine d'alors de mon père se rend compte qu’elle n’est pas beaucoup plus vieille que moi et elle se barre…
Commence alors une sorte d'âge d'or adolescent illusoire : mon père m’offre une liberté complète. Il fume même des joints avec mes potes et moi. Grand prestige. Au départ nous continuons les jeux de rôle, mais assez rapidement ça devient un prétexte pour boire et fumer. Bientôt nous ne jouons plus, nous allons en rave et free-party dans la boue (Normandie mec), biture et défonce. Un des potes a une vieille R5 déglingué et il nous trimballe faire la teuf jusqu'en banlieue parisienne. Je rencontre beaucoup de monde : le groupe de pote est éclaté sur plusieurs lycée, chacun ramène d’autres pote, les réseaux s’interconnectent. Cette période était à la fois magique mais aussi un peu triste : au fond nous n’étions qu’une bande de mecs asociaux sans but dans la vie autre que se défoncer la gueule. Heureusement au fond de moi il y avait un truc qui me retenait d'aller trop loin dans la dérive, et je crois aussi que je regrettais un peu les soirées jeux de rôle.
Je suis à ce moment très affaibli psychologiquement: dépressif, parano, ultra flemmard (léthargique), avec parfois des épisodes à la limite de la schizophrénie (j'entends des voix flippantes), malaises. La drogue c’est mal. Heureusement je n’ai pas suivi certains de mes amis qui s’aventurent toujours plus loin.
En fait ce qui est assez dingue c’est que la période défonce/free-party n’a pas durée très longtemps (à peine une année scolaire) mais m’aura énormément marquée.
En terminal je prends conscience que je dois me reprendre si je ne veux pas mal finir. J’essaie d’être studieux, je fais moins la fête, je participe en classe, je vais voir un psy. Alors que je n’ai aucune idée de ce que je veux faire plus tard, j'entends dans le couloir du lycée un mec parler de la journée porte ouverte à l'IUT informatique qu'il a fait la veille : « il y a des salles pleines d’ordis ! » C'est la révélation !
J’ai eu une copine pendant 15 jours à un moment durant ces 4 années...
IUT Informatique
Du bonheur. Je fais un truc qui me plaît vraiment, j'ai des bonnes notes, je rencontre des gros nerds, j'ai mon premier ordi. Diablo, Baldur's Gate, Star Craft, Lan Party, C++, Java. J'ai l'impression d'avoir enfin trouvé ma famille !
Je fréquente encore un peu mes potes d'avant, mais avec de plus en plus de réserve. Ceux qui n'ont pas trouvé leur voie galèrent. L'un d'eux, le genre à avoir son bac avec mention tout en étant défoncé et sans avoir révisé, se ramasse en prépa, puis à la fac, puis à l'IUT. C'est dur de le voir complétement rater ses études et sombrer dans l'alcool. Je croise un jour mon pote de primaire, le fameux fils des dealers de mon père, qui fait la manche dans la rue. Il est complétement ravagé (drogue, je le croisais souvent dans les free party), il sort de l'hôpital psy et n'arrive pas à faire des phrases de plus de 3 mots. Il a à peine 20 ans. Je prends conscience que j’ai eu du bol.
Au niveau affectif c'est le néant. Être entouré de 95% de mec en classe n’aide pas. J’évite les événements festifs : les soirées étudiantes paraissent bien fades après mes sorties nocturnes lycéennes.
Pendant mon stage de fin de DUT un technicien super sympa, qui bosse comme un ingé mais sans le salaire, me convainc de continuer mes études. Le genre de rencontre clé qui change une vie en une heure à la machine à café.
ERASMUS en Irlande
Emancipation, largage complet des amarres avec mon ancienne vie, mais c'est dur : je me sens très seul. Je ressens d’autant plus mon côté asocial en étant coupé de mon référentiel habituel. C’est d'autant plus frustrant que ça fricotte pas mal entre étudiants Erasmus. Je suis trop introverti y participer. Je regarde ça de loin avec jalousie (petite pensée pour l’espèce de playboy avec sa guitare, qui chantait du Goldman et qui était en colloc’ avec 5 nanas...).J'en profite pour essayer de récupérer une vie plus saine (sport, régime) et je me sens mieux. En plus j'arrive à baragouiner en anglais en repartant. Je retrouve espoir et confiance en moi.
FAC
J’arrive à récupérer un ticket d'entrée à la fac. Mon diplôme Irlandais ne « compte pas » et je dois reprendre en licence… J’ai un peu les boules, mais finalement je fais des trucs passionnants (et bien souvent inutiles) à la fac, des projets dans tous les sens. J'adore ça. C'est la folie du .com et l'avenir devant moi semble radieux.
Je retrouve malheureusement un peu les vieux démons de l'adolescence (alcool/drogue/dépression/frustration), car je suis loin d'être heureux: la solitude affective (et sexulle aussi) devient pesante et je ressasse toutes les occasions ratée dans ma vie. Je suis le roi des actes manqués (souvenir d'une fin de soirée d'été, allongé au coin d’un feu de camp à regarder les étoiles avec une fille qui me plaisait beaucoup, qui me sort: tu n'as pas froid ? Tu ne veux pas venir dormir sous ma tente ? Et moi: "hein ??? non, non, ça va j'ai pas froid, t'inquiète" haha quel con. Et j'en ai un paquet d'autre des comme ça). En fait le désert affectif je me le suis créé tout seul. Et le soir avant de dormir ça pèse et ça fait cogiter.
Je trouve un DESS en apprentissage à Paris et je pars à l'aventure. Je déchante vite: je suis en banlieue, certes "chic" mais loin de tout, et chère (Yvelines). Je vis dans un foyer de jeunes travailleurs (j’y croise des gens de tout horizons et origines), et surtout je regrette ma fac de province: meilleur ambiance et meilleurs profs (de loin). Mais je suis alternant et je gagne un peu de thune. Je fais mon stage dans un trou paumé de Normandie et pas du tout dans le domaine qui me plaît. Je me fais chier comme un rat mort. Re déprime. Et à la fin: retour chez maman et chômage. C'est le creux de la vague post bulle .com et je suis un universitaire provinciale naïf: je ne connais absolument rien du milieu pro. Ma famille non plus. Je rame 6 mois avant de décrocher un job à Paris.
Paris – Genève
Un peu galère au début (salaire de merde et j'habite chez un pote, puis sur le canap' d'un ami de mes parents) C'est un peu la misère, le temps de mettre de côté et de passer la période d'essai. Puis rencontre avec WoW et quasi en même temps ma future épouse.
J'ai dû faire un choix; j'arrête WoW avant le niveau 30 ! Elle est très différente de moi (elle a fait des études brillantes, n’a jamais fumé la moindre bouffée de cigarette, ne supporte pas un dé à coudre d’alcool, ne joue pas… Mais on se ressemble sur beaucoup d’autres points de caractère. Surtout elle m’a aidé à complétement tirer un trait sur mon état dépressif, à reprendre confiance en moi, et nous avons par la suite bâtie une famille qui tient bien la route.
La suite c’est moins intéressant car plus banal : déménagement en banlieue, changement de SSII, moufflet #1, re-changement de SSII (plusieurs fois). J’ai toujours eu du bol au travail : j’ai toujours trouvé des postes qui plaisait bien, avec des collègues et des chefs sympas. Pas trop de stress, et assez d’assurance pour dire merde aux commerciaux de SSII quand ils me faisaient des sales coups.
Après 5 ans comme ça on commence à chercher autre chose: "la banlieue c'est morose" surtout pour élever un gamin. Nos amis d’alors sont tous plus ou moins partis ailleurs. J'ai une proposition à Londres, mais c'est trop hasardeux, Finalement je décroche "le contrat du siècle" en tant que fonctionnaire international à Genève dans un centre de recherche européen. Deuxième marmot au passage.
Malheureusement le contrat est à durée limité de 5 ans. Petite déprime à la sortie, puis je me case comme fonctionnaire dans une grosse structure étatique genevoise. Très bon rapport avec mes collègues et mes supérieurs. Je suis très content de mon job : petite équipe, totale autonomie sur des projets intéressant, chef qui nous protège du jeu politique, rarement du stress : c’est la belle vie !
Parfois je me dis que les 25 prochaines années risquent d’être un peu monotones, puis j'écoute la radio et je me dis que ça me plait bien tout compte fait, j'aime bien cette vie peinarde.
Et quand je regarde mon adolescence, je trouve que je m'en tire à très bon compte et que j'ai eu une finalement une sacrée bonne étoile. Je n’arrive pas encore à cerner tout à fait comment mon étape « défonce » a contribuer à mon parcours. Dans quelle mesure ça n’a pas été bénéfique de vriller au lycée et de raccrocher après : j’ai vu pas mal de gentils petit gars au lycée se ramasser à la fac/IUT parce qu’ils n’avaient plus aucun cadre et ne pas réussir à se relever après avoir fait la fête non-stop pendant leur première année de fac.
J’ai complétement coupé les ponts avec mes amis d’alors, mais j’ai vécu des trucs assez intenses avec cette petite bande, parfois j’ai un peu la nostalgie d’avoir 17 ans et d’errer dans les rues dans un état second avant de partir vers une destination inconnue écouter de la musique répétitive.
Avec mes parents c’est plus compliqué : je m’inquiète un peu pour mon père qui vit seul depuis plusieurs années, fâché avec tous ses anciens amis, et devenu « père la vertu » distribuant sa morale de curé à deux balles, pas très en phase avec ce qu’il m’a fait vivre. Ma mère a été imbuvable avec mon épouse à la naissance de Vaurien Junior #1 (prématuré, resté 2 mois à l’hosto) et après 13 ans la relation reste compliquée…