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birdienumnum
25/06/2012, 14h51
En ces temps où l'humour est indispensable à l'expression, il me semble judicieux d'entamer une réflexion sur les études passées afin d'essayer (que dis-je, de tenter d'essayer) de circoncire le domaine du risible.

Je vous propose donc de partir de cette base :



Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »


Quentin Skinner, « La philosophie et le rire », , 2001, [en ligne],mis en ligne le 17 mai 2006. URL : http://cmb.ehess.fr/54. Consulté le 24 juin 2012.


Quiconque niera l'intérêt de ce topic
ben

euuuh

c'est un méchant pas beau.

le caca de l'espace
25/06/2012, 14h56
http://i.imgur.com/cTtXA.gif

vectra
25/06/2012, 14h58
http://narwhaler.com/img/ov/z/didnt-read-lol-spiderman-ovzLDk.jpg

lincruste
25/06/2012, 14h58
http://uppix.net/2/2/a/e6d00d361eac133039ad17c3c2679.jpg

kilfou
25/06/2012, 14h59
Quelle belle notice. :wub:

le caca de l'espace
25/06/2012, 14h59
http://uppix.net/2/2/a/e6d00d361eac133039ad17c3c2679.jpg

in b4 http://uppix.net/2/2/a/e6d00d361eac133039ad17c3c2679.jpg

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lol too fast

birdienumnum
25/06/2012, 15h01
Note à la modération :

Vous constaterez que le déraillement de ce topic n'est pas de mon fait. Mon histoire familiale me fait rechigner à la délation, mais là, je préfère indiquer que ce sont les sieurs caca et vectra qui en sont responsables. Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ils sont responsables par le fait et vis-à-vis d'un corpus de lois préétablies (la fameuse charte). Moralement, pour caca, je penche pour un excès de tendresse envers son prochain. Pour vectra, repensez à Edmond Dantès, tant de solitude doit impliquer chez nous de la commisération.

KiwiX
25/06/2012, 15h05
Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

> Non.

---------- Post added at 15h05 ---------- Previous post was at 15h02 ----------


Vous constaterez que le déraillement de ce topic n'est pas de mon fait.
Arrête, on dirait vectra ! Ou anton.

http://i.imgur.com/s9tVa.gif

KiwiX
25/06/2012, 15h06
Par contre :

Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

Est-ce que ce Monsieur mangeait des pizzas ?

http://i.imgur.com/n0Whi.jpg

Antarion
25/06/2012, 15h08
tl;dr

Da-Soth
25/06/2012, 15h09
Il y a quand même un point que vous oubliez et qui me semble important :



nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

Enfin je dis ça je dis rien.

birdienumnum
25/06/2012, 15h10
Je n'ai pas ( encore ) tout lu, mais je ne peut que te conseiller de reposter ceci ici (http://forum.canardpc.com/threads/52559-La-Philosophie-pour-les-Gonades.-Un-topic-de-burnes/page8)

Très cher, cela m'emplit de joie que vous m'invitiez à poster dans ces topics. Malheureusement, il s'agit d'une question aujourd'hui centrale, au même titre que le contrôle au faciès et la légalisation de l'eucalyptus. Quand une grande penseuse comme Nadine Morano appelle à une redéfinition du rôle du comique dans l'espace public, cela est signe que le débat n'est pas clôt.

KiwiX
25/06/2012, 15h11
Il y a quand même un point que vous oubliez et qui me semble important :


Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.

[...]

Enfin je dis ça je dis rien.
Bien sûr mais c'est incomplet.

Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire » et vous pouvez bien vous faire enculer tas de pd. Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

birdienumnum
25/06/2012, 15h13
pizza

didn't read

je dis ça, je dis rien

Cette accumulation de topoï me fait immanquablement penser à un grand monsieur qui un jour m'a dit : "le postmodernisme a tué la communication".
Je propose donc un débat "alternatif" afin de se reposer : cet aphorisme mérite-t-il un topic pour en débattre ?

vectra
25/06/2012, 15h14
http://www.youtube.com/watch?v=ur5fGSBsfq8

Da-Soth
25/06/2012, 15h14
Merci cher KiwiX. C'est un point qui me semble très important.

Si vous permettez, je préciserais que Nietzshe insiste :

« J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

Parce que c'est pas tout ça, mais il fallait 'comme' même le dire.

KiwiX
25/06/2012, 15h15
cette aphorisme mérite-t-il un topic pour en débattre ?
Je sais pas mais j'ai plein d'énergie. Peut-être parce que j'ai envie de bais- oups le référencement - tirer ma crampe.

---------- Post added at 15h15 ---------- Previous post was at 15h14 ----------



Da-Soth,

Merci pour ces précisions, mon cher.


Parce que c'est pas tout ça, mais il fallait 'comme' même le dire.
^_^ Mon dieu.

Da-Soth
25/06/2012, 15h15
Cette accumulation de topoï me fait immanquablement penser à un grand monsieur qui un jour m'a dit : "le postmodernisme a tué la communication".
Je propose donc un débat "alternatif" afin de se reposer : cet aphorisme mérite-t-il un topic pour en débattre ?

Je dirais que tout dépend si cet aphorisme est de nationalité tchadienne et plus noir qu'un arabe.

Courtequeue
25/06/2012, 15h16
http://uppix.net/e/8/e/57a51ce6cbdb751ca6d8ccdce3579.jpg (http://uppix.net/e/8/e/57a51ce6cbdb751ca6d8ccdce3579.html)

birdienumnum
25/06/2012, 15h16
http://www.youtube.com/watch?v=ur5fGSBsfq8

Ce n'est ni le lieu ni le moment. Merci d'arrêter de polluer mon topic.

Ceci est un avertissement sans frais ; comme je l'ai dit, mon histoire personnelle me fait rechigner à la délation (mon père s'est fait dénoncé après avoir fait pipi dans une haie). Mais là, la Pensée est en jeu, je n'hésiterais donc pas à prévenir les autorités compétentes à la prochaine incartade de ta part.

lincruste
25/06/2012, 15h16
Du rire. Je me souviens d'une poésie du CE2:

"Qui dit que je ris a mal compris, pleurait la baleine
On me course et traque on me harponne et CRAC! À perdre l'haleine !
Qui dit que je ris a mal compris, pleurait la baleine."

vectra
25/06/2012, 15h17
A la fin, c'est Socrate qui marque...

KiwiX
25/06/2012, 15h17
http://www.youtube.com/watch?v=ur5fGSBsfq8
Je modobell pour HS.

sosoran
25/06/2012, 15h17
Je citerai ici Qu'est-ce que les lumières de Kant :
Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail (domestique) et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas, hors du parc ou ils les ont enfermé. Ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles essayent de s’aventurer seules au dehors. Or, ce danger n’est vraiment pas si grand, car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher ; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte, détourne ordinairement d’en refaire l’essai.
Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui, nature. Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions (préceptes) et formules, ces instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste. Quiconque même les rejetterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.
Mais qu’un public s’éclaire lui-même, rentre davantage dans le domaine du possible, c’est même pour peu qu’on lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car on rencontrera toujours quelques hommes qui pensent de leur propre chef, parmi les tuteurs patentés (attitrés) de la masse et qui, après avoir eux-mêmes secoué le joug de la (leur) minorité, répandront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa valeur propre et de la vocation de chaque homme à penser par soi-même. Notons en particulier que le public qui avait été mis auparavant par eux sous ce joug, les force ensuite lui-même à se placer dessous, une fois qu’il a été incité à l’insurrection par quelques-uns de ses tuteurs incapables eux-mêmes de toute lumière : tant il est préjudiciable d’inculquer des préjugés parce qu’en fin de compte ils se vengent eux-mêmes de ceux qui en furent les auteurs ou de leurs devanciers. Aussi un public ne peut-il parvenir que lentement aux lumières. Une révolution peut bien entraîner une chute du despotisme personnel et de l’oppression intéressée ou ambitieuse, (cupide et autoritaire) mais jamais une vraie réforme de la méthode de penser ; tout au contraire, de nouveaux préjugés surgiront qui serviront, aussi bien que les anciens de lisière à la grande masse privée de pensée.
Or, pour ces lumières, il n’est rien requis d’autre que la liberté ; et à vrai dire la liberté la plus inoffensive de tout ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Mais j’entends présentement crier de tous côtés : « Ne raisonnez pas »! L’officier dit : Ne raisonnez pas, exécutez ! Le financier : (le percepteur) « Ne raisonnez pas, payez! » Le prêtre : « Ne raisonnez pas, croyez : » (Il n’y a qu’un seul maître au monde qui dise « Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez ! ») Il y a partout limitation de la liberté. Mais quelle limitation est contraire aux lumières ? Laquelle ne l’est pas, et, au contraire lui est avantageuse ? - Je réponds : l’usage public de notre propre raison doit toujours être libre, et lui seul peut amener les lumières parmi les hommes ; mais son usage privé peut être très sévèrement limité, sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des lumières. J’entends par usage public de notre propre raison celui que l’on en fait comme savant devant l’ensemble du public qui lit. J’appelle usage privé celui qu’on a le droit de faire de sa raison dans un poste civil ou une fonction déterminée qui vous sont confiés. Or il y a pour maintes affaires qui concourent à l’intérêt de la communauté un certain mécanisme qui est nécessaire et par le moyen duquel quelques membres de la communauté doivent se comporter passivement afin d’être tournés, par le gouvernement, grâce à une unanimité artificielle, vers des fins publiques ou du moins pour être empêchés de détruire ces fins. Là il n’est donc pas permis de raisonner ; il s’agit d’obéir. Mais, qu’une pièce (élément) de la machine se présente en même temps comme membre d’une communauté, et même de la société civile universelle, en qualité de savant, qui, en s’appuyant sur son propre entendement, s’adresse à un public par des écrits : il peut en tout cas raisonner, sans qu’en pâtissent les affaires auxquelles il est préposé partiellement en tant que membre passif. Il serait très dangereux qu’un officier à qui un ordre a été donné par son supérieur, voulût raisonner dans son service sur l’opportunité ou l’utilité de cet ordre ; il doit obéir. Mais si l’on veut être juste, il ne peut lui être défendu, en tant que savant, de faire des remarques sur les fautes en service de guerre et de les soumettre à son public pour qu’il les juge. Le citoyen ne peut refuser de payer les impôts qui lui sont assignés : même une critique impertinente de ces charges, s’il doit les supporter, peut être punie en tant que scandale (qui pourrait occasionner des désobéissances généralisées). Cette réserve faite, le même individu n’ira pas à l’encontre des devoirs d’un citoyen, s’il s’exprime comme savant, publiquement, sa façon de voir contre la maladresse ou même l’injustice de telles impositions. De même un prêtre est tenu de faire l’enseignement à des catéchumènes et à sa paroisse selon le symbole de l’Église qu’il sert, car il a été admis sous cette condition. Mais, en tant que savant, il a pleine liberté, et même plus : il a la mission de communiquer au public toutes ses pensées soigneusement pesées et bien intentionnées sur ce qu’il y a d’incorrect dans ce symbole et de lui soumettre ses projets en vue d’une meilleure organisation de la chose religieuse et ecclésiastique. En cela non plus il n’y a rien qui pourrait être porté à charge à sa conscience. Car ce qu’il enseigne par suite de ses fonctions, comme mandataire de l’Eglise, il le présente comme quelque chose au regard de quoi il n’a pas libre pouvoir d’enseigner selon son opinion personnelle, mais en tant qu’enseignement qu’il s’est engagé à professer au nom d’une autorité étrangère.
Il dira « Notre Église enseigne telle ou telle chose. Voilà les arguments dont elle se sert ». Il tirera en cette occasion pour sa paroisse tous les avantages pratiques de propositions auxquelles il ne souscrirait pas en toute conviction, mais qu’il s’est pourtant engagé à exposer parce qu’il n’est pas entièrement impossible qu’il s’y trouve une vérité cachée, et qu’en tout cas, du moins, rien ne s’y trouve qui contredise la religion intérieure. Car, s’il croyait trouver rien de tel, il ne saurait en conscience conserver ses fonctions ; il devrait s’en démettre. Par conséquent l’usage de sa raison que fait un éducateur en exercice devant son assistance est seulement un usage privé, parce qu’il s’agit simplement d’une réunion de famille, si grande que celle-ci puisse être, et, par rapport à elle, en tant que prêtre, il n’est pas libre et ne doit non plus l’être, parce qu’il remplit une fonction étrangère. Par contre, en tant que savant, qui parle par des écrits au public proprement dit, c’est-à-dire au monde, - tel donc un membre du clergé dans l’usage public de sa raison - il jouit d’une liberté sans bornes d’utiliser sa propre raison et de parler en son propre nom. Car prétendre que les tuteurs du peuple (dans les affaires spirituelles) doivent être eux-mêmes à leur tour mineurs, c’est là une ineptie, qui aboutit à la perpétuation éternelle des inepties.
Mais une telle société ecclésiastique, en quelque sorte un synode d’Églises, ou une classe de Révérends (comme elle s’intitule elle-même chez les Hollandais), ne devrait-elle pas être fondée en droit à faire prêter serment sur un certain symbole immuable, pour faire peser par ce procédé une tutelle supérieure incessante sur chacun de ses membres, et, par leur intermédiaire, sur le peuple, et pour précisément éterniser cette tutelle ? Je dis que c’est totalement impossible. Un tel contrat qui déciderait d’écarter pour toujours toute lumière nouvelle du genre humain, est radicalement nul et non avenu ; quand bien même serait-il entériné par l’autorité suprême, par des Parlements, et par les traités de paix les plus solennels. Un siècle ne peut pas se confédérer et jurer de mettre le suivant dans une situation qui lui rendra impossible d’étendre ses connaissances (particulièrement celles qui sont d’un si haut intérêt), de se débarrasser des erreurs, et en général de progresser dans les lumières. Ce serait un crime contre la nature humaine, dont la destination originelle consiste justement en ce progrès ; et les successeurs sont donc pleinement fondés à rejeter pareils décrets, en arguant de l’incompétence et de la légèreté qui y présidèrent. La pierre de touche de tout ce qui peut être décidé pour un peuple sous forme de loi tient dans la question suivante : « Un peuple accepterait-il de se donner lui-même pareille loi ? » Éventuellement il pourrait arriver que cette loi fût en quelque manière possible pour une durée déterminée et courte, dans l’attente d’une loi meilleure, en vue d’introduire un certain ordre. Mais c’est à la condition de laisser en même temps à chacun des citoyens, et particulièrement au prêtre, en sa qualité de savant, la liberté de formuler des remarques sur les vices inhérents à l’institution actuelle, et de les formuler d’une façon publique, c’est-à-dire par des écrits, tout en laissant subsister l’ordre établi. Et cela jusqu’au jour où l’examen de la nature de ces choses aurait été conduit assez loin et assez confirmé pour que, soutenu par l’accord des voix (sinon de toutes), un projet puisse être porté devant le trône : projet destiné à protéger les communautés qui se seraient unies, selon leurs propres conceptions, pour modifier l’institution religieuse, mais qui ne contraindrait pas ceux qui voudraient demeurer fidèles à l’ancienne. Mais, s’unir par une constitution durable qui ne devrait être mise en doute par personne, ne fût-ce que pour la durée d’une vie d’homme, et par là frapper de stérilité pour le progrès de l’humanité un certain laps de temps, et même le rendre nuisible pour la postérité, voilà ce qui est absolument interdit.
Un homme peut bien, en ce qui le concerne, ajourner l’acquisition d’un savoir qu’il devrait posséder. Mais y renoncer, que ce soit pour sa propre personne, et bien plus encore pour la postérité, cela s’appelle voiler les droits sacrés de l’humanité et les fouler aux pieds. Or, ce qu’un peuple lui-même n’a pas le droit de décider quant à son sort, un monarque a encore bien moins le droit de le faire pour le peuple, car son autorité législative procède justement de ce fait qu’il rassemble la volonté générale du peuple dans la sienne propre. Pourvu seulement qu’il veille à ce que toute amélioration réelle ou supposée se concilie avec l’ordre civil, il peut pour le reste laisser ses sujets faire de leur propre chef ce qu’ils trouvent nécessaire d’accomplir pour le salut de leur âme ; ce n’est pas son affaire, mais il a celle de bien veiller à ce que certains n’empêchent point par la force les autres de travailler à réaliser et à hâter ce salut de toutes leurs forces en leur pouvoir. Il porte même préjudice à sa majesté même s’il s’immisce en cette affaire en donnant une consécration officielle aux écrits dans lesquels ses sujets s’efforcent de tirer leurs vues au clair, soit qu’il le fasse sous sa propre et très haute autorité, ce en quoi il s’expose au grief « César n’est pas au-dessus des grammairiens », soit, et encore plus, s’il abaisse sa suprême puissance assez bas pour protéger dans son Etat le despotisme clérical et quelques tyrans contre le reste de ses sujets.
Si donc maintenant on nous demande : « Vivons-nous actuellement dans un siècle éclairé ? », voici la réponse : « Non, mais bien dans un siècle en marche vers les lumières. » Il s’en faut encore de beaucoup , au point où en sont les choses, que les humains, considérés dans leur ensemble, soient déjà en état, ou puissent seulement y être mis, d’utiliser avec maîtrise et profit leur propre entendement, sans le secours d’autrui, dans les choses de la religion.
Toutefois, qu’ils aient maintenant le champ libre pour s’y exercer librement, et que les obstacles deviennent insensiblement moins nombreux, qui s’opposaient à l’avènement d’une ère générale des lumières et à une sortie de cet état de minorité dont les hommes sont eux-mêmes responsables, c’est ce dont nous avons des indices certains. De ce point de vue, ce siècle est le siècle des lumières, ou siècle de Frédéric.
Un prince qui ne trouve pas indigne de lui de dire qu’il tient pour un devoir de ne rien prescrire dans les affaires de religion aux hommes, mais de leur laisser en cela pleine liberté, qui par conséquent décline pour son compte l’épithète hautaine de tolérance, est lui-même éclairé : et il mérite d’être honoré par ses contemporains et la postérité reconnaissante, eu égard à ce que le premier il sortit le genre humain de la minorité, du moins dans un sens gouvernemental, et qu’il laissa chacun libre de se servir en tout ce qui est affaire de conscience, de sa propre raison. Sous lui, des prêtres vénérables ont le droit, sans préjudice des devoirs professionnels, de proférer leurs jugements et leurs vues qui s’écartent du symbole officiel, en qualité d’érudits, et ils ont le droit de les soumettre librement et publiquement à l’examen du monde, à plus forte raison toute autre personne qui n’est limitée par aucun devoir professionnel. Cet esprit de liberté s’étend encore à l’extérieur, même là où il se heurte à des obstacles extérieurs de la part d’un gouvernement qui méconnaît son propre rôle. Cela sert au moins d’exemple à ce dernier pour comprendre qu’il n’y a pas à concevoir la moindre inquiétude pour la durée publique et l’unité de la chose commune dans une atmosphère de liberté. Les hommes se mettent d’eux-mêmes en peine peu à peu de sortir de la grossièreté, si seulement on ne s’évertue pas à les y maintenir.
J’ai porté le point essentiel dans l’avènement des lumières sur celles par lesquelles les hommes sortent d’une minorité dont ils sont eux-mêmes responsables, - surtout sur les questions de religion ; parce que, en ce qui concerne les arts et les sciences, nos maîtres n’ont aucun intérêt à jouer le rôle de tuteurs sur leurs sujets ; par dessus le marché, cette minorité dont j’ai traité est la plus préjudiciable et en même temps la plus déshonorante de toutes. Mais la façon de penser d’un chef d’État qui favorise les lumières, va encore plus loin, et reconnaît que, même du point de vue de la législation, il n’y a pas danger à permettre à ses sujets de faire un usage public de leur propre raison et de produire publiquement à la face du monde leurs idées touchant une élaboration meilleure de cette législation même au travers d’une franche critique de celle qui a déjà été promulguée; nous en avons un exemple illustre, par lequel aucun monarque n’a surpassé celui que nous honorons.
Mais aussi, seul celui qui, éclairé lui-même, ne redoute pas l’ombre (les fantômes), tout en ayant sous la main une armée nombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique, peut dire ce qu’un État libre ne peut oser: «Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu’il vous plaira, mais obéissez !»
Ainsi les affaires humaines prennent ici un cours étrange et inattendu : de toutes façons, si on considère celui-ci dans son ensemble, presque tout y est paradoxal. Un degré supérieur de liberté civile paraît avantageux à la liberté de l’esprit du peuple et lui impose néanmoins des limites infranchissables ; un degré moindre lui fournit l’occasion de s’étendre de tout son pouvoir. Une fois donc que la nature sous cette rude écorce a libéré un germe, sur lequel elle veille avec toute sa tendresse, c’est-à-dire cette inclination et cette disposition à la libre pensée, cette tendance alors agit graduellement à rebours sur les sentiments du peuple (ce par quoi le peuple augmente peu à peu son aptitude à se comporter en liberté) et pour finir elle agit même en ce sens sur les fondements du gouvernement, lequel trouve profitable pour lui-même de traiter l’homme, qui est alors plus qu’une machine, selon la dignité qu’il mérite.
Dans les Nouvelles Hebdomadaires de Bueschning du 13 septembre, je lis aujourd’hui 30 du même mois l’annonce de la Revue Mensuelle Berlinoise, où se trouve la réponse de M. Mendelssohn à la même question? Je ne l’ai pas encore eue entre les mains ; sans cela elle aurait arrêté ma présente réponse, qui ne peut plus être considérée maintenant que comme un essai pour voir jusqu’où le hasard peut réaliser l’accord des pensées.
(Traduction Piobetta)

À vous de l’interpréter comme il se doit

birdienumnum
25/06/2012, 15h18
Je modobell pour HS.

Je vous enjoins de vous abstenir. Respectons la différence et les épreuves de chacun. Au final, nous en sortirons tous grandis.

KiwiX
25/06/2012, 15h18
A la fin, c'est Socrate qui marque...
Merci d'étayer tes propos, je modobell pour flood.

vectra
25/06/2012, 15h18
Je modobell pour HS.

Division par zéro?

sissi
25/06/2012, 15h18
Du rire. Je me souviens d'une poésie du CE2:

"Qui dit que je ris a mal compris, pleurait la baleine
On me course et traque on me harponne et CRAC! À perdre l'haleine !
Qui dit que je ris a mal compris, pleurait la baleine."


Non.

KiwiX
25/06/2012, 15h18
Je vous enjoins de vous abstenir. Respectons la différence et les épreuves de chacun. Au final, nous en sortirons tous grandis.

Je modobell pour incitation au trafic de drogue.

pins
25/06/2012, 15h20
Je modobell pour incitation au trafic de drogue.

Je modobell pour référencement indésirable.

birdienumnum
25/06/2012, 15h20
"modobell ci"
"modobell ça"

Au delà d'un certain sentiment de persécution, je ne peux m'empêcher d'y voir une corruption de la langue de Bernanos.

KiwiX
25/06/2012, 15h22
"modobell ci"
"modobell ça"

Au delà d'un certain sentiment de persécution, je ne peux m'empêcher d'y voir une corruption de la langue de Bernanos.
C'est qui encore ce gros fils de pu- le référencement, pardon.

Qui est donc cette illustre personne ?

---------- Post added at 15h22 ---------- Previous post was at 15h21 ----------


Je modobell pour référencement indésirable.

Je modobell pour dénonciation calomnieuse.

Flaya
25/06/2012, 15h22
Vous racontez vraiment tous n'importe QUOI!!
On sait tous ce qui c'est réellement passé lorsque Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

Et vous osez encore prétendre le contraire.

C'est tout simplement inadmissible.

pins
25/06/2012, 15h23
Je modobell pour dénonciation calomnieuse.

Je modobell pour vocabulaire indésirable !

Da-Soth
25/06/2012, 15h24
C'est bon détendez vous, on a passé la première page.

Bonhomme

http://uppix.net/7/8/7/c0476fe53ce852a00cc1a1f90f0e0.jpg

Pas bonhomme

http://uppix.net/6/2/e/a265c4b12c6589cfc6da3d5fb47e9.jpg

KiwiX
25/06/2012, 15h25
Je modobell pour vocabulaire indésirable !
woh l'autre hey, va voir sur wikipédia si tu sais pas bat- homme de petite vertue !

pins
25/06/2012, 15h25
[...]P[...]u[...]t[...]e

Je modobell et c'est numéro un
Dans mon île on est fous comme on est musicien

KiwiX
25/06/2012, 15h26
N.B : 'Petit' ne désignait pas Dakutenshi dans le cas présent.

---------- Post added at 15h26 ---------- Previous post was at 15h25 ----------


Vous racontez vraiment tous n'importe QUOI!!
On sait tous ce qui c'est réellement passé lorsque Nietzsche nous dit, à la fin de Par delà le bien et le mal : « J’irais jusqu’à risquer un classement des philosophes suivant le rang de leur rire. » Nietzsche a une violente aversion pour les philosophes qui, comme il le dit, « ont cherché à donner mauvaise réputation au rire ». Et il juge Thomas Hobbes singulièrement coupable de ce crime, ajoutant qu’on ne saurait attendre d’un Anglais autre chose que l’attitude puritaine de Hobbes. Or il se trouve que l’accusation de Nietzsche repose sur une citation mal interprétée de ce que dit Hobbes sur le rire en philosophie. Cependant, Nietzsche avait sans doute raison de souligner que Hobbes (d’accord en cela avec la plupart des penseurs importants de son époque) considérait comme évident que le rire est un sujet auquel les philosophes doivent s’intéresser sérieusement.
Selon moi, cet intérêt commença à prendre de l’ampleur au cours des premières décennies du xvie siècle, en particulier chez des humanistes aussi éminents que Castiglione dans son Cortegiano de 1528, Rabelais dans son Pantagruel de 1533, Vivès dans son De anima & vita de 1539, ainsi que dans plusieurs textes d’Érasme. Et puis, à la fin du siècle, pour la première fois depuis l’Antiquité, nous voyons se développer une littérature médicale spécialisée concernant les aspects physiologiques ainsi que psychologiques de ce phénomène. Le pionnier dans ce domaine est Laurent Joubert, médecin de Montpellier, dont le Traité du ris est publié pour la première fois à Paris en 1579. Puis, bientôt après, plusieurs traités comparables commencent à paraître en Italie, dont De risu de Celso Mancini en 1598, De risu de Antonio Lorenzini en 1603, et ainsi de suite.
Il peut sembler surprenant que tant de médecins se soient emparés avec pareil enthousiasme d’un thème essentiellement humaniste (parmi eux, bien entendu, Rabelais) et c’est là une énigme sur laquelle je reviendrai. Mais pour le moment, je veux en rester aux philosophes, et souligner avec quel enthousiasme un si grand nombre des défenseurs les plus éminents de la nouvelle philosophie au sein de la génération suivante s’attachent à cette question. Descartes consacre trois chapitres à la place occupée par le rire au sein des émotions dans son dernier ouvrage, Les passions de l’âme de 1648. Hobbes soulève un grand nombre des mêmes questions dans The Elements of Law et de nouveau dans Léviathan. Spinoza défend la valeur du rire dans le Livre IV de L’éthique. Et nombre des disciples avoués de Descartes expriment un intérêt particulier pour ce phénomène, notamment Henry More dans son Account of Virtue.
La question que je veux poser à propos de tout cela est tout simplement la suivante : pourquoi tous ces auteurs se croient-ils tenus de s’intéresser sérieusement au rire ? Il me semble que la réponse est à rechercher dans le fait que tous s’accordent sur un point cardinal. Et ce point est que la question la plus importante qui se pose au sujet du rire est celle des émotions qui le provoquent.
Une des émotions en question, tous sont d’accord là-dessus, est nécessairement une forme de joie ou de bonheur. Voici Castiglione dans son Cortegiano :
« Le rire ne paraît que dans l’humanité, et il est toujours un signe d’une certaine jovialité et gaieté que nous éprouvons intérieurement dans notre esprit. »

En l’espace d’une génération, tous ceux qui écrivent sur le sujet en arrivent à considérer ce postulat comme allant de soi. Descartes note simplement qu’« il semble que le Ris soit un des principaux signes de la Joye ». Et Hobbes conclut plus vivement encore que « le rire est toujours de la joie ».
Cependant, on s’accordait aussi sur le fait que cette joie devait être d’un genre bien particulier, et nous arrivons maintenant à l’aperçu le plus caractéristique (et peut-être aussi le plus déconcertant) de la littérature humaniste et médicale dont il est question ici. Cet aperçu est que la joie exprimée par le rire est toujours associée avec des sentiments de mépris, voire de haine : la haine de Descartes. Chez les humanistes, l’un des plus anciens arguments à cet effet est avancé par Castiglione. Je cite :
« À chaque fois que nous rions, nous nous moquons de et nous méprisons toujours quelqu’un, nous cherchons toujours à railler et à nous moquer des vices. »

Et les auteurs médicaux exposent la même théorie sous une forme plus développée, l’analyse la plus subtile sur ce point étant peut-être celle de Joubert dans son Traité du ris. Je cite son premier chapitre :
« Quelle est la matière du Ris ?… Cet objet, subjet, occasion ou matière du Ris se rapporte à deux sentiments, qui sont l’ouïe et la vue : car tout ce qui est ridicule se trouve en fait ou en dit, et est quelque chose laide et meséante, indigne toutefois de pitié et compassion. Le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris. »

Cet argument est beaucoup développé par la génération suivante, surtout par ceux qui souhaitent relier les aperçus des humanistes à ceux d’une littérature médicale en pleine éclosion. Le plus important des auteurs qui s’efforcent de forger ces liens est peut-être Robert Burton dans un texte étonnant, The Anatomy of Melancholy de 1621, qui commence par nous dire, dans sa Préface, que « lorsque nous rions, nous condamnons autrui, nous condamnons le monde de la folie », ajoutant que « le monde n’a jamais été aussi plein de folie à condamner, aussi plein de gens qui sont fous et ridicules ». De même, comme le souligne Descartes dans Les passions de l’âme :
« Or encore qu’il semble que le Ris soit l’un des principaux signes de la Joye, elle ne peut toutefois le causer que lorsqu’elle est seulement médiocre, & qu’il y a quelque admiration ou quelque haine meslée avec elle. »

De même aussi Hobbes écrit, plusieurs années auparavant, dans The Elements of Law :
« La passion du rire n’est rien d’autre qu’une gloire soudaine, et dans ce sentiment de gloire, il est toujours question de se glorifier par rapport à autrui, de sorte que lorsqu’on rit de vous, on se moque de vous, on triomphe de vous et on vous méprise. »

Ainsi, selon cette analyse, si vous vous tordez de rire, c’est qu’il a dû se passer deux choses. Vous avez dû vous apercevoir d’un vice ou d’une faiblesse méprisable en vous-même ou (encore mieux) chez autrui. Et vous avez dû en prendre conscience de manière à susciter un sentiment joyeux de supériorité, et par conséquent, de mépris. Une implication de ce raisonnement qui vaut la peine qu’on s’y arrête est que, selon Hobbes, il faut établir un contraste marqué entre le rire et le sourire. (C’est là une idée admirablement développée par le professeur Ménager dans son beau livre La Renaissance et le rire.) Le rire exprime la dérision, mais le sourire est considéré comme une expression naturelle de plaisir, et en particulier d’affection et d’encouragement. Par exemple, Sir Thomas Browne, autre médecin imprégné de savoir humaniste, fait référence à cette distinction dans son ouvrage Pseudodoxia Epidemica de 1640, dans un passage traitant de l’énigme scolastique qui demande si le Christ a jamais ri. La réponse de Browne est que, même si le Christ n’a jamais ri, nous ne pouvons imaginer qu’il n’a jamais souri, car le sourire aurait été la preuve la plus sûre de son humanité.
Cette conception du sourire le relie au sublime, et en particulier à l’image chrétienne du paradis comme état de joie éternelle. Ainsi, les sourires que nous voyons souvent dans les tableaux religieux de la Renaissance doivent, selon moi, être généralement compris comme l’expression d’une conscience joyeuse de cette sublimité. D’ordinaire, dans de tels portraits, on nous indique, par des gestes de la main ou des regards pleins de désir levés au ciel, que l’objet de cette joie est effectivement céleste. Mais dans le cas le plus célèbre de tous, La Joconde de Leonardo da Vinci, la source de la joie intérieure qui fait sourire Mona Lisa demeure un mystère, qui prête au tableau son caractère éternellement énigmatique.
L’esthétique romantique a ici, je crois, oblitéré un contraste important, bien que nous l’ayons conservé dans le parler de tous les jours. Des théoriciens romantiques de l’esthétique tels que, par exemple, Edmund Burke, aiment relier, comme dans le titre du fameux essai de Burke, le sublime et le beau. Mais dans la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que j’examine ici, le contraste existe toujours entre le sublime, qui vous fait sourire, et le ridicule, pour lequel vous marquez votre mépris par le rire. Et nous continuons à dire qu’il n’est qu’un pas du sublime au ridicule.
Or l’idée selon laquelle le sourire exprime l’amour tandis que le rire reflète le mépris était destinée à durer très longtemps. Si, par exemple, vous jetez un coup d’œil à l’essai de Baudelaire de 1855 De l’essence du rire, vous le verrez déclarer que le rire est diabolique, offrant en guise d’explication le fait que le rire a ses racines dans l’orgueil méprisant, le pire des péchés capitaux. Mais en dépit de son influence considérable, cette explication est bien loin d’être évidente. Il semble donc naturel de commencer par s’interroger sur son origine. Où et quand cette conception du rire est-elle apparue et comment en est-elle arrivée à exercer pareille influence sur la philosophie de la Renaissance et des débuts de l’époque moderne ?
II

Lorsque les auteurs dont je parle évoquent les sources de leur théorie, ils insistent souvent sur leur propre originalité et perspicacité. Quand, par exemple, Hobbes aborde le sujet dans The Elements of Law, il commence par une déclaration fracassante à cet effet. Je cite :
« Il est une passion qui n’a pas de nom, mais dont le signe est cette distorsion du visage que nous appelons rire… Mais à quoi nous pensons et de quoi nous triomphons quand nous rions n’a encore été déclaré par aucun philosophe. »

Le ton de l’auteur exprime son assurance habituelle, mais son affirmation est si loin d’être justifiée que l’on doit s’interroger sur l’idée que Hobbes se fait de son public. Rares sont les lecteurs contemporains de Hobbes auxquels aurait manqué une éducation classique, et presque tous auraient, par conséquent, su que l’analyse de Hobbes ne comportait presque rien d’aussi nouveau qu’il le prétendait. Au contraire, presque tout ce que Hobbes et ses prédécesseurs humanistes ont à dire à propos du rire dérive de deux courants de la pensée antique consacrés à ce phénomène, qui peuvent tous deux être ramenés à la philosophie d’Aristote. Ce n’est donc pas par Hobbes lui-même mais par son grand ennemi qu’il nous faut commencer.
L’observation d’Aristote sur le rire qui est le plus souvent citée provient du texte connu dans l’Antiquité romaine sous le titre de De partibus animalium, dans lequel l’auteur note que les êtres humains sont les seules créatures qui rient : homo risus. Pour ce qui m’occupe aujourd’hui, toutefois, les remarques les plus pertinentes d’Aristote se trouvent dans la Rhétorique, en particulier dans le passage du Livre II où il examine les manières de la jeunesse. Il est d’ailleurs frappant que la première traduction de ce texte en anglais ait été l’œuvre de Thomas Hobbes, qui la publia aux alentours de 1637. Or, dans sa traduction, ce que Hobbes fait dire à Aristote (Livre II, chap. 12) est que « la plaisanterie est une injure pleine d’esprit, et cette injure est la disgrâce d’autrui pour notre propre divertissement », de sorte que le rire est toujours une expression de notre mépris.
À cela, nous devons ajouter ce que dit Aristote dans sa Poétique, particulièrement dans le court passage qu’il consacre au type de mimésis manifeste dans la comédie. La comédie, écrit-il, traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux.
Je suppose qu’il est possible qu’Aristote était redevable pour ces observations aux remarques de Platon sur le rire dans son Philèbe, remarques qui préfigurent sans doute le principe central de l’analyse d’Aristote selon laquelle le rire est presque toujours relié à la condamnation du vice. Mais les observations de Platon ne sont pas systématiques, et il n’est guère surprenant que ce soit l’analyse d’Aristote qui ait eu de loin la plus grande influence dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, nous voyons cette théorie adoptée par deux courants de pensée distincts mais convergents. L’un est médical, et semble avoir eu ses origines dans la lettre, éternellement citée bien qu’apocryphe, de l’illustre médecin Hippocrate à Damagète au sujet des Abdéritains. Les bons citoyens s’étaient inquiétés, selon Hippocrate, pour la santé mentale du philosophe Démocrite, alors très âgé, qui habitait la ville. Chaque jour, il descendait au port, ou on le voyait se tordre de rire, incapable de s’arrêter. Ils envoyèrent donc chercher Hippocrate dans l’espoir de guérir Démocrite de son évidente folie. Hippocrate rapporte toutefois qu’après avoir parlé avec Démocrite, il découvrit que ce dernier n’était absolument pas fou. Ce que Démocrite venait voir était que les allées et venues de la vie humaine, en particulier telles qu’on les observait dans un port marin, où l’on voit débarquer des marchandises inutilement dénichées et transportées depuis les coins les plus reculés du monde, étaient si ridicules qu’elles ne méritaient rien d’autre que le mépris. Et c’est ce sentiment de mépris pour l’absurdité des efforts de l’humanité qu’exprimait le rire de Démocrite. Hippocrate fut profondément impressionné, et en quittant les Abdéritains, il les remercia avec effusion de lui avoir permis de parler avec Démocrite qui s’était révélé, dit-il, l’homme le plus sage du monde.
Mais la principale tradition de pensée de l’Antiquité au sien de laquelle on adopta cette conception du rire comme expression du mépris n’est pas médicale mais plutôt rhétorique, et émane directement de l’analyse aristotélicienne tirée de La rhétorique. Nous la trouvons développée par-dessus tout par Cicéron dont le grand traité sur l’art de l’éloquence, De oratore, comporte un long discours dans le Livre II, De ridiculis. Je cite :
« La province convenable du rire est restreinte aux questions qui sont en quelque mesure soit indignes soit difformes. Car la cause principale sinon unique du rire est le genre de remarques qui relèvent ou désignent, d’une façon qui n’est pas en soi inconvenante, quelque chose qui est en soi inconvenant ou indigne. »

Ainsi, le véritable sujet de la comédie, poursuit Cicéron, est toujours la disproportion, une disproportion entre ce qui est dit ou fait et les vérités de la nature.
Un siècle plus tard, cette question est beaucoup développée par Quintilien dans son Institutio oratoria, de loin le plus complet des traités de l’Antiquité sur l’art de l’éloquence. Comme le résume Quintilien, le rire est la dérision – la version originale est encore plus claire : ridere est deridere. Ainsi, comme il le dit, « quand nous rions, nous nous glorifions par rapport à autrui parce que nous nous sommes rendu compte que, comparés à nous-mêmes, il souffre d’une faiblesse ou d’une infirmité méprisable ».
Ainsi, il apparaît clairement, au point où nous en sommes, que la contribution des auteurs de la Renaissance à la théorie du risible était bien moins originale qu’ils ne voulaient l’admettre. Les humanistes devaient une dette considérable à la littérature rhétorique des Anciens, et par-dessus tout à l’analyse de Cicéron dans De oratore. (Par exemple, la discussion du rire par Castiglione dans Il libro del cortegiano est une traduction pure et simple de l’analyse de Cicéron). Il en va de même pour les auteurs d’ouvrages médicaux, qui s’inspirent partiellement des mêmes sources, mais plus encore du rapport d’Hippocrate sur le cas de Démocrite. Joubert, par exemple, reproduit intégralement la lettre d’Hippocrate dans son Traité du ris, tandis que Burton, dans son Anatomy of Melancholy, endosse tout bonnement devant ses lecteurs la persona de « Démocrite junior », se moquant à nouveau des folies de l’humanité. Finalement, les avocats de la nouvelle philosophie semblent eux aussi redevables aux mêmes autorités. Les protestations bruyantes de Hobbes sur sa propre originalité paraissent d’une mauvaise foi particulièrement caractérisée, puisque même sa célèbre définition du rire comme gloire soudaine n’est en fait, comme vous l’aurez remarqué, qu’une citation inavouée de Quintilien.
Toutefois, il serait fallacieux d’impliquer que les auteurs des débuts de l’époque moderne ne font que répéter passivement les idées de leurs autorités classiques. Je dois maintenant souligner qu’ils ajoutent aux arguments dont ils héritent deux analyses d’importance. Tout d’abord, les auteurs médicaux accordent une importance d’ordre physiologique tout à fait nouvelle au rôle de la soudaineté, et par conséquent de la surprise, dans la provocation du rire, introduisant pour la première fois dans le débat le concept clé d’admiratio ou admiration. Ici, l’analyse pionnière, pour autant que je puisse le déterminer, est celle de Girolamo Fracastoro dans son De sympathia de 1546. Je cite :
« Les choses qui nous poussent à rire doivent apparaître devant nous soudainement et de façon inattendue. Quand cela se produit, nous éprouvons un sentiment d’admiration, qui à son tour crée en nous un sentiment de joie et de plaisir. L’inattendu produit l’admiration, l’admiration produit la joie, et c’est la joie qui nous fait rire. »

Cette découverte est immédiatement reprise par les philosophes. C’est particulièrement vrai de Descartes, pour lequel l’admiration est une passion fondamentale. Je résume son analyse intensément mécaniste : quand le sang est poussé « vers le cœur par quelque légère émotion de haine, aidée par la surprise de l’admiration », les poumons se dilatent subitement, « poussent les muscles du diaphragme, de la poitrine et de la gorge : au moyen de quoi ils font mouvoir ceux du visage… et ce n’est que cette action du visage, avec cette voix inarticulée et éclatante, qu’on nomme le ris. » Mais ce sont exactement les mêmes aspects que nous trouvons dans l’analyse antérieure de Hobbes dans The Elements of Law. Lui aussi insiste sur la surprise, arguant que « pour autant qu’une même chose n’est plus ridicule quand elle devient usée ou habituelle, la cause du rire, quelle qu’elle soit, doit être nouvelle et inattendue ». Et il souligne de même que la cause du rire doit être « quelque chose qui provoque l’admiration ».
L’autre apport nouveau des théoriciens du début de l’époque moderne émane d’une lacune qu’ils repèrent dans l’analyse originale d’Aristote. Comme nous l’avons vu, la thèse d’Aristote dans la Poétique est que le rire réprouve le vice en exprimant et en sollicitant des sentiments de mépris envers ceux qui se conduisent de façon ridicule. Mais comme nos auteurs le font remarquer, Aristote manque, de façon fort inhabituelle, de donner une définition du ridicule, et manque par conséquent d’indiquer quels vices particuliers sont les plus susceptibles de provoquer un rire méprisant. Il se peut, bien sûr, qu’Aristote ait examiné ces questions dans le Livre II de la Poétique, dont on sait qu’il portait sur la comédie. Mais ce texte fut perdu à la fin de l’Antiquité, et on ne sait rien de certain à son sujet.
Pour les auteurs médicaux, la question de ce que Montaigne allait appeler les « vices ordinaires » ne présentait aucun intérêt. Mais pour les humanistes, elle paraît souvent la plus importante de toutes, et c’est l’analyse de Castiglione qui semble avoir exercé la plus grande influence. L’idée fondamentale de Castiglione – empruntée directement à Cicéron – est que les vices que nous pouvons espérer ridiculiser avec le plus grand succès sont ceux qui présentent quelque disproportion par rapport aux vérités de la nature, et en particulier ceux qui révèlent que nous avons ce qu’il appelle une vision « affectée » de notre propre valeur. Et il nous dit qu’il existe trois vices principaux de ce genre : l’avarice, l’hypocrisie et la vanité ou orgueil.
Si nous jetons un regard vers les théories de la comédie à venir à l’époque des Lumières, nous découvrons généralement que c’est la figure de l’hypocrite qui est considérée comme particulièrement digne de mépris. C’est par exemple l’argument de Henry Fielding dans l’essai théorique qui sert de préface à Joseph Andrews en 1742. Faisant écho à Castiglione, Fielding commence par établir que les vices les plus exposés au ridicule sont ceux qui font preuve d’affectation. Et il ajoute que
« l’affectation procède de deux causes, la vanité ou l’hypocrisie, et que de la découverte de cette affectation provient le ridicule, qui est ce qui nous fait rire, mais que cela se produit au plus haut point quand l’affectation provient de l’hypocrisie ».

Notons à quel point cet argument a toujours été reconnu par les auteurs comiques du début de la période moderne : par exemple, les comédies de Ben Jonson sont pleines de puritains hypocrites ; tandis que le Tartuffe de Molière offre le portrait achevé de l’intrigant machiavélique qui fait semblant d’être un dévot.
Mais parmi les théoriciens de la Renaissance, c’est à l’orgueil ou vanité qu’on accorde la plus grande importance. Je suppose qu’il est possible qu’ils aient été directement influencés par Platon sur ce point, car lorsque Socrate discute du ridicule dans le Philèbe, il affirme non seulement que ceux qui se montrent absurdes souffrent nécessairement de quelque sorte de vice, mais ajoute aussi que le vice en question est généralement la fatuité. Et c’est là sans doute l’opinion de Castiglione. Je cite :
« C’est lorsque les gens fanfaronnent et se vantent et qu’ils ont des manières orgueilleuses et hautaines que nous avons raison de nous moquer d’eux et de les mépriser pour faire rire. »

Remarquons, une fois de plus, que ces découvertes n’échappent pas aux dramaturges comiques de l’époque, qui font souvent montre d’une haine spéciale de l’affectation ou des tentatives de dépasser notre condition : l’amour-propre débordant de Malvolio dans Twelfth Night ; les vantardises vaniteuses de Puntarvolo dans Every Man Out of his Humour de Ben Jonson ; l’arrivisme ridicule de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Ce sont là tous des variations sur le même thème satirique.
Au point où nous en sommes, vous songez certainement – comme beaucoup de penseurs à l’époque – que la théorie de l’époque classique et de la Renaissance que je viens d’exposer comporte sans doute une erreur. Car il est faux, sans doute, que nous ne riions que lorsque nous voyons que quelqu’un a de lui-même une opinion disproportionnée, de sorte que notre rire exprime toujours notre mépris ? Il est certain que le rire exprime quelquefois non pas des sentiments joyeux de supériorité mais simplement de la joie – comme disent les Anglais, la joie de vivre. (Nous parlons un peu de français.)
C’est là, exemple le plus célèbre, l’objection que fait Spinoza à la théorie classique dans le livre IV de son Éthique. Et Spinoza use de cet argument pour préfacer sa défense du théâtre et, plus généralement, du côté plus léger de la vie, qu’il considère non seulement comme compatibles avec la vie vertueuse que l’Éthique s’efforce de nous présenter, mais comme une partie intégrante de cette vie. Or nous trouvons déjà cette objection chez certains auteurs médicaux de la Renaissance, sans doute soucieux de prendre leurs distances par rapport à Aristote et à la scolastique. Mais suivant l’objection de plusieurs de ces auteurs, notamment Fracastoro : et les bébés ? Les bébés rient ; mais pourrions nous vraiment considérer leur rire comme une expression de mépris pour le vice ? Pas probable.
Plus tard, on voit apparaître, certainement dans la culture des Lumières en Angleterre, le même argument anti-aristotélicien aussi bien comme réponse à Hobbes que comme défense générale de l’idée qu’il peut exister un rire purement bienveillant. C’est là la teneur des articles d’Addison sur le rire dans le Spectator de 1711. Et aussi celle des Reflections upon Laughter de 1725, ouvrage explicitement anti-hobbesien de Francis Hutcheson. Et, peut-être le plus intéressant de tout, celle de la préface de Joseph Andrews de Fielding, dans laquelle il établit une distinction marquée entre le comique et ce qu’il décrit comme le burlesque. La comédie réprouve le vice, dit-il, « mais le burlesque, qui contribue davantage au rire exquis que n’importe quoi d’autre, ne le fait jamais en suscitant le mépris ». Plutôt il agit en renversant notre attente en créant de surprenantes juxtapositions, ou des anachronismes délibérés, ou bien une autre forme d’incongruité. L’effet, s’il réussit, nous fera rire, mais notre rire en pareilles occasions, dit Fielding, sera « plein de bonne humeur et de bienveillance ».
Cette observation nous signale toute une théorie rivale sur ce qui nous fait rire. Cependant, il est très important de reconnaître que cette catégorie du rire bienveillant, et par suite le genre de la comédie non satirique n’ont pas été pour ainsi dire ignorés par les auteurs médicaux et rhétoriques dont j’ai parlé. Ils reconnaissent que si, par comédie, nous entendons simplement n’importe quelle sorte de narration qui finit bien, alors il peut certainement y avoir des comédies non satiriques. Mais si nous entendons par comédie une forme littéraire dans laquelle l’intention est de provoquer le rire, alors toute comédie est et doit être satirique.
La raison en est, affirment-ils, qu’il n’est absolument pas vrai que le rire soit parfois suscité par de purs sentiments de joie. Leur contre-argument, fort intéressant, est que si vous croyez le contraire, vous vous leurrez. Nous ne sommes portés à rire que par le genre de sentiments méprisants qu’une satire réussie saura entraîner. La réaction presque unanime des auteurs humanistes et médicaux dont j’ai parlé, et cela dès le traité pionnier de Laurent Joubert, est que, comme le dit Joubert lui-même dans son chapitre d’introduction, le rire n’exprime jamais la joie, mais seulement le dégoût. L’exemple le plus célèbre de cette riposte, publié quelques années plus tard est la Defence of Poesie de Sir Philip Sidney, à la fin de laquelle il attaque les auteurs de comédies à cause de ce qu’il considère comme leur opinion erronée selon laquelle le rire est parfois causé par le bonheur ou le plaisir. Le rire n’est jamais provoqué, répond Sidney, que par des sentiments de mépris.
III

Voila donc un exposition de la théorie classique du rire comme une expression de joie mêlée de haine et de mépris. Mais la question que l’on doit se poser sur les auteurs dont j’ai parlé est, me semble-t-il, de savoir pourquoi cette théorie comptait tant à leurs yeux. Pourquoi considéraient-ils le rire comme un sujet d’importance philosophique, voire médicale ? Je veux maintenant me tourner vers cette question, et donc vers ce qui constitue l’essentiel de ces remarques.
Pour les médecins, l’importance de la théorie classique gît dans le fait qu’elle accorde une place au rire dans l’encouragement de la bonne santé. Comme Joubert l’explique en détail, il est particulièrement profitable d’encourager l’allégresse chez les individus dotés de tempéraments froids et secs, et donc des cœurs petits et durs. Toute personne assez malchanceuse pour être nantie de ce tempérament, ou, comme dit Joubert, de ces humeurs, souffre d’un excès de bile noire dans la rate, ce qui entraîne par suite des sentiments de rage et, faute de traitement, la perte de l’esprit et, pour finir, la mélancolie. L’exemple donné par Joubert – comme par tous les autres médecins – est celui de Démocrite, dont le grand âge et le tempérament fondamentalement bilieux le rendirent si frustré et irritable que, comme le rapporte Burton dans The Anatomy of Melancholy, il finit par tomber dans une dépression suicidaire.
Or l’idée est que la décision de Démocrite de cultiver le rire en se plaçant sur la route de l’absurdité humaine lui apporta une cure pour sa condition. Comme l’explique Joubert (puisant encore une fois à la théorie des humeurs de Galien), le rire de Démocrite ne fait pas qu’améliorer la circulation de son sang, rendant Démocrite plus sanguin tant que dure le rire. Le rire aide aussi à expulser la bile noire qui, sinon, l’aurait empoisonné et l’aurait fait retomber dans la mélancolie. Le résultat fut de permettre à Démocrite, comme nous disons encore de nos jours, de rester de bonne humeur. Ainsi, comme Hippocrate l’avait bien compris, le rire de Démocrite, loin d’être un symptôme de folie, fut probablement le moyen principal de préserver sa santé mentale.
Mais notons que ce raisonnement n’est valable que si le rire est effectivement une expression naturelle de mépris. Pour commencer à guérir, Démocrite dut se faire le spectateur de l’absurdité humaine : il savait que ce spectacle exciterait son mépris, mais il savait aussi que cela même le ferait rire. Mais ce n’est que parce que Démocrite pouvait s’attendre à ce que ses sentiments de mépris provoquent le rire qu’il fut à même de commencer sa thérapie. Et je crois que c’est ce type de raisonnement qui explique pourquoi les médecins s’enthousiasmèrent tant pour l’idée essentiellement rhétorique selon laquelle le rire est effectivement une expression naturelle de mépris.
Mais si nous en revenons maintenant aux philosophes, et plus particulièrement aux rhétoriciens, nous rencontrons alors un type de raisonnement tout différent. Pour ces auteurs, le fait que le rire exprime le mépris importe essentiellement de la sphère de la parole publique. Compte tenu, affirment-ils, que le rire est une manifestation extérieure de ces émotions particulières, nous pouvons espérer en faire une arme d’une puissance incomparable pour le débat moral et politique. C’est là une affirmation de taille, et c’est avec son explication que je voudrais finir.
Je dois peut-être commencer par le postulat le plus fondamental que les philosophes de la Renaissance héritent de la culture rhétorique de la Rome antique. Pour présenter ce postulat en des termes qui allaient passer en proverbe, pour toute question relevant des sciences morales ou civiles, qui n’entend qu’une partie n’entend rien (c’est-à-dire que chaque question présente deux côtés opposés). Comme l’explique Quintilien, dans toute question touchant aux sciences humaines par opposition aux sciences naturelles, il sera toujours possible de plaider in utramque partem, pour chaque côté de l’argument, avec pour résultat qu’on ne saurait jamais espérer démontrer sans l’ombre d’un doute qu’un des deux partis a raison. Cela implique (et cet argument fut largement récupéré par la philosophie post-moderne en son temps) qu’il ne saurait y avoir de clôture dans les sciences morales, de sorte que le seul moyen de conduire pareilles discussions doit être sous forme de dialogue.
Or on considérait alors qu’il existait deux sciences morales principales. L’une était le droit, forum de l’exercice de la rhétorique judiciaire, où nous essayons de remporter un verdict conforme à la justice. L’autre était la politique, forum de l’exercice de la rhétorique délibérative, où nous essayons de persuader le peuple d’agir de façon bénéfique à l’État. En réalité, nous opérons encore de nos jours avec ces postulats rhétoriques. Au tribunal, les membres du jury doivent encore arriver à leur verdict en écoutant des plaidoyers présentés par les deux parties en cause, et délivrés de côtés opposés de la salle du tribunal. Et les assemblées représentatives de la Renaissance avaient d’ordinaire deux côtés qui se faisaient face, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans la Chambre des Communes. (C’est pourquoi nous ne pouvons pas avoir, en Grande-Bretagne, plus de deux partis politiques.)
Or la question a deux côtés, l’objectif doit être de plaider de telle manière que (comme nous continuons à le dire) vous persuadez votre public de se ranger à votre avis, ou de votre côté, de sorte que (comme nous continuons aussi à le dire) il adopte sur la question la même position que vous. Cette image survit à l’époque moderne avec l’opinion selon laquelle le plus grand exploit d’un orateur parlementaire est toujours de faire changer un adversaire de parti, c’est-à-dire de lui faire « traverser la salle ». Votre objectif essentiel est donc (pour faire appel à un autre jeu de mots profond qui survit en anglais) de parler winningly, c’est-à-dire pour gagner l’autre à sa cause.
Mais voici la question essentielle. Comment faire ? Ex hypothesi, on n’y arrivera pas grâce au raisonnement, puisque nous reconnaissons qu’il pourra se trouver des raisons également bonnes d’un côté comme de l’autre. Alors comment ? Non sans quelque hésitation, les théoriciens de la rhétorique de l’époque classique et de la Renaissance répondent que l’orateur devra apprendre à renforcer son raisonnement par l’énergie toute passionnée de son discours. Autrement dit, il devra apprendre comment susciter chez son public un engagement purement émotionnel en faveur du parti qu’il défend. Comme le dit avec une franchise cynique la figure d’Antonius dans De oratore, « après avoir attiré l’attention de vos auditeurs vous devez essayer de les mouvoir afin qu’ils deviennent gouvernés non pas par la délibération et le jugement mais par la seule perturbation de l’esprit ».
Ainsi, ce qui forme le cœur de l’argument est, pourrait-on dire, un jeu de mots délibéré entre « mouvoir » et « émouvoir ». Un des objectifs du débat moral ou politique doit toujours être de mouvoir ou remuer votre public pour lui faire adopter votre perspective. Mais le seul moyen d’atteindre ce but sera de parler ou d’écrire de manière à qu’ils ne soient pas seulement convaincus mais « fortement émus ». C’est ce pouvoir qui pousse un adversaire à changer de parti, à passer de votre côté : ils seront mus si et seulement si ils se sentent assez émus.
Or ces discussions laissent les rhétoriciens face à une question d’une importance pratique considérable. Y a-t-il des techniques spécifiques que nous puissions apprendre et déployer pour réussir à mouvoir les émotions profondes d’un auditoire ? Oui, il en en a, selon Cicéron et Quintilien, et la technique qu’il faut avant tout cultiver est celle qui permet de manipuler les figures et les tropes du discours. Comme le dit la figure de Crassus dans De oratore, c’est là avant tout le moyen grâce auquel vous pouvez espérer parler winningly, c’est-à-dire de façon à gagner votre auditoire à votre cause.
Mais il paraît naturel de répondre que la manipulation des figures et des tropes semble n’être qu’un effet rhétorique assez humble. Comment peut-il avoir des résultats aussi spectaculaires ? Les rhétoriciens classiques ont plusieurs réponses à apporter sur ce point mais la principale que nous pouvons espérer déployer est une catégorie particulière de ce qu’ils appellent tropes moqueurs, afin de susciter le rire. Quand Quintilien introduit d’abord cette suggestion, il reconnaît qu’« elle paraîtra certainement triviale, mais elle ne l’est pas, car cet usage de l’humour allié à la capacité d’inspirer la pitié, est en fait le moyen d’agiter les émotions qui fait le plus d’effet ».
Maintenant vous voyez bien pourquoi ces auteurs considèrent ce talent comme si important pour la sphère de la parole publique. Vous n’avez qu’à vous rappeler les analyses de ces auteurs sur le genre d’émotions exprimées par le rire, et par suite sur le genre d’émotions que l’on suscitera effectivement si on réussit à provoquer le rire au sein d’un auditoire. Comme nous l’avons vu, la théorie classique – pour dire les choses le plus simplement possible – est que rire revient toujours à rire de quelqu’un. Mais cela signifie que, si nous réussissons à provoquer le rire contre nos ennemis dialectiques, c’est que nous avons réussi à les faire mépriser. Et voici enfin la morale de cette conférence. Voilà pourquoi la capacité de susciter le rire est considérée comme une arme aussi fatale pour le débat et voilà donc pourquoi on lui accorde tant d’importance dans l’argumentation. Réussir à provoquer le rire a pour effet direct de (comme on dit) diminuer nos adversaires. Et, de façon plus indirecte, comme l’a déjà dit Cicéron, cela a aussi pour effet d’agrandir notre côté de l’affaire, puisqu’il semblera, par comparaison, préférable à l’autre.
Il n’en reste pas moins aux rhétoriciens la besogne d’expliquer comment nous pouvons espérer susciter des émotions aussi profondes par de seuls moyens linguistiques, par l’usage de tropes moqueurs. Ils pensent évidemment que la réussite de l’entreprise, la production d’un sentiment de mépris pour l’absurdité humaine, dépend en partie de ce qu’on va dire. Mais rappelons-nous leurs idées sur l’effet spécifique et dévastateur que produit le rire si et seulement si nous sommes soudain, et donc sous le choc de la surprise, amenés à voir que quelque chose ou quelqu’un est absurde. C’est ici, disent-ils, qu’il est fort utile de connaître certains secrets rhétoriques. Car les tropes moqueurs sont censés être exactement les moyens linguistiques qui, correctement déployés, ont le pouvoir de causer exactement le genre de surprise qui entraîne la réaction du rire. Et pour compléter mon histoire, permettez-moi d’ajouter que nos auteurs relèvent principalement quatre de ces techniques.
Certains tropes moqueurs fonctionnent par une inversion surprenante de la signification ou de l’insistance sur un mot plutôt qu’un autre – comme dans le cas du sarcasme ou de l’ironie. D’autres en nous présentant des sous-entendus soudains et surprenants – ce que nos auteurs appellent meiosis. D’autres révèlent un double sens caché dans une affirmation en apparence innocente, dont la découverte renverse d’un coup son innocence : c’est ce qu’ils appellent aestismus et que nous appelons un jeu de mots. Enfin, d’autres encore obtiennent le même effet de manière plus spécialisée, un moyen favori étant le trope moqueur connu sous le nom d’aposiopèse, dont la forme est, comme l’explique Henry Peacham dans son Garden of Eloquence de 1571, « de vous surprendre en arrêtant tout à coup une phrase pour laisser traîner un soupçon venimeux ».
Ces techniques rhétoriques sont en fait largement déployées par les moralistes de la Renaissance, si vous y regardez de près, et ils en usent pour démasquer tout l’arsenal des vices considérés comme spécialement dignes de mépris. Érasme s’appuie sur le moyen de l’inversion ironique tout au long de l’Éloge de la folie pour attaquer l’hypocrisie des princes, en particulier les princes de l’Église. Rabelais déploie toute la gamme des tropes moqueurs quand il fait la satire de la science scolastique et des hypocrisies de l’Église dans Pantagruel. Mais de tous les satiristes anticléricaux de l’époque, peut-être le plus redoutable dans son usage des tropes moqueurs est-il Hobbes, en particulier dans les livres III et IV de Léviathan.
Hobbes n’est pas moins maître de l’ironie et du sous-entendu ironique, mais il est également habile à déployer les procédés plus rares recommandés par les rhétoriciens, en particulier dans ses attaques contre l’avarice, la vanité et l’hypocrisie de l’Église catholique. Hobbes fait la satire de l’avarice cléricale de plusieurs façons mais en particulier au moyen de l’aestismus ou jeu de mot, comme par exemple lorsqu’il décrit la doctrine du purgatoire comme une des croyances le plus profitables de l’Église. Il saisit aussi toutes les occasions de ridiculiser les hypocrisies de l’Église, mais ne réussit jamais mieux que lorsqu’il se sert de la figure moqueuse de l’aposiopèse pour faire la satire du célibat des prêtres. Permettez moi de citer ce passage : Hobbes commence par une série de comparaisons chargées d’opprobre entre les prêtres catholiques et les sylphes. Les sylphes ne reconnaissent qu’un seul roi ; les prêtres ne reconnaissent que le pape. Les sylphes habitent des châteaux enchantés ; les prêtres ont des cathédrales. Les sylphes ne peuvent être poursuivis pour leurs crimes ; les prêtres disparaissent également des tribunaux. Puis il ajoute son aposiopèse :
« Les sylphes ne se marient pas. Mais parmi eux, il y a des incubes, qui ont des relations sexuelles avec les êtres de chair. Les prêtres ne se marient pas non plus. »

IV

En parlant du rire comme expression de mépris, j’ai principalement exposé une théorie, mais j’ai aussi retracé une narration. La théorie que j’ai examinée remonte, comme nous l’avons vu, à l’Antiquité, elle est ressuscitée à la Renaissance et prend de l’importance pour de nombreux philosophes du xviie siècle. Mais tout comme elle a un début et un milieu, l’histoire que j’ai racontée a aussi une fin bien reconnaissable (du moins dans la société polie dont j’ai parlé) et je voudrais conclure en disant un mot de cette fin.
Notre histoire finit dans le cadre de ce que Norbert Elias a appelé le processus de civilisation, dont un aspect majeur fut, dans la culture européenne moderne, l’exigence croissante du contrôle par la volonté de diverses fonctions corporelles jusqu’alors considérées comme involontaires. Or, le rire appartient de toute évidence à la classe des actions apparemment involontaires que ceux d’un tempérament raffiné se sont particulièrement souciés de contrôler.
Nous trouvons déjà cette idée à la fin du xviie siècle, mais l’analyse qui fait référence (du moins dans la culture anglaise) apparaît dans les années 1740, dans une des lettres du comte de Chesterfield à son fils au sujet de la conduite idéale du gentilhomme. Dans sa lettre, le comte déclare qu’« il n’est rien de si grossier, de si mal élevé, que le rire audible de sorte que le rire est quelque chose au-dessus de quoi les gens sensés et bien nés doivent s’élever ». La raison en est que le rire révèle de façon honteuse la perte du contrôle du corps. Comme le dit Chesterfield, il est « vil et malséant, surtout en raison du bruit désagréable qu’il fait et de la déformation choquante du visage qu’il entraîne quand nous y succombons. »
On commença donc à penser dans l’Angleterre des Lumières que, même s’il reste vrai que le rire exprime avant tout l’émotion du mépris, et même si on souhaite toujours à la fois exprimer et susciter cette émotion même, on ne voudra pas se laisser prendre sur le fait, pour ainsi dire, en train d’exprimer ainsi cette émotion. Il nous faut quelque chose de plus contrôlé, et comme l’ajoute explicitement Chesterfield, ce besoin est à satisfaire, car en réalité le rire n’est nullement involontaire. Plutôt, comme il le dit, « le rire est facilement restreint par un peu de réflexion et de bienséance ».
Alors, qu’est-ce qui remplace le rire qu’on supprime ? La réponse, et je finirai par là, est ce qu’en anglais, on a appelé sans grande élégance le sub-laugh. Mais qu’est-ce que c’est, ce sub-laugh ? L’idée s’exprime beaucoup mieux en français : car ce qu’on nous demande de produire, lorsque nous avons envie de rire, est le « sous-rire ». Ainsi, mon histoire se termine par la suppression du rire au nom de la bienséance et par son remplacement par le sourire méprisant. Et Chesterfield conclut comme il se doit ce conseil à son fils : « Je souhaiterais volontiers que l’on vous vît souvent sourire, mais qu’on ne vous entendît jamais rire aussi longtemps que vous vivrez. »

Et vous osez encore prétendre le contraire.

C'est tout simplement inadmissible.
C'est faux.

Tout le monde sait que http://youtu.be/UAI4VJ-M230.

pins
25/06/2012, 15h26
C'est dommage j'étais particulièrement séduit par le fait d'appeler Daku "petite verrue" :o (sans offense parce que je l'aime bien)

birdienumnum
25/06/2012, 15h26
Division par zéro?

Que voulez-vous dire par là ?
Est-ce encore votre obsession à mon endroit qui s'exprime ? Cela ne me choque en rien, je suis moi-même obsédé par ma personne.
D'esprit très ouvert, je peux vous proposer un rendez-vous. Si cela peut vous aider à affronter les péripéties futures, j'en serais heureux. En bon chrétien, apporter le bonheur à autrui fait partie de ma mission.

lincruste
25/06/2012, 15h27
http://uppix.net/3/7/4/d165eac365496a24d43e072c7a361.jpg
Parce que c'était... Aristote

KiwiX
25/06/2012, 15h28
C'est dommage j'étais particulièrement séduit par le fait d'appeler Daku "petite verrue" :o (sans offense parce que je l'aime bien)


Oui mais selon le principe de Darwin:

IDEALISM as a philosophic system stands in such a delicate relation to experience as to invite attention. In its subjective form, or sensationalism, it claims to be the last word of empiricism. In its objective, or rational form, it claims to make good the deficiencies of the subjective type, by emphasizing the work of thought that supplies the factors of objectivity and universality lacking in sensationalism. With reference to experience as it now is, such idealism is half opposed to empiricism and half committed to it,-antagonistic, so far as existing experience is regarded as tainted with a sensational character; favorable, so far as this experience is even now prophetic of some final, all-comprehensive, or absolute experience, which in truth is one with reality.

That this combination of opposition to present experience with devotion to the cause of experience

(199) in the abstract leaves objective idealism in a position of unstable equilibrium from which it can find release only by euthanasia in a thorough-going empiricism seems evident. Some of the reasons for this belief may be readily approached by a summary sketch of three historic episodes in which have emerged important conceptions of experience and its relation to reason. The first takes us to classic Greek thought. Here experience means the preservation, through memory, of the net result of a multiplicity of particular doings and sufferings; a preservation that affords positive skill in maintaining further practice, and promise of success in new emergencies. The craft of the carpenter, the art of the physician are standing examples of its nature. It differs from instinct and blind routine or servile practice because there is some knowledge of materials, methods, and aims, in their adjustment to one another. Yet the marks of its passive, habitual origin are indelibly stamped upon it. On the knowledge side it can never aspire beyond opinion, and if true opinion be achieved, it is only by happy chance. On the active side it is limited to the accomplishment of a special work or a particular product, following some unjustified, because assumed, method. Thus it contrasts with the true knowledge of reason, which is direct apprehension, self-revealing and self-validating, of an eternal and harmonious content. The regions in which

(200) experience and reason respectively hold sway are thus explained. Experience has to do with production, which, in turn, is relative to decay. It deals with generation, becoming, not with finality, being. Hence it is infected with the trait of relative non-being, of mere imitativeness; hence its multiplicity, its logical inadequacy, its relativity to a standard and end beyond itself. Reason, per contra, has to do with meaning, with significance (ideas, forms), that is eternal and ultimate. Since the meaning of anything is the worth, the good, the end of that thing, experience presents us with partial and tentative efforts to achieve the embodiment of purpose, under conditions that doom the attempt to inconclusiveness. It has, however, its need of reality in the degree in which its results participate in meaning, the good, reason.

From this classic period, then, comes the antithesis of experience as the historically achieved embodiments of meaning, partial, multiple, insecure, to reason as the source, author, and container of meaning, permanent, assured, unified. Idealism means ideality, experience means brute and broken facts. That things exist because of and for the sake of meaning, and that experience gives us meaning in a servile, interrupted, and inherently deficient way-such is the standpoint. Experience gives us meaning in process of be-

( 201) -coming; special and isolated instances in which it happens, temporally, to appear, rather than meaning pure, undefiled, independent. Experience presents purpose, the good, struggling against obstacles, " involved in matter."

Just how much the vogue of modern neo-Kantian idealism, professedly built upon a strictly epistemological instead of upon a cosmological basis, is due, in days of a declining theology, to a vague sense that affirming the function of reason in the constitution of a knowable world (which in its own constitution as logically knowable may be, morally and spiritually, anything you please), carries with it an assurance of the superior reality of the good and the beautiful as well as of the " true," it would be hard to say. Certainly unction seems to have descended upon epistemology, in apostolic succession, from classic idealism; so that neo-Kantianism is rarely without a tone of edification, as if feeling itself the patron of man's spiritual interests in contrast to the supposed crudeness and insensitiveness of naturalism and empiricism. At all events, we find here one element in our problem: Experience considered as the summary of past episodic adventures and happenings in relation to fulfilled and adequately expressed meaning.

The second historic event centers about the controversy of innate ideas, or pure concepts. The issue is between empiricism and rationalism as the-

( 202) -ories of the origin and validation of scientific knowledge. The empiricist is he who feels that the chief obstacle which prevents scientific method from making way is the belief in pure thoughts, not derived from particular observations and hence not responsible to the course of experience. His objection to the " high a priori road " is that it introduces in irresponsible fashion a mode of presumed knowledge which may be used at any turn to stand sponsor for mere tradition and prejudice, and thus to nullify the results of science resting upon and verified by observable facts. Experience thus comes to mean, to use the words of Peirce, " that which is forced upon a man's recognition will-he, nill-he, and shapes his thoughts to something quite different from what they naturally would have taken."[2] The same definition is found in James, in his chapter on Necessary Truths: "Experience means experience of something foreign supposed to impress us whether spontaneously or in consequence of our own exertions and acts."[3] As Peirce points out, this notion of experience as the foreign element that forces the hand of thought and controls its efficacy, goes back to Locke. Experience is " observation employed either about external sensible objects, or about the internal operations of our

(203) minds "[4]-as furnishing in short all the valid data and tests of thinking and knowledge. This meaning, thinks Peirce, should be accepted " as a landmark which it would be a crime to disturb or displace."

The contention of idealism, here bound up with rationalism, is that perception and observation cannot guarantee knowledge in its honorific sense (science) ; that the peculiar differentia of scientific knowledge is a constancy, a universality, and necessity that contrast at every point with perceptual data., and that indispensably require the function of conception.[5] In short, qualitative transformation of facts (data of perception), not their mechanical subtraction and recombination, is the difference between scientific and perceptual knowledge. Here the problem which emerges is, of course, the significance of perception and of conception in respect to experience.[6]

( 204)

The third episode reverses in a curious manner (which confuses present discussion) the notion of experience as a foreign, alien, coercive material. It regards experience as a fortuitous association, by merely psychic connections, of individualistic states of consciousness. This is due to the Humian development of Locke. The " objects " and " operations," which to Locke were just given and secured in observation, become shifting complexes of subjective sensations and ideas, whose apparent permanency is due to discoverable illusions. This, of course, is the empiricism which made Kant so uneasily toss in his dogmatic slumbers (a tossing that he took for an awakening); and which, by reaction, called out the conception of thought as a function operating both to elevate perceptual data to scientific status, and also to confer objective status, or knowable character, upon even sensational data and their associative combinations.[7] Here emerges the third element in our problem: The function of thought as furnishing

(205) objectivity to any experience that claims cognitive reference or capacity. Summing up the matter, idealism stands forth with its assertion of thought or reason as (1) the sponsor for all significance, ideality, purpose, in experience,-the author of the good and the beautiful as well as the true; (2) the power, located in pure conceptions, required to elevate perceptive or observational material to the plane of science; and (3) the constitution that gives objectivity, even the semblance of order, system, connection, mutual reference, to sensory data that without its assistance are mere subjective flux.

(206)

II

I begin the discussion with the last-named function. Thought is here conceived as a priori, not in the sense of particular innate ideas, but of a function that constitutes the very possibility of any objective experience, any experience involving reference beyond its own mere subjective happening. I shall try to show that idealism is condemned to move back and forth between two inconsistent interpretations of this a priori thought. It is taken to mean both the organized, the regulated, the informed, established character of experience, an order immanent and constitutional; and an agency which organizes, regulates, forms, synthesizes, a power operative and constructive. And the oscillation between and confusion of these two diverse senses is necessary to. Neo-Kantian idealism.

When Kant compared his work in philosophy to that of the men who introduced construction into geometry, and experimentation into physics and chemistry, the point of his remarks depends upon taking the a priori worth of thought in a regulative, directive, controlling sense, thought as consciously, intentionally, making an experience different in a determinate sense and manner. But the point of his answer to Hume consists in taking the a priori in the other sense, as something which

(207) is already immanent in any experience, and which accordingly makes no determinate difference to any one experience as compared with any other, or with any past or future form of itself. The concept is treated first as that which makes an experience actually different, controlling its evolution towards consistency, coherency, and objective reliability; then, it is treated as that which has already effected the organization of any and every experience that comes to recognition at all. The fallacy from which he never emerges consists in vibrating between the definition of a concept as a rule of constructive synthesis in a differential sense, and the definition of it as a static endowment lurking in " mind," and giving automatically a hard and fixed law for the determination of every experienced object. The a priori conceptions of Kant as immanent fall, like the rain, upon the just and the unjust; upon error, opinion, and hallucination. But Kant slides into these a priori functions the preferential values exercised by empirical reflective thought. The concept of triangle, taken geometrically, means doubtless a determinate method of construing space elements; but to Kant it also means something that exists in the mind prior to all such geometrical constructions and that unconsciously lays down the law not only for their conscious elaboration, but also for any space perception, even for that which takes a rectangle to

(208) be a triangle. The first of the meanings is intelligible, and marks a definite contribution to the logic of science. But it is not " objective idealism "; it is a contribution to a revised empiricism. The second is a dark saying.

That organization of some sort exists in every experience I make no doubt. That isolation, discrepancy, the fragmentary, the incompatible, are brought to recognition and to logical function only with reference to some prior existential mode of organization seems clear. And it seems equally clear that reflection goes on with profit only because the materials with which it deals have already some degree of organization, or exemplify various relationships. As against Hume, or even Locke, we may be duly grateful to Kant for enforcing acknowledgment of these facts. But the acknowledgment means simply an improved and revised empiricism.

For, be it noted, this organization, first, is not the work of reason or thought, unless " reason " be stretched beyond all identification; and, secondly, it has no sacrosanct or finally valid and worthful character. (1) Experience always carries with it and within it certain systematized arrangements, certain classifications (using the term without intellectualistic prejudice), coexistent and serial. If we attribute these to " thought " then the structure of the brain of a Mozart which hears and combines

( 209) sounds iii certain groupings, the psycho-physical visual habit of the Greek, the locomotor apparatus of the human body in the laying-out and plotting of space is " thought." Social institutions, established political customs, effect and perpetuate modes of reaction and of perception that compel a certain grouping of objects, elements, and values. A national constitution brings about a definite arrangement of the factors of human action which holds even physical things together in certain determinate orders. Every successful economic process, with its elaborate divisions and adjustments of labor, of materials and instruments, is just such an objective organization. Now it is one thing to say that thought has played a part in the origin and development of such organizations, and continues to have a role in their judicious employment and application; it is another to say that these organizations arc thought, or are its exclusive product. Thought that functions in these ways is distinctively reflective thought, thought as practical, volitional, deliberately exercised for specific aims-thought as an act, an art of skilled mediation. As reflective thought, its end is to terminate its own first and experimental forms, and to secure an organization which, while it may evoke new reflective thinking, puts an end to the thinking that secured the organization. As organizations, as established, effectively controlling ar-

(210) -rangements of objects in experience, their mark is that they are not thoughts, but habits, customs of action.[8]

Moreover, such reflective thought as does intervene in the formation and maintenance of these practical organizations harks back to prior practical organizations, biological and social in nature. It serves to valuate organizations already existent as biological functions and instincts, while, as itself a biological activity, it redirects them to new conditions and results. Recognize, for example, that a geometric concept is a practical locomotor function of arranging stimuli in reference to maintenance of life activities brought into consciousness, and then serving as a center of reorganization of such activities to freer, more varied flexible and valuable forms; recognize this, and we have the truth of the Kantian idea, without its excrescences and miracles. The concept is the practical activity doing consciously and artfully what it had aforetime done blindly and aimlessly, and thereby not only doing it better but opening up a freer world of significant activities. Thought as such a reorganization of natural functions does naturally

(211) what Kantian forms and schematizations do only supernaturally. In a word, the constructive or organizing activity of " thought " does not inhere in thought as a transcendental function, a form or mode of some supra-empirical ego, mind, or consciousness, but in thought as itself vital activity. And in any case we have passed to the idea of thought as reflectively reconstructive and directive, and away from the notion of thought as immanently constitutional and organizational. To make this passage and yet to ignore its existence and import is essential to objective idealism.

(2) No final or ultimate validity attaches to these original arrangements and institutionalizations in any case. Their value is teleological and experimental, not fixedly ontological. " Law and order " are good things, but not when they become rigidity, and create mechanical uniformity or routine. Prejudice is the acme' of the a priori. Of the a priori in this sense we may say what is always to be said of habits and institutions: They are good servants, but harsh and futile masters. Organization as already effected is always in danger of becoming a mortmain; it may be a way of sacrificing novelty, flexibility, freedom, creation to static standards. The curious inefficiency of idealism at this point is evident in the fact that genuine thought, empirical reflective thought, is required

( 212) precisely for the purpose of re-forming established and set formations.

In short, (a) a priori character is no exclusive function of thought. Every biological function, every motor attitude, every vital impulse as the carrying vehicle of experience is thus apriorily regulative in prospective reference; what we call apperception, expectation, anticipation, desire, demand, choice, are pregnant with this constitutive and organizing power. (b) In so far as " thought " does exercise such reorganizing power, it is because thought is itself still a vital function. (c) Objective idealism depends not only upon ignoring the existence and capacity of vital functions, but upon a profound confusion of the constitutional a priori, the unconsciously dominant, with empirically reflective thought. In the sense in which the a priori is worth while as an attribute of thought, thought cannot be what the objective idealist defines it as being. Plain, ordinary, everyday empirical reflections, operating as centers of inquiry, of suggestion, of experimentation, exercise the valuable function of regulation, in an auspicious direction, of subsequent experiences.

The categories of accomplished systematization cover alike the just and the unjust, the false and the true, while (unlike God's rain) they exercise no specific or differential activity of stimulation and control. Error and inefficiency, as well as

( 213) value and energy, are embodied in our objective institutional classifications. As a special favor, will not the objective idealist show how, in some one single instance, his immanent " reason " makes any difference as respects the detection and elimination of error, or gives even the slightest assistance in discovering and validating the truly worthful? This practical work, the life blood of intelligence in everyday life and in critical science, is done by the despised and rejected matter of concrete empirical contexts and functions. Generalizing the issue: If the immanent organization be ascribed to thought, why should its work be such as to demand continuous correction and revision? If specific reflective thought, as empirical, be subject to all the limitations supposed to inhere in experience as such, how can it assume the burden of making good, of supplementing, reconstructing, and developing meanings? The logic of the case seems to be that Neo-Kantian idealism gets its status against empiricism by first accepting the Humian idea of experience, while the express import of its positive contribution is to show the non-existence (not merely the cognitive invalidity) of anything describable as mere states of subjective consciousness. Thus in the end it tends to destroy itself and to make way for a more adequate empiricism.

(214)

III

In the above discussion, I have unavoidably anticipated the second problem: the relation `of conceptual thought to perceptual data. A distinct aspect still remains, however. Perception, as well as apriority, is a term harboring a fundamental ambiguity. It may mean (1) a distinct type of activity, predominantly practical in character, though carrying at its heart important cognitive and esthetic qualities; or (2) a distinctively cognitional experience, the function of observation as explicitly logical-a factor in science qua science. In the first sense, as recent functional empiricism (working in harmony with psychology, but not itself peculiarly psychological) has abundantly shown, perception is primarily an act of adjustment of organism and environment, differing from a mere reflex or instinctive adaptation in that, in order to compensate for the failure of the instinctive adjustment, it requires an objective or discriminative presentation of conditions of action the negative conditions or obstacles, and the positive conditions or means and resources.[9] This, of

(215) course, is its cognitive phase. In so far as the material thus presented not only serves as a direct cue to further successful activity (successful in the overcoming of obstacles to the maintenance of the function entered upon) but presents auxiliary collateral objects and qualities that give additional range and depth of meaning to the activity of adjustment, perceiving is esthetic as well as intellectual.[10]

Now such perception cannot be made antithetical to thought, for it may itself be surcharged with any amount of imaginatively supplied and reflectively sustained ideal factors-such as are needed to determine and select relevant stimuli and to suggest and develop an appropriate plan and course of behavior. The amount of such saturating intellectual material depends upon the complexity and maturity of the behaving agent. Such perception, moreover, is strictly teleological, since it arises from an experienced need and functions to fulfil the purpose indicated by this need. The cognitional content is, indeed, carried by affectional and intentional contexts.

( 216)

Then we have perception as scientific observation. This involves the deliberate, artful exclusion of affectional and purposive factors as exercising mayhap a vitiating influence upon the cognitive or objective content; or, more strictly speaking, a transformation of the more ordinary or 66 natural " emotional and purposive concomitants, into what Bain calls " neutral" emotion, and a purpose of finding out what the present conditions of the problem are. (The practical feature is not thus denied or eliminated, but the overweening influence of a present dominating end is avoided, so that change of the character of the end may be effected, if found desirable.) Here observation may be opposed to thought, in the sense that exact and minute description may be set over against interpretation, explanation, theorizing, and inference. In the wider sense of thought as equaling reflective process, the work of observation and description forms a constituent division of labor within thought. The impersonal demarcation and accurate registration of what is objectively there or present occurs for the sake (a) of eliminating meaning which is habitually but uncritically referred, and (b) of getting a basis for a meaning (at first purely inferential or hypothetical) that may be consistently referred; and that (c), resting upon examination and not upon mere a priori custom, may weather the strain of subsequent ex-

(217) -periences. But in so far as thought is identified with the conceptual phase as such of the entire logical function, observation is, of course, set over against thought: deliberately, purposely, and artfully so.

It is not uncommon to hear it said that the Lockeian movement was all well enough for psychology, but went astray because it invaded the field of logic. If we mean by psychology a natural history of what at any time passes for knowledge, and by logic conscious control in the direction of grounded assurance, this remark appears to reverse the truth. As a natural history of knowledge in the sense of opinion and belief, Locke's account of discrete, simple ideas or meanings, which are compounded and then distributed, does palpable violence to the facts. But every line of Locke shows that he was interested in knowledge in its honorific sense controlled certainty, or, where this is not feasible, measured probability. And to logic as an account of the way in which we by art build up a tested assurance, a rationalized conviction, Locke makes an important positive contribution. The pity is that he inclined to take it for the whole of the logic of science,[11] not seeing that it was but a correlative division of

( 218) labor to the work of hypotheses or inference; and that he tended to identify it with a natural history or psychology. The latter tendency exposed Locke to the Humian interpretation, and permanently sidetracked the positive contribution of his theory to logic, while it led to that confusion of an untrue psychology with a logic valid within limits, of which Mill is the standard example.

In analytic observation, it is a positive object to strip off all inferential meaning so far as may be--to reduce the facts as nearly as may be to derationalized data, in order to make possible a new and better rationalization. In and because of this process, the perceptual data approach the limit of a disconnected manifold, of the brutely given, of the merely sensibly present; while meaning stands out as a searched for principle of unification and explanation, that is, as a thought, a concept, an hypothesis. The extent to which this is carried depends wholly upon the character of the specific situation and problem; but, speaking generally, or of limiting tendencies, one may say it is carried to mere observation, pure brute description, on the one side, and to mere thought, that is hypothetical inference, on the other.

So far as Locke ignored this instrumental character of observation, he naturally evoked and strengthened rationalistic idealism; he called forth its assertion of the need of reason, of concepts, of

( 219) universals, to constitute knowledge in its eulogistic sense. But two contrary errors do not make a truth, although they suggest and determine the nature of some relevant truth. This truth is the empirical origin, in a determinate type of situation, of the contrast of observation and conception; the empirical relevancy and the empirical worth of this contrast in controlling the character of subsequent experiences. To suppose that perception as it concretely exists, either in the early experiences of the animal, the race, or the individual, or in its later refined and expanded experiences, is identical with the sharply analyzed, objectively discriminated and internally disintegrated elements of scientific observation, is a perversion of experience; a perversion for which, indeed, professed empiricists set the example, but which idealism must perpetuate if it is not to find its end in an improved, functional empiricism.[12]

IV

We come now to the consideration of the third element in our problem; ideality, important and

(220) normative value, in relation to experience; the antithesis of experience as a tentative, fragmentary, and ineffectual embodiment of meaning over against the perfect, eternal system of meanings which experience suggests even in nullifying and mutilating.

That from the memory standpoint experience presents itself as a multiplicity of episodic events with just enough continuity among them to suggest principles true " on the whole " or usually, but without furnishing instruction as to their exact range and bearing, seems obvious enough. Why should it not? The motive which leads to reflection on past experience could be satisfied in no other way. Continuities, connecting links, dynamic transitions drop out because, for the purpose of the recollection, they would be hindrances if now repeated; or because they are now available only when themselves objectified in definite terms and thus given a quasi independent, a quasi atomistic standing of their own. This is the only alternative to what the psychologists term " total reminiscence," which, so far as total, leave us with an elephant on our hands. Unless we are going to have a wholesale revivification of the past, giving us just another embarrassing present experience, illusory because irrelevant, memory must work by retail-by summoning distinct cases, events, sequences, precedents. Dis-membering is

( 221) a positively necessary part of re-membering. But the resulting disjecta membra are in no sense experience as it was or is; they are simply elements held apart, and yet tentatively implicated together, in present experience for the sake of its most favorable evolution; evolution in the direction of the most excellent meaning or value conceived. If the remembering is efficacious and pertinent, it reveals the possibilities of the present; that is to say, it clarifies the transitive, transforming character that belongs inherently to the present. The dismembering of the vital present into the disconnected past is correlative to an anticipation, an idealization of the future.

Moreover, the contingent character of the principle or rule that emerges from a survey of cases, instances, as distinct from a fixed or necessary character, secures just what is wanted in the exigency of a prospective idealization, or refinement of excellence. It is just this character that secures flexibility and variety of outlook, that makes possible a consideration of alternatives and an attempt to select and to execute the more worthy among them. The fixed or necessary law would mean a future like the past-a dead, an unidealized future. It is exasperating to imagine how completely different would have been Aristotle's valuation of " experience " with respect to its contingency, if he had but once employed the

( 222) function of developing and perfecting value, instead of the function of knowing an unalterable object, as the standard by which to estimate and measure intelligence.

The one constant trait of experience from its crudest to its mast mature forms is that its contents undergo change of meaning, and of meaning in the sense of excellence, value. Every experience is in-course,[13] in course of becoming worse or better as to its contents, or in course of conscious endeavor to sustain some satisfactory level of value against encroachment or lapse. In this effort, both precedent, the reduction of the present idealization, the anticipation of the possible, though doubtful, future, emerge. Without idealization, that is, without conception of the favorable issue that the present, defined in terms of precedents, may portend in its transition, the recollection of precedents, and the formulation of tentative rules is nonsense. But without the identification of the present in terms of elements suggested by the past, without recognition, the ideal,

(223) the value projected as end, remains inert, helpless, sentimental, without means of realization. Resembling cases and anticipation, memory and idealization, are the corresponding terms in which a present experience has its transitive force analyzed into reciprocally pertinent means and ends.

That an experience will change in content and value is the one thing certain. How it will change is the one thing naturally uncertain. Hence the import of the art of reflection and invention. Control of the character of the change in the direction of the worthful is the common business of theory and practice. Here is the province of the episodic recollection of past history and of the idealized foresight of possibilities. The irrelevancy of an objective idealism lies in the fact that it totally ignores the position and function of ideality in sustained and serious endeavor. Were values automatically injected and kept in the world of experience by any force not reflected in human memories and projects, it would make no difference whether this force were a Spencerian environment or an Absolute Reason. Did purpose ride in a cosmic automobile toward a predestined goal, it would not cease to be physical and mechanical in quality because labeled Divine Idea, or Perfect Reason. The moral would be " let us eat, drink, and be merry," for to-morrow-or if not this tomorrow, then upon some to-morrow, unaffected by

(224) our empirical memories, reflections, inventions, and idealizations-the cosmic automobile arrives. Spirituality, ideality, meaning as purpose, would be the last things to present themselves if objective idealism were true. Values cannot be both ideal and given, and their "given" character is emphasized, not transformed, when they are called eternal and absolute. But natural values become ideal the moment their maintenance is dependent upon the intentional activities of an empirical agent. To suppose that values are ideal because they are so eternally given is the contradiction in which objective idealism has intrenched itself. Objective ontological teleology spells machinery. Reflective and volitional, experimental teleology alone spells ideality.[14] Objective, rationalistic idealism breaks upon the fact that it can have no intermediary between a brutally achieved embodiment of meaning (physical in character or else of that peculiar quasi-physical character which goes generally by the name of metaphysical) and a total opposition of the given and the ideal, connoting their mutual indifference and incapacity. An empiricism that acknowledges the transitive character of experience, and that acknowledges the possible control

(225) of the character of the transition by means of intelligent effort, has abundant opportunity to celebrate in productive art, genial morals, and impartial inquiry the grace and the severity of the ideal.
Notes

Reprinted, with slight verbal changes, from the Philosophical Review, Vol. XV. (1906).
C. S. Peirce, Monist, Vol. XVI., p. 150.
Psychology, Vol. II., p. 618.
Essay concerning Human Understanding," Book II., Chapter II., � 2. Locke doubtless derived this notion from Bacon.
It is hardly necessary to refer to the stress placed upon mathematics, as well as upon fundamental propositions in logic, ethics, and cosmology.
Of course there are internal historic connections between experience as efective " memory," and experience as " observation." But the motivation arid stress, the problem, has quite shifted. It may be remarked that Hobbes still writes under the influence of the Aristotelian conception. " Experience is nothing but Memory " ("Elements of Philosophy," Part I., Chapter I., � 2), and hence is opposed to science.
There are, of course, anticipations of Hume in Locke. But to regard Lockeian experience as equivalent to Humian is to pervert history. Locke, as he was to himself and to the century succeeding him, was not a subjectivist, but in the main a common sense objectivist. It was this that gave him his historic influence. But so completely has the Hume-Kant controversy dominated recent thinking that it is constantly projected backward. Within a few weeks I have seen three articles, all insisting that the meaning of the term experience must be subjective, and stating or implying that those who take the term objectively are subverters of established usage! But a casual study of the dictionary will reveal that experience has always meant " what is experienced," observation as a source of knowledge, as well as the act, fact, or mode of experiencing. In the Oxford Dictionary, the (obsolete) sense of "experimental testing," of actual "observation of facts and events," and "the fact of being consciously affected by an act" have almost contemporaneous datings, viz., 1384, 1377, and 1382 respectively. A usage almost more objective than the second, the Baconian use, is "what has been experienced; the events that have taken place within the knowledge of an individual, a community, mankind at large, either during a particular period or generally." This dates back t0 1607. Let us have no more captious criticisms and plaints based on ignorance of linguistic usage. [This pious wish has not been met. J. D., 1909.]
The relationship of organization and thought is precisely that which we find psychologically typified by the rhythmic functions of habit and attention, attention being always, ab quo, a sign of the failure of habit, and, ad quem, a reconstructive modification of habit.
Compare, for example, Dr. Stuart's paper in the "Studies in Logical Theory," pp. 253-256. I may here remark that I remain totally unable to see how the interpretation. of objectivity to mean controlling conditions of action (negative and positive as above) derogates at all from its naive objectivity, or how it connotes cognitive subjectivity, or is in any way incompatible with a common-sense realistic theory of perception.
For this suggested interpretation of the esthetic as surprising, or unintended, gratuitous collateral reinforcement, see Gordon, " Psychology of Meaning."
This, however, is not strictly true, since Locke goes far to supply the means of his own correction in his account of the "workmanship of the understanding."
Plato, especially in his " Theaetetus," seems to have begun the procedure of blasting the good name of perceptive experience by identifying a late and instrumental distinction, having to do with logical control, with all experience whatsoever.
Compare James, "Continuous transition is one sort of conjunctive relation; and to be a radical empiricist means to hold fast to this conjunctive relation of all others, for this is the strategic point, the position through which, if a hole be made, all the corruptions of dialectics and all the metaphysical fictions pour into our philosophy."-Journal o f Philosophy, Psychology, and Scientific Methods, Vol. I, p. 536.
One of the not least of the many merits of Santayana's " Life of Reason " is the consistency and vigor with which is upheld the doctrine that significant idealism means idealization.

Contester cela et s'en servir pour décrédibiliser les hommes de petite stature n'est pas recommandable, vous en conviendrez.

lincruste
25/06/2012, 15h28
http://uppix.net/8/6/f/ced9c8d6c08ab60f1cc4a4b77e84c.jpg
"Ordinateur ?"

sissi
25/06/2012, 15h29
Et vous osez encore prétendre le contraire.

C'est tout simplement inadmissible.

Pas si sûr:

Nietzsche docet sine fine et Malorum "philosophorum ordinis ausim secundum gradum suum periculum risus. "Nietzsche erat violentus aversionem ad philosophi qui, ut dicit," quaeritur ad male ridere. " Et iudex Thomas Hobbes singulariter reus hoc scelus, addendo quod potest non sperare aliquid sed Anglus scriptor puritanical animi Hobbes. Vertit ut Nietzsche scriptor accusatio fundatur in a perverse quote ex Hobbes dicit de risus in philosophia. Autem, Nietzsche erat probabiliter iure Hobbes (convenientia in hoc cum maxime disputatores eius tempore) considerari manifestum risus est subiectum quod philosophi accipere gravi interest.
In sententia, hoc interest coepit crescere in primum decennia saeculo XVI, maxime inter humanistarum ut insignem Castilionis in eius Cortegiano MDXXVIII, Rabelais in eius Pantagruel in MDXXXIII, Vives in eius de anima & Vita de MDXXXIX, et in plures textus Erasmus. Et in fine saeculi, cum primum vetustatis libro de medica physiologica et psychica videmus proficere in specie huius rei. Auctor in hoc agro est Laurent Joubert, MD Montispessulani, cuius Tractatus in scopulum est edita primum in Paris in MDLXXIX. Tunc, post, plures tractatus comparabiles incipiunt in Italia, possidet de risu Celso Mancini in MDXCVIII, de risu Antonio Lorenzini in MDCIII, et ita in.
Mirum videatur, tot doctoribus ex parte humanitatis argumentum ardore rapiuntur (inter eos utique Rabelais) hoc aenigmate quod volo. Sed nunc volo baculum philosophos patronos et vide quam studio potiori tot nova hac philosophia in generatione ponitur. Cartesius tria capita applicatur loco motus in extremo libro risus passiones animae MDCXLVIII. Hobbes suscitat multis eiusdem quaestiones in Elementis legis et Leviathan iterum. Spinoza defendit valorem risus in libro IV de Ethic. Et numerus advocaverit discipuli Descartes expressit particularem in hoc phaenomenon, possidet Henricus More in eius Computus Virtus.
Haec quaestio sola quaerere volo hoc credere potest quod haec interesse debent magno risu? Puto responsum iacet in quod omnes convenit in unum cardinalis punctum. Et hic oritur quaestio potissimum de passione faciat risus.
Quaestionem de animi constat eo gaudium nec forma necessario est laborum. Hic Castilionis in eius Cortegiano:
"Risum apparet in homine et semper et in signum FESTIVITAS aliqua hilaritate mentis interna sentimus. "

In generationem scribere ad eos qui hoc pro certo ponatur. Descartes simpliciter notatur quod "videtur quod R. est principalis signa Joye." Et Hobbes concludit magis impiger quod "risus est semper gaudium."
Autem, in consensus etiam hoc gaudium ad esse ipsum speciale, et nunc ad Pt maxime proprium (et forte etiam maxime turbatio) litteris et medicinae humanitatis de hic. Hoc overview est quod gaudium exprimitur risus est semper coniungitur cum affectus contemptu, etiam odium: odium Descartes. Inter humanistarum, de vetustissima rationes ad quod effectus per Castilionis. Ponam:
"Quotiescumque risus non curamus contemnere et semper, et semper quaerit irridenda vitia ridet. "

Et medicinae scriptores exponere eadem Theoria in a magis succrevit, maxime subtilis analysis in hoc est forte quod de Joubert in eius Tractatus in scopulum. Ponam primo capite:
"Quid est materia ris ... consilio, Subjet, R. de tempore dicitur duobus sensibus, qui sunt auditus et visus, ridiculum est enim in omnibus dictis et aliquid deformis et meséante, tamen indignum misericordia et misericordia. Risus semper commune genus nostrum risum, et contemtum. "

Hoc est valde dilatetur per generatione, maxime qui volunt ad coniungere ad humanistarum vidit Floret medicinae litteris. Maxime auctores qui contendunt ad fora haec links ut esse Robertus Burton in stupenda text, anatomia Quando de MDCXXI, quae incipit per narrantes nobis in Praefatione, quod "cum ridere, condemnemus aliis Damnamus mundi furor "adiecit" stultitiam damnare mundi numquam tam multi sunt amentes et ridiculum. " Similiter dictum est Cartesii passiones:
"At tamen maxime videtur quod sit signum Joye ris tamen potest facere nisi quod mediocres et vel odio aliquam aliquam IURGO cum admiratione. "

Hobbes scripsit ut aliquot ante annis, elementa legis
"Passio risus nisi subito gloria honoris et sic semper est de gloria in comparatione ad alios, ut rides, rident propter te contemnere et vincere vestrum. "

Itaque hac nibh si torta risus contingit quod duo sibi. Ut tu ipse defectus defectum contemnendum (melius) in aliis. Et ut ad generandum cognoveris animo laeto praestantiae et contemptu. Aliquid valet consequentia ut intentio unius rationis, secundum Hobbes, nota oportet comparationem risus risus. (Hoc est idea pulchre succrevit per Professor hospitii in libro Renaissance et risus.) Risus exprimit derisum, sed in risu consideratur naturalis expressio voluptatem, et maxime affectu et consolationem. Enim, Sir Thomas Browne, alius doctor gravidata humanitatis scientia, refertur ad hoc distinctio in libro Pseudodoxia Epidemica MDCXL, in transitum de cum aenigmate quod Scholastica interrogavit si Christus numquam risit. Browne scriptor responsum est quod etiam Christus nunquam risit, non imaginari quod numquam risit, in risu erat certissimum argumentum humanitas.
In hac sublimi nectit risus et imaginem Christi, ad statum paradisi gaudiis perfruar sempiternis. Sic saepe videmus quod in sacris tabulis Renaissance risus ut opinor, expressionem gaudii generaliter intelligendum conscientiam sublimitatem. More in imaginibus, inquit, manibus ad caelum desiderium oculorum nutibus sive quod revera ad hoc gaudium caeleste. Sed si maxime clarus omnium, in Mona Lisa a Leonardo da Vinci, principium interius gaudium quod facit Mona Lisa risu manet mysterium, quod accommodat eius moribus ad mensam aeternum aenigmatica.
In venereum orationis hic, credo, magna contra obliterata, licet custodivi in ​​quotidiana Disputatio. Venereum assertores de AESTHETICA ut, enim, Edmundus Burke, sicut coniungere, ut in in title nobilis iudicium de Burgo, in sublime et pulchra. In theoria ut examinem Classical Renaissance tempora hic comparatur semper sublimis, quod, risus et rixam, et attende tibi ab contemnis risus. Et dicunt semper a sublimi ad gradum ridiculum.
Sed in idea quod risu exprimit amoris risum reflectitur contemptum erat ad durare diu. Si enim tu de Baudelaire MDCCCLV experimentum at essentia risum negabis risus diabolica, per hostiam suam rationem risus contemptor radices superbia pessima hujusmodi. Sed licet momenti, usque explicatione patet. Ergo videtur interrogando origine naturali committitur. Ubi et quando et quomodo fiat conceptio risus apparuit auctoritatem exerceant ita et prima philosophia nova Renaissance?
II

Loquendo auctorum fontibus suis l doctrina et prudentia saepe novo quodam instare. Cum enim subiectum Hobbes tackles elementa legis, quod incipit esse incredibile est. Ponam:
"Pellentesque nulla passio nomen, cuius signum dicitur corruptio oris ... Sed quid nobis et quomodo risus risus triumphus declaratum cum aliquo philosophorum. "

Sono auctor suae more certitudine, sed eius constitutionis est ita longe a iustificati esse interrogare idea quod Hobbes est audientium. Pauci moderni legentibus Hobbes esset desideraretur Classical educationem, et fere omnes, ergo, cognovit quod analysis de Hobbes habebat paucis, nihil nova petiit. Sed omnia quasi dicat risus Hobbes clementia ex duabus prioribus et antiqua rei deditus aestus cogitatio, quae reducitur ad Aristotelis philosophiam. Non sibi sed suis inimicitias Hobbes esse incipiunt.
Observatione Aristoteles quod risus est saepe citatis a text notum in Romani temporibus sub title de partibus animalium, in quod auctor notat homines sunt in creatura qui ridetis: homo risus. Possidet Ego autem Rhetorica Aristotelis verba sunt plurima spectant, praesertim in secundo loco, ubi iuvenis vias explorat. Prima versio textus est quod percutit Latin Thomae Hobbes est opus, qui edidit inter MDCXXXVII. Sed in translatione, dicta Aristoteli Molesworth (II cap. XII) quod per "dolum contumelia est salsum, et iniuriam nostram hospitio aliena opprobria," de quod risus est semper expressio contemptu.
Huc adde quod Aristoteles dicit in sua poetica, praecipue in loco paulum confert quod genus in comoedia mimesis patet. Comoedia dicit, ridiculum est de, et quod ridiculum est forma quid turpe, turpis vel turpis. Ridentem alienis inveniamur, si erit signum quia manifestat pudorem aut defectus, licet non acerbum facere ridiculum. Sunt maxime ridicula quia qui nos sunt, quodammodo, inferior, maxime moraliter, licet moribus est non omnino vitiosum.
Credo est possibile quod Aristoteles debenti enim his Plato verba in risus in eius Philebus, dicit quod figurandum forte centralis principium analysis Aristotelis risus est fere semper coniuncta ad damnationem vitium. Sed non observationibus ratio Platonis, Aristotelis divisio est quod mirum est quia antiquitus longe plurimum.
Olim adoptionis doctrina dissentiunt videmus autem cogitationes separant convergentibus. Est medicinae, et videtur habuit origines in littera, citatis bene qu'apocryphe aeternum, nobilis medicus Hippocrates ad Damagète de Abderites. Boni vero, secundum Hippocratem ualetudinem Societatis Democritum philosophum, tum antiquis, qui erant in civitate. Quotidie descendit ad portum et vidistis eum excutiet risu non tenere. Miserunt respice Hippocrates in spem remedium Democritus eius manifestum furor. Hippocrates autem cum dixisset nuntiatum Democritus non cognovit eum plane insanire. Democritus, ubi factum est ad humanam vitam maxime celebrantur in portum maris, ubi, expositis exponendis rebus transportavit eruta ab extremis terrae ita ridiculum merentur nihil sed contemptum. Est contemptus absurditas studiis humanitatis exprimitur Democritus risus. Hippocrates inferantur relictis Abderites autem gratias qui Democritus loquebatur multo fuisse tempus ait, sapientissimum mundi.
Sed principale traditionem cogitatio ex antiquitate ad sua quae tulit hoc risus ut expressio contemptus est non medicinae sed rhetorum, et immediate a analysis ex Aristotelica rhetorica. Cicero explicatis supra legitur, cuius arte librum eloquentia De oratore longo sermone II de ridiculis. Ponam:
"Ea que sunt determinata ad provinciam risus vel indignum esse quodammodo informem. Sed risus nisi quia maxime sive designare formam observationes quae in se non est inconveniens quod aliquid indignum aliena vi. "

Unde de ipsa comoedia inquit, adhuc discrepare a proportione quae dicuntur vel fiunt a natura et vera.
Post saeculo in hac re multum evolvit Quintilianus Institutio oratoria longe es capacissima foedus antiquum dicendi. Ut sumtis a Quintilianus, risus est derisum - originali version est etiam clarius: ridere est deridere. Sic ait, "cum ridere Lorem intellexit quia nos ad alia comparata ipsi vilissimus patitur defectum vel infirmitate."
Unde patet, quo sumus a scriptoribus collecta et ad theoriam Renaissance minus ridiculum est dicere primam noluerunt. Dicendi studiis satis habuit debitum humanistarum veterum et praecipue Ciceronis De oratore nibh. (Enim, in de risum Castilionis in Il libro del Cortegiano est simplex translatio Ciceronis analysis). At idem auctoribus librorum medicorum, tum ex iisdem aliquid, sed plus nuntii ex quo Democritus Hippocrates. Joubert, enim, expressi in plena litterae Hippocrates in tractatu in scopulum, dum Burton in eius anatomia Quando, simpliciter assumit eius lectores ad persona de "Democritus Junior," ridere ineptias novi humanitas. Tandem, patronis novum philosophia videtur etiam obstrictas ad idem auctores. Tumultuantem reclamantibus Hobbes in suo novo quodam videtur a maxime mala fide fait ut etiam clarum definitione risus ut subito gloria est in facti ut animadverti, quod unacknowledged quotation a Quintilian.
Tamen, esset eu ad importat quod auctores mane moderni solum passive repetere ideas eorum Classical auctores. Adde quod ratio nunc mihi dici quod duo magna examinat possidebit. Primo res corporales medicinae scriptoribus dant munus novam subito, unde mirum in ira risu quia primo inducit rationem ad disputationem amet 'admiratio vel admiratione. Hic, in analysis auctor, usque ut potest determinare, est Hieronymo Fracastoro in eius de motione de MDXLVI. Ponam:
"Quae nobis compareant coram nobis ex insperato repente risum. Quo fit, ut admirationem experimur, quod facit in nobis vicissim gaudium et delectatio ratione. Repentina fit admiratione, admirationem facit gaudium et laetitia est ridere facit. "

Inventionem statim a Philosophes. Praesertim Cartesii, quae praecipuum studium admiratione. Ego summa eius intense mechanistic analysis: cum sanguine impulsum "ad cor per aliqua affectus odium, adiutus admiratio et admiratione," pulmones expand subito, "ventilabit musculos diaphragma, pectore et faucibus per quod moventur sunt faciem ... et est hoc actio faciem cum hoc clara et INFANS vocem, vocavit scopulum. 'Sed haec eadem prorsus ratione, ut habetur superius analysis Hobbes legis elementa. Mirantique et extollit arguens quod "dum idem absurdius aut quando ista solet risus causa, quaecumque est, novum et inopinatum sit." Et passiones ut causa risus oportet esse "aliquid quod movet admiratione."
Aliud novum collationem de mane assertores moderni venit sunt macula a gap in originali analysis Aristotelis. Ut videtur, rationem Aristoteles in in poetica quod risus est vitium reprehendit exprimens et sollicitans affectus contemptu qui se gerunt ridiculum. Sed ut auctores monstrare, carent Aristoteles adeo insolita, ut a definitione ludibrium, et sic deficit ad indicare quod speciei officia sunt verisimile faciat illusores risum. Ut scilicet secundum quod Aristoteles in secundo de his rebus poetica, innotuit comoedia. Sed hoc perierat in libri, qui nihil scit de re aliqua.
Medicinae scriptores, de quod Montaigne vocare "Ordinarius vitia" non interest. Sed clementia saepe videtur maximum, et quare est analysis, qui summam auctoritatem exercuisse videatur. In basic idea de Castilionis - mutuatus directe a Cicero - est quod vitia nos spes ad fatuus cum maxima successu sunt cum a disproportionality ad vera naturae, maxime quod revelare quod vocat visionem "affectata" nostra valorem. Et dicit quod huiusmodi defectus maxime triplex: cupiditas, sive hypocrisis vana superbia.
Si respiciamus ad artes libri ad lumen illud plerumque hypocrita est qui habetur praecipua figura abiecta. Exemplum est ratio Henricus Fielding in speculativus temptant servit ut a praefatione ad Joseph Andreae in MDCCXLII. Resonante Castilionis, Fielding incipit per constituens quod defectus magis ludibrio qui ostendere statione. Et addit quod
"Destinatio a duabus causis, seu simulata vanitas et inventio ex assignatione ridiculum, quod risum movet, sed sorte provenit quando contingit summum hypocrisi. "

Note quam hoc argumentum semper cognoscitur comici de mane hodierna tempus: enim, Ben Jonson scriptor comoediis sunt plena puritanical hypocritae dum Molière scriptor Tartuffe expletum effigies in Machiavellian machinatur qui simulat a studio.
Sed inter Renaissance assertores, est superbia aut vanitatem circa maximum. Credo quod directe possit moveri in hoc a Platone, ut de Socrate in Philebo ridiculum, absurdum ostendere, qui non ponit aliquam patiantur vitium superat vitium hoc quoque videri solet. Et hoc est sine quaestio visum Castilionis. Ponam:
"Nam cum gloriantium et gloriari et superbus et superbus vias quod recte ad fun eorum et contemnant enim faciens populum risum. "

Nota iterum quod non possumus inventa poetae comici temporum distributione saepe odio maxime ostendit nobis vincere aut peti lege abundat amor Malvolio in Duodecimus Nocte, ventositate iactantia Puntarvolo in historia Omnis homo de umor per Ben Jonson; careerism ridiculum ad M. Jourdain in Molière scriptor Bourgeois Gentilhomme. Haec sunt omnes variationes in idem thema ACERBUS.
In qua sumus, vos forsit an - tot ingeniis in tempore - et quod doctrina Classical Renaissance tempus ut probabiliter dictum errat. Falsum enim est, facilisis ut ridere cum videmus aliquem apparatum opinionis suae, ut dictum semper risus contemptu nostro? Est non dubium quod risus interdum non exprimitur affectus primatum sed felix gaudium - ut Anglorum dicunt, joie de vivre. (Nos loqui paulo Francorum.)
Hoc est celeberrimum exemplum illud Spinoza ad rationem humanitatis in quarto Ethicorum. Et utitur hoc praemittitur Spinoza defensionem theatrum, omnino trans levioribus, quibus tam secundum vitam boni posset afferre intendit Ethicorum nos autem hic est pars integralis. Sed dicendum quod supra legimus in medicinae scriptoribus Renaissance an sollicitus scholasticism distantiam ab Aristotele. Secuti obiectionem plures auctores, possidet Fracastoro: et infantes? Infantes risum, sed nos vere eorum risus ut expressio contemptu vitium? Non amo.
Postea videt quidem lumen in cultura in Anglia, quam idem responsum Hobbes Aristotelis anti-quam ut sit ratio tantum vult defensione risus. Hoc est contentus de vasa in risus Addison in spectator in MDCCXI. Et etiam cogitationes super Risus per MDCCXXV, opus explicite anti-Hobbesian Francis Hutcheson. Et, forte maxime interesting omnium, quod in praefatione ad Joseph Andreae de Fielding, in quod distinguit acriter inter comici et quod descripsit burlesque. Comoedia reprehendit vitium, dicit, "sed in burlesque, quod confert magis ad exquisita risum quam aliquid aliud, hoc est numquam sublato contemptum." Magis agit praepostera spe creando mirum juxtapositions, vel deliberata anachronisms, vel alia inconveniens. Effectum, si bene te ridere nos, sed tune risus dicit Fielding erit "plenus gratia et hilaritas."
Hoc observatione indicat aemulum Theoria de quod facit ridere. Sed sit amet risus benevolo II agnoscere, et consequenter genus satirarum libri fuisse neglectam a medicis fere scriptores rethoricam predixi. Sciunt quod in comoedia ut narratione intelligitur quodlibet bonum finem, tunc quidem non satirarum comoediis. Si autem accipiatur secundum quod intentio est comoedia genus litterarium risum, tunc necesse est satirarum libri.
Ratio est, inquiunt, non est simpliciter verum quandoque ducimur puro affectu gaudium risus. Eorum argumentum contra, valde interesting, est quod si aliter credere, te hedum te. Volumus quam genus contemptor animus ridere bene sequitur satyra. Unanimi fere reactio auctores et medicinae humanitatis mentionem, et ut foedus auctor Laurent Joubert, quod est, ut Joubert dicit se in eius introductorio capite, risus numquam exprimit gaudium sed fastidium. Responsum celeberrimi exemplum editum est post aliquot annos propter defensionem Poetica Philippus Sidney, quem oppugnat fine comoediarum scriptores errore propter rationem ducere Risus interdum causatur gaudium vel delectatio. Risus est numquam Urguet, respondet Sidney, per affectus contemptu.
III

Vivamus est risus, hic graecorum expositio gaudio misceantur professione contemptu et odio. Quaestio autem de auctoribus diximus quaerendum esse puto, cur hanc opinionem habuit, oculis. Cur sensit risus ut de philosophica momenti, vel medicinae? Respiciamus re velim, et ideo haec ratio facit.
Nam medicorum graecorum Theoriam momentum quod risum dat locum promotionis salubre. Ut Joubert explicatur in detail, est maxime salutarem ad consolamini gaudium in populum cum frigus et arida temperamentum, et tam et dura corda. Divitibus huius ingenium satis felices quis vel, modis quibus Joubert laborat atra bilis in splene excessum, unde consequenter affectus fremunt relictum increatum, amissio animo denique tristem. In exemplum Joubert - sicut omnes doctores - est Democritus, cuius aetatis et temperamentum bilis basically eum ita frustrati et iratus quod, ut ferunt per Burton in anatomia Quando, cecidit in a perniciosasque tristitia.
Sed ratio est sententia Democritus risus colere eum stantem in via praepostera remedium humanae conditionis. Ut explicatur Joubert (iterum trahens in theoria humores Galenus), risus Democritus non solum melius circulatione sanguinis, faciens sanguinis Democritus ut risum difficile. Risus expellere nigram adiuvat, et quod alioquin foret iterum in tristitia venenatis. Itaque pati Democritus hodie dicimus, modo in bono stare. Ita intelligitur hoc quoque Hippocratis et risus Democriti indicium haud insania primo modo probabile est servare mentem.
Sed note quod Ratio est tantum valet si risus est quidem naturalis expressio contemptum. Primum curare, ut Democritus relucebat humana esset absurdum, sciret utique ostendit contemptum excitandum et sciret etiam ipse ridet. Sed est tantum quia Democritus posset sperare eius affectus contemptu provocare risus potuit ad incipiunt pati. Et puto hoc ratio cur doctores studia ut ad essentialiter rhetoricae idea quod risus est actu naturalis expressio contemptum.
Quod si redire ad philosophos, rhetorum et maxime cum magni omnino ratio diversa. His scriptores risus contemptus dicit necessarium ad sphaeram forensem. Data, dicunt quod risus est manifestatio de hos affectus, nos possit ad a vas singularis potestas moralis et politica disputatio. Hoc est magnum et est ratio sua perficere volo.
Fortasse committitur cum praemissa maxime fundamentalis Renaissance philosophi hereditabunt rhetoricae cultura antiqua Romam. Assumptio autem secundum id quod est in proverbium in re civili vel ad moralibus, pars potest id audire aliquid (scilicet duo opposita latera cuncta quaestione ). Quintilianus ut explicari in re versus ad artium naturalibus, in utramque partem disputare potest adhuc in utramque partem disputare, ita quod non potest aliquis sperare in probandum utrique procul dubio umbra est. Ita (quod ratio recuperarunt post multum temporis in philosophia) quod Claustrum nihil in moralibus, ita et modo disputata sint talia gerere in forma dialogi.
Sed tunc vidit quod erant duo moralibus. Erat ius forum ad exercitium iudicialis rhetorica, ubi sequantur a veredictum stat cum iustitia. Altero consilio publico foro rhetor cultu ubi populo persuadere conaris facere in moribus rei publicae prodest. Re laboramus his hodie Rhetorica conficiatur. Iudicio iudicum sententia pervenire audiendo etiam coram ratione ab utroque latere et a contrario iudicio. Conventus repraesentabant et aspectu mutuo partes solerent Renaissance sicut adhuc hodie in domo communi. (Unde non potest in Britannia factionibus politicis plura.)
Sed utramque quaestionem, quod materia est dicere (quod adhuc dicam) tibi persuade auditorio habita in sententiam tuam aut in latus sic, ut (quemadmodum etiam adhuc dicere) utitur, ut ex eodem semine. Id eo consilio superest Nova aetate maxima res mobiles adversarium, semper oratori parlamentarii factionis scilicet ad illum locum transirent. " Tua principale obiectiva est (uti aliud ludum quod superstes altum in Latin) loqui blanditias, quod est vincere in aliis ad eius causa.
Sed hic clavem quaestio. Quam? Ex hypothesi, non ut per rationem, cum causas cognoscimus et ex parte sit vel. Quomodo? Non sine dubitatione, in assertores rhetoricae a Classical tempus et Renaissance obviam orator discat confirmabit ratio per iracundus industria orationis. In alia, oportet discat quam inspirare in audientium pure motus officium in gratiam partium quod defendit. Ut libere dicta speciem caninam Antonius De oratore ad "auditorium cum attrahens sollicitudine imperat tibi fieri non temptaret et judicio moventur, cum tumultus mentis ".
Quid causae est cor, ut ita dixerim, continet inter deliberandum "motum" et "procedere". Aut quis finis moralium disceptatione civili movere debet facere vel movere agas isto ligula. Ad hoc propositum assequendum sed solum loqui et scribere non erit nisi sola fide »maxime excitavit." Est hoc potentia quod pellat adversarium ad transibit partibus, transire in latus: sunt moveri si et si sentiunt satis excitatur.
Sed disputationibus relinquere rhetorum cum exitus aliquantum practica momenti. Sunt ibi speciei elit ut potest discere ad feliciter explicandam et movere in altum passiones auditi? Ita est, ut Cicero et Quintilianus et artem exerceant necesse est quod omnia mutare figuris et tropis loquendi. De oratore Crassus ut in figura, hic primum dicendum est qua vos can specto blanditias, id est ad conciliandum tibi audiendi causa.
Sed videtur quod naturali respondere flexibus tropis figuris rhetoricis magis valeat humilitas videtur. Quam potest ita spectaculi consequitur? In Classical Rhetores magis responsa in hoc sed in summa potest sperare est ad explicandam particulari praedicamento illudentes quod vocant tropos in ut generare risus. Haec sententia cum Quintiliani primum confitetur quod "levis quidem videtur, sed non posse usum salis simul miserationis affectus, medium quidem turbantes in passiones fecit plurimum. "
Quid autem vides hunc ingenii tanti auctores eloquentiae sphaerae. Iustus memor in effingit de auctores in genere affectus exprimitur risus, et consequenter genus passiones potest actu excitare si curo ad risum intra auditi. Ut videtur, in Classical Theoria - ut ut simpliciter quam - est ut risus semper venit ad ridere ad aliquis. Sed quod si non est quod dialecticae edidit risum faciunt contra inimicos nostros spernit. Et conloquii huius moris est. Ut wisi potestas creo lethale telum ad colloquium habetur risus ideo tanti, quod ratio datur. Succedunt in exasperans risus directe effectus (ut dicunt) reducere adversarii. Et, per accidens, ut Tullius ait, etiam crescere solet nobis sit, videtur quod per comparationem quam alia.
Adhuc manet munus rhetorum ad quomodo nos possit inspirare altum passiones ut per linguistica medium solus, per usum tropos illusores. Res prosperas esse manifestum est, hominis producendi contemptus absurditas, partim ex sermonibus. Meminerimus autem quod species eorum pestifera ideas risus consequat ac si subito si ergo per impetum subito aliquem ad aliquid quod est absurdum. Hic, dicunt, est utile scire aliqua secreta rhetorica. Enim irridens tropos existimantur esse prorsus linguae medium, proprie explicuit, habent ad faciat prorsus genus admiratio agit reactio risus. Atque explere fabula haec quatuor maxime auctoribus addam ut elit.
Quidam tropis opus per illudentes mirum transuerso sensum vel extolleretur unum verbum super aliud - ut in mordacitas aut ironia. Alia offerens nobis cum innuendo subito et mirum - quid auctores vocant IMMINUTIO. Aliis revelare duplex sensus latet in a videtur innocentem constitutio, quae adversa inventionem subito innocentiae: hoc est quod vocant aestismus et nos fabula in verba. Tandem, aliis adepto idem effectum specie, a ventus modo est irridens tropo notum aposiopèse, cuius forma est, ut explicatur by Peacham in eius paradiso facundia, MDLXXI, " admireris per subito stetissent sententia relinquere mendacium venenosis suspicio. "
Haec rhetorica artes sunt actu late explicuit per moralis disciplinae cultores de Renaissance, si inspiciat, et uti ad revelabis plena armamentarium officiis putavit maxime dignus contemptu. Erasmi DERIDENS inversio in via nititur oppugnare Laus stultitiae simulationem principem principum praecipue Ecclesiae. Rabelais explicuit in plena range de tropis illudentes cum satirizes scholastica scientia et simulationes Ecclesiae in Pantagruel. Sed omnium temporum anticlerical Satyri fortasse gravissima est illusionibus Hobbes tropis in usum praecipue in libris III et IV Leviathan.
Hobbes est non minus dominus de ironia et importatur DERIDENS, sed est etiam potest ad explicandam pauciores processus commendatur per rhetorum, maxime in eius contra avaritia, vanitas et hypocrisi catholicae Ecclesiae. Hobbes satirizes cupiditas multipliciter, sed maxime per aestismus clericali vel dictum imperdiet ut, nominans doctrina utilissima de purgatorio opinione Ecclesiae. Etiam capit occasionem ad inridere in simulationes Ecclesiae, sed unquam melius quam cum utitur figura illudentes aposiopèse ad ADRIPIO caelibatus sacerdotum. Me commemorare hoc, Hobbes incipit cum a series de comparationes inter stigma crimen catholicae sacerdotes et progenies. Agnoscunt solum non agnoscis regem et sacerdotes progenies Papa. Progenies habitant in cantata castella, cathedrales sacerdotes. In progenies potest non prosecutus enim scelera, sacerdotes etiam evanescunt atriis. Tunc addit eius aposiopèse:
"De progenies non nubere. Inter quos sunt incubi, qui de carne sexum. Sacerdotes non nubunt neque. "

IV

De risus ut expressio contemptum, ego maxime exposita THEORIA, sed etiam investigari narrationem. Dicitur ratio perspexi, ut dictum antiquitus non resurgit in Renaissance fit multis rebus philosophi saeculi XVII. Sicut autem habet principium et medium, finis fabulae dixi etiam noscere (saltem humanitatis societatem dixi) et verbum hoc dicere volo colligere.
Nostra fabula desinit ut pars quod Norbert Elias vocavit civilizing processus, quod a major aspectu in hodierna Europae culturae, crescens postulant imperium per voluntatem variis corporis functiones prius considerari involuntarium. Sed risus est scilicet genus videtur involuntarium actiones de a probatissimi dispositio sunt maxime affligeretur ad reprehendo.
Hanc opinionem iam nunc in septimo saeculo sed nibh pertinens (Latin culturae saltem) 1740s patet in quadam epistula de optimo filio comitis Cestrefeld incessus in generosum. In epistola, comes declarat "est nihil ita rudis, ita rudis, ut risus audibile ut risus est aliquid ultra quod sensibilis populus et bene natus s ' tollere. " Quia ostendit risus turpis amissio penes corpus. Ut Cestrefeld dixit est "vile et indecens, praesertim quod ingratos sonitus et distortione quod facit facialis improbius cum succumbat. "
Coeperunt cogitare Angliae lumen, etsi maxime verum sit quod dicit risus affectus contemptus, si vis exprimunt animi movent seipsa, ut velis deprehensa est in Saturnalia et loqui conatur exprimere affectus. Opus aliquid modestior, et ut explicite addit Cestrefeld, est ad hoc opus, quia risus vere est non involuntarium. Sed sicut ipse dicit, "Risum moderato animum facile et honestum."
Ita quod reponit tollit risus? Inquit, finem et non est in Anglorum sine sub-nitida dictum risus. Quid est, sub-quid rides? Speciem magis exprimitur in Latin quoniam interrogatus proferre volumus, cum ridere est «-os." Historia sic desinit nomine remoto pudore et gaudio locum contemnentes risus. Et concludit quod si filius Cestrefeld consilium: "Volo beatus esse ut saepe videre risus sed non exaudiet vos, dum tu rideas. "

Da-Soth
25/06/2012, 15h29
Bonhomme (même mort)

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Pas bonhomme

http://uppix.net/4/c/1/e8002e3a323e864921b22682eebb3.jpg

KiwiX
25/06/2012, 15h29
Que voulez-vous dire par là ?
Est-ce encore votre obsession à mon endroit qui s'exprime ? Cela ne me choque en rien, je suis moi-même obsédé par ma personne.
D'esprit très ouvert, je peux vous proposer un rendez-vous. Si cela peut vous aider à affronter les péripéties futures, j'en serais heureux. En bon chrétien, apporter le bonheur à autrui fait partie de ma mission.

Oui mais :

BELIEFS look both ways, towards persons and toward things. They are the original Mr. Facing-both-ways. They form or judge-justify or condemn-the agents who entertain them and who insist upon them. They are of things whose immediate meanings form their content. To believe is to ascribe value, impute meaning, assign import. The collection and interaction of these appraisals and assessments is the world of the common man,-that is, of man as an individual and not as a professional being or class specimen. Thus things are characters, not mere entities; they

(170) behave and respond and provoke. In the behavior that exemplifies and tests their character, they help and hinder; disturb and pacify; resist and comply; are dismal and mirthful, orderly and deformed, queer and commonplace; they agree and disagree; are better and worse.

Thus the human world, whether or no it have core and axis, has presence and transfiguration. It means here and now, not in some transcendent sphere. It moves, of itself, to varied incremental meaning, not to some far off event, whether divine or diabolic. Such movement constitutes conduct, for conduct is the working out of the commitments of belief. That believed better is held to, asserted, affirmed, acted upon. The moments of its crucial fulfilment are the natural " transcendentals "; the decisive, the critical, standards of further estimation, selection, and rejection. That believed worse is fled, resisted, transformed into an instrument for the better. Characters, in being condensations of belief, are thus at once the reminders and the prognostications of weal and woe; they concrete and they regulate the terms of effective apprehension and appropriation of things. This general regulative function is what we mean in calling them characters, forms.

For beliefs, made in the course of existence, reciprocate by making existence still farther, by developing it. Beliefs are not made by existence

( 171) in a mechanical or logical or psychological sense. " Reality " naturally instigates belief. It appraises itself and through this self-appraisal manages its affairs. As things are surcharged valuations, so " consciousness " means ways of believing and disbelieving. It is interpretation; not merely existence aware of itself as fact, but existence discerning, judging itself, approving and disapproving.

This double outlook and connection of belief, its implication, on one side, with beings who suffer and endeavor, and, its complication on the other, with the meanings and worths of things, is its glory or its unpardonable sin. We cannot keep connection on one side and throw it away on the other. We cannot preserve significance and decline the personal attitude in which it is inscribed and operative, any more than we can succeed in making things " states " of a " consciousness " whose business is to be an interpretation of things. Beliefs are personal affairs, and personal affairs are adventures, and adventures are, if you please, shady. But equally discredited, then, is the universe of meanings. For the world has meaning as somebody's, somebody's at a juncture, taken for better or Worse, and you shall not have completed your metaphysics till you have told whose world is meant and how and what for-in what bias and to what effect. Here is a cake that is had only

( 172) by eating it, just as there is digestion only for life as well as by life.

So far the standpoint of the common man. But the professional man, the philosopher, has been largely occupied in a systematic effort to discredit the standpoint of the common man, that is, to disable belief as an ultimately valid principle. Philosophy is shocked at the frank, almost brutal, evocation of beliefs by and in natural existence, like witches out of a desert heath-at a mode of production which is neither logical, nor physical, nor psychological, but just natural, empirical. For modern philosophy is, as every college senior recites, epistemology; and epistemology, as perhaps our books and lectures sometimes forget to tell the senior, has absorbed Stoic dogma. Passionless imperturbability, absolute detachment, complete subjection to a ready-made and finished reality-physical it may be, mental it may be, logical it may be-is its professed ideal. Forswearing the reality of affection, and the gallantry of adventure, the genuineness of the incomplete, the tentative, it has taken an oath of allegiance to Reality, objective, universal, complete; made perhaps of atoms, perhaps of sensations, perhaps of logical meanings. This ready-made reality, already including everything, must of course swallow and absorb belief, must produce it psychologically, mechanically, or logically, according to its own nature; must in any

( 173) case, instead of acquiring aid and support from belief, resolve it into one of its own preordained creatures, making a desert and calling it harmony, unity, totality.[2]

Philosophy has dreamed the dream of a knowledge which is other than the propitious outgrowth of beliefs that shall develop aforetime their ulterior implications in order to recast them, to rectify their errors, cultivate their waste places, heal their diseases, fortify their feeblenesses :-the dream of a knowledge that has to do with objects having no nature save to be known.

Not that their philosophers have admitted the concrete realizability of their scheme. On the

( 174) contrary, the assertion of the absolute " Reality " of what is empirically unrealizable is a part of the scheme; the ideal of a universe of pure, cognitional objects, fixed elements in fixed relations. Sensationalist and idealist, positivist and transcendentalist, materialist and spiritualist, defining this object in as many differing ways as they have different conceptions of the ideal and method of knowledge, are at one in their devotion to an identification of Reality with something that connects monopolistically with passionless knowledge, belief purged of all personal reference, origin, and outlook.[3]

What is to be said of this attempt to sever the cord which naturally binds together personal attitudes and the meaning of things ? This much at least: the effort to extract meanings, values, from the beliefs that ascribe them, and to give the former absolute metaphysical validity while the latter are sent to wander as scapegoats in the wil-

( 175) -derness of mere phenomena, is an attempt, which, as long as " our interest's on the dangerous edge of things," will attract an admiring, even if suspicious, audience. Moreover, we may admit that the attempt to catch the universe of immediate experience, of action and passion, coming and going, to damn it in its present body in order expressly to glorify its spirit to all eternity, to validate the meaning of beliefs by discrediting their natural existence, to attribute absolute worth to the intent of human convictions just because of the absolute worthlessness of their content-that the performance of this feat of virtuosity has developed philosophy to its present wondrous, if formidable, technique.

But can we claim more than a succ�s d'estime? Consider again the nature of the effort. The world of immediate meanings, of the world empirically sustained in beliefs, is to be sorted out into two portions, metaphysically discontinuous, one of which shall alone be good and true " Reality," the fit material of passionless, beliefless knowledge; while the other part, that which is excluded, shall be referred exclusively to belief and treated as mere appearance, purely subjective, impressions or effects in consciousness, or as that ludicrously abject modern discovery-an epiphenomenon. And this division into the real and the unreal is accomplished by the very individual whom his own

( 176) "absolute" results reduce to phenomenality, in terms of the very immediate experience which is infected with worthlessness, and on the basis of preference, of selection that are declared to be unreal! Can the thing be done?

Anyway, the snubbed and excluded factor may, always reassert itself. The very pushing it out of " Reality " may but add to its potential energy, and invoke a more violent recoil. When affections and aversions, with the beliefs in which they record themselves and the efforts they exact, are reduced to epiphenomena, dancing an idle attendance upon a reality complete without them, to which they vainly strive to accommodate themselves by mirroring, then may the emotions flagrantly burst forth with the claim that, as a friend of mine puts it, reason is only a fig leaf for their nakedness. When one man says that need, uncertainty, choice, novelty, and strife have no place in Reality, which is made up wholly of established things behaving by foregone rules, then may another man be provoked to reply that all such fixities, whether named atoms or God, whether they be fixtures of a sensational, a positivistic, or an idealistic system, have existence and import only in the problems, needs, struggles, and instrumentalities of conscious agents and patients. For home rule may be found in the unwritten efficacious constitution of experience.

( 177)

That contemporaneously we are in the presence of such a reaction is apparent. Let us, in pursuit of our topic, inquire how it came about and why it takes the form that it takes. This consideration may not only occupy the hour, but may help diagram some future parallelogram of forces. The account calls for some sketching (1) of the historical tendencies which have shaped the situation in which a Stoic theory of knowledge claims metaphysical monopoly, and (2) of the tendencies that have furnished the despised principle of belief opportunity and means of reassertion.

II

Imagination readily travels to a period when a gospel of intense, and, one may say, deliberate passionate disturbance appeared to be conquering the Stoic ideal of passionless reason; when the demand for individual assertion by faith against the established, embodied objective order was seemingly subduing the idea of the total subordination of the individual to the universal. By what course of events came about the dramatic reversal, in which an ethically conquered Stoicism became the conqueror, epistemologically, of Christianity?

How are our imaginations haunted by the idea of what might have happened if Christianity had

( 178) found ready to its hand intellectual formulations corresponding to its practical proclamations!

That the ultimate principle of conduct is affectional and volitional; that God is love; that access to the principle is by faith, a personal attitude; that belief, surpassing logical basis and warrant, works out through its own operation its own fulfilling evidence: such was the implied moral metaphysic of Christianity. But this implication needed to become a theory, a theology, a formulation; and in this need, it found no recourse save to philosophies that had identified true existence with the proper object of logical reason. For, in Greek thought, after the valuable meanings, the meanings of industry and art that appealed to sustained and serious choice, had given birth and status to reflective reason, reason denied its ancestry of organized endeavor, and proclaimed itself in its function of self-conscious logical thought to be the author and warrant of all genuine things. Yet how nearly Christianity had found prepared for it the needed means of its own intellectual statement! We recall Aristotle's account of moral knowing, and his definition of man. Man as man, he tells us, is a principle that may be termed either desiring thought or thinking desire. Not as pure intelligence does man know, but as an organization of desires effected through reflection

( 179) upon their own conditions and consequences. What if Aristotle had only assimilated his idea of theoretical to his notion of practical knowledge! Because practical thinking was so human, Aristotle rejected it in favor of pure, passionless cognition, something superhuman. Thinking desire is experimental, is tentative, not absolute. It looks to the future and to the past for help in the future. It is contingent, not necessary. It doubly relates to the individual: to the individual thing as experienced by an individual agent; not to the universal. Hence desire is a sure sign of defect, of privation, of non-being, and seeks surcease in something which knows it not. Hence desiring reason culminating in beliefs relating to imperfect existence, stands forever in contrast with passionless reason functioning in pure knowledge, logically complete, of perfect being.

I need not remind you how through Neo-Platonism, St. Augustine, and the Scholastic renaissance, these conceptions became imbedded in Christian philosophy; and what a reversal occurred of the original practical principle of Christianity. Belief is henceforth important because it is the mere antecedent in a finite and fallen world, a temporal and phenomenal world infected with non-being, of true knowledge to be achieved only in a world of completed Being. Desire is but the self-consciousness of defect striving to its own termination

(180) in perfect possession, through perfect knowledge of perfect being. I need not remind you that the prima facie subordination of reason to authority, of knowledge to faith, in the medieval code, is, after all, but the logical result of the doctrine that man as man (since only reasoning desire) is merely phenomenal; and has his reality in God, who as God is the complete union of rational insight and being-the term of man's desire, and the fulfilment of his feeble attempts at knowing. Authority, " faith " as it then had to be conceived, meant just that this Being comes externally to the aid of man, otherwise hopelessly doomed to misery in long drawn out error and non-being, and disciplines him till, in the next world under more favoring auspices, he may have his desires stilled in good, and his faith may yield to knowledge: for we forget that the doctrine of immortality was not an appendage, but an integral part of the theory that since knowledge is the true function of man, happiness is attained only in knowledge, which itself exists only in achievement of perfect Being or God.

For my part, I can but think that medieval absolutism, with its provision for authoritative supernatural assistance in this world and assertion of supernatural realization in the next, was more logical, as well as more humane, than the modern absolutism, that, with the same logical premises, bids man find adequate consolation and support in

(181) the fact that, after all, his strivings are already eternally fulfilled, his errors already eternally transcended, his partial beliefs already eternally comprehended.

The modern age is marked by a refusal to be satisfied with the postponement of the exercise and function of reason to another and supernatural sphere, and by a resolve to practise itself upon its present object, nature, with all the joys thereunto appertaining. The pure intelligence of Aristotle, thought thinking itself, expresses itself as free inquiry directed upon the present conditions of its own most effective exercise. The principle of the inherent relation of thought to being was preserved intact, but its practical locus was moved down from the next world to this. Spinoza's " God or Nature " is the logical outcome; as is also his strict correlation of the attribute of matter with the attribute of thought; while his combination of thorough distrust of passion and faith with complete faith in reason and all-absorbing passion for knowledge is so classic an embodiment of the whole modern contradiction that it may awaken admiration where less thorough-paced formulations call out irritation.

In the practical devotion of present intelligence to its present object, nature, science was born, and also its philosophical counterpart, the theory of knowledge. Epistemology only generalized in

(182) its loose, although narrow and technical way, the question practically urgent in Europe: How is science possible? How can intelligence actively and directly get at its object?

Meantime, through Protestantism the values, the meanings formerly characterizing the next life' (the opportunity for full perception of perfect being), were carried over into present-day emotions and responses.

The dualism between faith authoritatively supported as the principle of this life, and knowledge supernaturally realized as the principle of the next, was transmuted into the dualism between intelligence now and here occupied with natural things, and the affections and accompanying beliefs, now and here realizing spiritual worths. For a time this dualism operated as a convenient division of labor. Intelligence, freed from responsibility for and preoccupation with supernatural truths, could occupy itself the more fully and efficiently with the world that now is; while the affections, charged with the values evoked in the medieval discipline, entered into the present enjoyment of the delectations previously reserved for the saints. Directness took the place of systematic intermediation; the present of the future; the individual's emotional consciousness of the supernatural institution. Between science and faith, thus conceived, a bargain was struck. Hands off ;each to his own,

(183) was the compact; the natural world to intelligence, the moral, the spiritual world to belief. This (natural) world for knowledge; that (supernatural) world for belief. Thus the antithesis, unexpressed, ignored, within experience, between belief and knowledge, between the purely objective values of thought and the personal values of passion and volition, was more fundamental, more determining, than the opposition, explicit and harassing, within knowledge, between subject and object, mind and matter.

This latent antagonism worked out into the open. In scientific detail, knowledge encroached upon the historic traditions and opinions with which the moral and religious life had identified itself. It made history to be as natural, as much its spoil, as physical nature. It turned itself upon man, and proceeded remorselessly to account for his emotions, his volitions, his opinions. Knowledge, in its general theory, as philosophy, went the same way. It was pre-committed to the old notion: the absolutely real is the object of knowledge, and hence is something universal and impersonal. So, whether by the road of sensationalism or rationalism, by the path of mechanicalism or objective idealism, it came about that concrete selves, specific feeling and willing beings, were relegated with the beliefs in which they declare themselves to the "phenomenal."

(184)

III

So much for the situation against which some contemporary tendencies are a deliberate protest.

What of the positive conditions that give us not mere protest, like the unreasoning revolt of heart against head found at all epochs, but something articulate and constructive? The field is only too large, and I shall limit myself to the evolution of the knowledge standpoint itself. I shall suggest, first, that the progress of intelligence directed upon natural materials has evolved a procedure of knowledge that renders untenable the inherited conception of knowledge; and, secondly, that this result is reinforced by the specific results of some of the special sciences.

1. First, then, the very use of the knowledge standpoint, the very expression of the knowledge preoccupation, has produced methods and tests that, when formulated, intimate a radically different conception of knowledge, and of its relation to existence and belief, than the orthodox one.

The one thing that stands out is that thinking is inquiry, and that knowledge as science is the outcome of systematically directed inquiry. For a time it was natural enough that inquiry should be interpreted in the old sense, as just change of subjective attitudes and opinions to make them square up with a " reality " that is already there

( 185) in ready-made, fixed, and finished form. The rationalist had one notion of the reality, i.e., that it was of the nature of laws, genera, or an ordered system, and so thought of concepts, axioms, etc., as the indicated modes of representation. The empiricist, holding reality to be a lot of little discrete particular lumps, thought of disjointed sensations as its appropriate counterpart. But both alike were thorough conformists. If " reality " is already and completely given, and if knowledge is just submissive acceptance, then, of course, inquiry is only a subjective change in the human " mind " or in " consciousness,"-these being subjective and "unreal."

But the very development of the sciences served to reveal a peculiar and intolerable paradox. Epistemology, having condemned inquiry once for all to the region of subjectivity in an invidious sense, finds itself in flat opposition in principle and in detail to the assumption and to the results of the sciences. Epistemology is bound to deny to the results of the special sciences in detail any ulterior objectivity just because they always are in a process of inquiry-in solution. While a man may not be halted at being told that his mental activities, since his, are not genuinely real, many men will draw violently back at being told that all the discoveries, conclusions, explanations, and theories of the sciences share the same fate, being the products

( 186) of a discredited mind. And, in general, epistemology, in relegating human thinking as inquiry to a merely phenomenal region, makes concrete approximation and conformity to objectivity hopeless. Even if it did square itself up to and by " reality " it never could be sure of it. The ancient myth of Tantalus and his effort to drink the water before him seems to be ingeniously prophetic of modern epistemology. The thirstier, the needier of truth the human mind, and the intenser the efforts put forth to slake itself in the ocean of being just beyond the edge of consciousness, the more surely the living waters of truth recede!

When such self-confessed sterility is joined with consistent derogation of all the special results of the special sciences, some one is sure to raise the cry of " dog in the manger," or of " sour grapes." A revision of the theory of thinking, of inquiry, would seem to be inevitable; a revision which should cease trying to construe knowledge as an attempted approximation to a reproduction of reality under conditions that condemn it in advance to failure; a revision which should start frankly from the fact of thinking as inquiring, and purely external realities as terms in inquiries, and which should construe validity, objectivity, truth, and the test and system of truths, on the basis of what they actually mean and do within inquiry.

Such a standpoint promises ample revenge for

(187) the long damnation and longer neglect to which the principle of belief has been subjected. The whole procedure of thinking as developed in those extensive and intensive inquiries that constitute the sciences, is but rendering into a systematic technique, into an art deliberately and delightfully pursued, the rougher and cruder means by which practical human beings have in all ages worked out the implications of their beliefs, tested them, and endeavored in the interests of economy, efficiency, and freedom, to render them coherent with one another. Belief, sheer, direct, unmitigated belief, reappears as the working hypothesis; action that at once develops and tests belief reappears in experimentation, deduction, demonstration; while the machinery of universals, axioms, a priori truths, etc., becomes a systematization of the way in which men have always worked out, in anticipation of overt action, the implications of their beliefs, with a view to revising them, in the interests of obviating unfavorable, and securing welcome consequences. Observation, with its machinery of sensations, measurements, etc., is the resurrection of the way in which agents have always faced and tried to define the problems that face them; truth is the union of abstract postulated meanings and of concrete brute facts in a way that circumvents the latter by judging them from a new standpoint, while it tests concepts by using

(188) them as methods in the same active experience. It all comes to experience personally conducted and personally consummated.

Let consciousness of these facts dawn a little more brightly over the horizon of epistemological prejudices, and it will be seen that nothing prevents admitting the genuineness both of thinking activities and of their characteristic results, except the notion that belief itself is not a genuine ingredient of existence-a notion which itself is not only a belief, but a belief which, unlike the convictions of the common man and the hypotheses of science, finds its proud proof in the fact that it does not demean itself so unworthily as to work.

Once believe that beliefs themselves are as " real " as anything else can ever be, and we have a world in which uncertainty, doubtfulness, really inhere ; and in which personal attitudes and responses are real both in their own distinctive existence, and as the only ways in which an as yet undetermined factor of reality takes on shape, meaning, value, truth. If " to wilful men the injuries that they themselves procure, must be their schoolmasters "-and all beliefs are wilful--then by the same token the propitious evolutions of meaning, which wilful men secure to an expectant universe, must be their compensation and their justification. In a doubtful and needy universe elements must be beggarly, and the development

( 189) of personal beliefs into experimentally executed systems of actions, is the organized bureau of philanthropy which confers upon a travailing universe the meaning for which it cries out. The apostrophe of the poet is above all to man the thinker, the inquirer, the knower

O Dreamer ! O Desirer, goer down
Unto untraveled seas in untried ships,
O crusher of the unimagined grape,
On unconceiv�d lips.

2. Biology, psychology, and the social sciences proffer an imposing body of concrete facts that also point to the rehabilitation of belief-to the interpretation of knowledge as a human and practical outgrowth of belief, not to belief as the state to which knowledge is condemned in a merely finite and phenomenal world. I need not, as I cannot, here summarize the psychological revision which the notions of sensation, perception, conception, cognition in general have undergone, all to one intent. "Motor" is writ large on their face. The testimony of biology is unambiguous to the effect that the organic instruments of the whole intellectual life, the sense-organs and brain and their connections, have been developed on a definitely practical basis and for practical aims, for the purpose of such control over conditions as will sustain and vary the meanings of life. The his-

(190) -toric sciences are equally explicit in their evidence that knowledge as a system of information and instruction is a cooperative social achievement, at all times socially toned, sustained, and directed; and that logical thinking is a reweaving through individual activity of this social fabric at such points as are indicated by prevailing needs and aims.

This bulky and coherent body of testimony is not, of course, of itself philosophy. But it supplies, at all events, facts that have scientific backing, and that are as worthy of regard as the facts pertinent to any science. At the present time these facts seem to have some peculiar claim just because they present traits largely ignored in prior philosophic formulations, while those belonging to mathematics and physics have so largely wrought their sweet will on systems. Again, it would seem as if in philosophies built deliberately upon the knowledge principle, any body of known facts should not have to clamor for sympathetic attention.

Such being the case, the reasons for ruling psychology and sociology and allied sciences out of competency to give philosophic testimony have more significance than the bare denial of jurisdiction. They are evidences of the deep-rooted preconception that whatever concerns a particular conscious agent, a wanting, struggling, satisfied

( 191) and dissatisfied being, must of course be only " phenomenal " in import.

This aversion is the more suggestive when the professed idealist appears as the special champion of the virginity of pure knowledge. The idealist, so content with the notion that consciousness determines reality, provided it be done once for all, at a jump and in lump, is so uneasy in presence of the idea that empirical conscious beings genuinely determine existences now and here! One is reminded of the story told, I think, by Spencer. Some committee had organized and contended, through a long series of parliaments, for the passage of a measure. At last one of their meetings was interrupted with news of success. Consternation was the result. What was to become of the occupation of the committee? So, one asks, what is to become of idealism at large, of the wholesale unspecifiable determination of " reality " by or in " consciousness," if specific conscious beings, John Smiths, and Susan Smiths (to say nothing of their animal relations), beings with bowels and brains, are found to exercise influence upon the character and existence of reals ?

One would be almost justified in construing idealism as a Pickwickian scheme, so willing is it to idealize the principle of intelligence at the expense of its specific undertakings, were it not that this reluctance is the necessary outcome of the Stoic

( 192) basis and tenor of idealism-its preoccupation with logical contents and relations in abstraction from their situs and function in conscious living beings.

IV

I have suggested to you the na�ve conception of the relation of beliefs to realities: that beliefs are themselves real without discount, manifesting their reality in the usual proper way, namely, by modifying and shaping the reality of other things, so that they connect the bias, the preferences and affections, the needs and endeavors of personal lives with the values, the characters ascribed to things -the latter thus becoming worthy of human acquaintance and responsive to human intercourse. This was followed by a sketch of the history of thought, indicating how beliefs and all they insinuate were subjected to preconceived notions of knowledge and of " reality " as a monopolistic possession of pure intellect. Then I traced some of the motifs that make for reconsideration of the supposed uniquely exclusive relation of logical knowledge and "reality "; motifs that make for a less invidiously superior attitude towards the convictions of the common man.

In concluding, I want to say a word or two to mitigate for escape is impossible-some misun-

(193) -derstandings. And, to begin with, while possible doubts inevitably troop with actual beliefs, the doctrine in question is not particularly sceptical. The radical empiricist, the humanist, the pragmatist, label him as you will, believes not in fewer but in more " realities " than the orthodox philosophers warrant. He is not concerned, for example, in discrediting objective realities and logical or universal thinking; he is interested in such a reinterpretation of the sort of " reality " which these things possess as will accredit, without depreciation, concrete empirical conscious centers of action and passion.

My second remark is to the opposite effect. The intent is not especially credulous, although it starts from and ends with the radical credulity of all knowledge. To suppose that because the sciences are ultimately instrumental to human beliefs, we are therefore to be careless of the most exact possible use of extensive and systematic scientific methods, is like supposing that because a watch is made to tell present time, and not to be an exemplar of transcendent, absolute time, watches might as well be made of cheap stuffs, casually wrought and clumsily put together. It is the task of telling present time, with all its urgent implications, that brings home, steadies, and enlarges the responsibility for the best possible use of intelligence, the instrument.

( 194)

For one, I have no interest in the old, old scheme of derogating from the worth of knowledge in order to give an uncontrolled field for some species beliefs to run riot in,-be these beliefs even faith in immortality, in some special sort of a Deity, or in some particular brand of freedom. Any one of our beliefs is subject to criticism, revision, and even ultimate elimination through the development of its own implications by intelligently directed action. Because reason is a scheme of working out the meanings of convictions in terms of one another and of the consequences they import in further experience, convictions are the more, not the less, amenable and responsible to the full exercise of reason.[4]

Thus we are put on the road to that most de-

(195) -sirable thing; the union of acknowledgment of moral powers and demands with thoroughgoing naturalism. No one really wants to lame man's practical nature; it is the supposed exigencies of natural science that force the hand. No one really bears a grudge against naturalism for the sake of obscurantism. It is the need of some sacred reservation for moral interests that coerces. We all want to be as naturalistic as we can be. But the " can be " is the rub. If we set out with a fixed dualism of belief and knowledge, then the uneasy fear that the natural sciences are going to encroach and destroy " spiritual values " haunts us. So we build them a citadel and fortify it; that is, we isolate, professionalize, and thereby weaken beliefs. But if beliefs are the most natural, and in that sense, the most metaphysical of all things, and if knowledge is an organized technique for working out their implications and interrelations, for directing their formation and employ, how unnecessary, how petty the fear and the caution. Because freedom of belief is ours, free thought may exercise itself; the freer the thought the more sure the emancipation of belief. Hug some special belief and one fears knowledge; believe in belief and one loves and cleaves to knowledge.

We have here, too, the possibility of a common understanding, in thought, in language, in outlook,

(196) of the philosopher and the common man. What would not the philosopher give, did he not have to part with some of his common humanity in order to join a class? Does he not always, when challenged, justify himself with the contention that all men naturally philosophize, and that he but does in a conscious and orderly way what leads to harm when done in an indiscriminate and irregular way? If philosophy be at once a natural history and a logic-an art-of beliefs, then its technical justification is at one with its human justification. The natural attitude of man, said Emerson, is believing; " the philosopher, after some struggle, having only reasons for believing." Let the struggle then enlighten and enlarge beliefs; let the reasons kindle and engender new beliefs.

Finally, it is not a solution, but a problem which is presented. As philosophers, our disagreements as to conclusions are trivial compared with our disagreement as to problems. To see the problem another sees, in the same perspective and at the same angle-that amounts to something. Agreement in solutions is in comparison perfunctory. To experience the same problem another feels that perhaps is agreement. In a world where distinctions are as invidious as comparisons are odious, and where intellect works only by comparison and distinction, pray what is one to do?

But beliefs are personal matters, and the person,

(197) we may still believe, is social. To be a man is to be thinking desire; and the agreement of desires is not in oneness of intellectual conclusion, but in the sympathies of passion and the concords of action -and yet significant union in affection and behavior may depend upon a consensus in thought that is secured only by discrimination and comparison.
Notes

Read as the Presidential Address at the fifth annual meeting of the American Philosophical Association, at Cambridge, December 28, 1905, and reprinted with verbal revisions from the Philosophical Review, Vol. XV., March, 1906. The substitution of the word " Existences " for the word "Realities" (in the original title) is due to a subsequent recognition on my part that the eulogistic historic associations with the word " Reality " (against which the paper was a protest) infected the interpretation of the paper itself, so that the use of some more colorless word was desirable.
Since writing the above I have read the following words of a candidly unsympathetic friend of philosophy: " Neither philosophy nor science can institute man's relation to the universe, because such reciprocity must have existed before any kind of science or philosophy can begin; since each investigates phenomena by means of the intellect, and independent of the position and feeling of the investigator; whereas the relation of man to the universe is defined, not by the intellect alone, but by his sensitive perception aided by all his spiritual powers. However much one may assure and instruct a man that all real existence is an idea, that matter is made up of atoms, that the essence of life is corporality or will, that Beat, light, movement, electricity, are different manifestations of one and the same energy, one cannot thereby explain to a being with pains, pleasures, hopes, and fears his position in the universe." Tolstoi, essay on " Religion and Morality," in " Essays, Letters, and Miscellanies."
Hegel may be excepted from this statement. The habit of interpreting Hegel as a Neo-Kantian, a Kantian enlarged and purified, is a purely Anglo-American habit. This is no place to enter into the intricacies of Hegelian exegesis, but the subordination of both logical meaning and of mechanical existence to Geist, to life in its own developing movement, would seem to stand out in any unbiased view of Hegel. At all events, I wish to recognize my own personal debt to Hegel for the view set forth in this paper, without, of course, implying that it represents Hegel's own intention.
There will of course come in time with the development of this point of view an organon of beliefs. The signs of a genuine as against a simulated belief will be studied; belief as a vital personal reaction will be discriminated from habitual, incorporate, unquestioned (because unconsciously exercised) traditions of social classes and professions. In his "Will to Believe" Professor James has already laid down two traits of genuine belief (viz., " forced option," and acceptance of responsibility for results) which are almost always ignored in criticisms (really caricatures) of his position. In the light of such an organon, one might come to doubt whether belief in, say, immortality (as distinct from hope on one side and a sort of intellectual balance of probability of opinion on the other) can genuinely exist at all.

En tant que confrère parfaitement bilingue, vous confirmez donc que la religion n'a pas sa place ici. Je modobell pour incitation à la haine religieuse.

pins
25/06/2012, 15h31
That an experience will change in content and value is the one thing certain. How it will change is the one thing naturally uncertain.


Ça c'est très discutable. Tu peux tout à fait en être certain, en théorie.

Da-Soth
25/06/2012, 15h31
Bonhomme

http://uppix.net/1/9/5/a69d11515e73a4447cc81fc1a3a81.jpg

Pas bonhomme

http://uppix.net/c/d/9/b702e6a846adde825db365c28b0be.gif

birdienumnum
25/06/2012, 15h32
Bonhomme

Impossible. Our Lord Jesus nous le dit bien : tous les hommes naissent avec le pêché originel (Evangile selon Jean-Louis 45-5)

epikovuzaventur
25/06/2012, 15h32
Le mieux c'est d'être complétement con et repoussant (et de boire de la bière DUFF)
Ou d'être une vieille merde humaine à moitié finie à la pisse (et d'ANTONer une chanson)

lincruste
25/06/2012, 15h32
CETTE FEMME A JURÉ DEVANT LE TRIBUNAL ^_^
http://uppix.net/f/9/0/17bd4ba8f486a884f2b8b74ed14cc.png

KiwiX
25/06/2012, 15h34
Le mieux c'est d'être complétement con et repoussant (et de boire de la bière DUFF)
Ou d'être une vieille merde humaine à moitié finie à la pisse (et d'ANTONer une chanson)
Incitation à la haine des handicapés, je modobell pour racisme envers la génétique.

---------- Post added at 15h34 ---------- Previous post was at 15h33 ----------


Ça c'est très discutable. Tu peux tout à fait en être certain, en théorie.
Ouais ok mais en pratique, ça donne quoi ? Merci de développer de suite sous peine de voir une modobell pour obstruction à la parole philosophique.

lincruste
25/06/2012, 15h34
En fait le rire, c'est un décalage.

Menkar
25/06/2012, 15h34
mylene farmer est une secte et ces montons de palurge sont des fans intégristes. alors arretez de parle de tolérance

lincruste
25/06/2012, 15h35
Voilà.

Da-Soth
25/06/2012, 15h35
Impossible. Our Lord Jesus nous le dit bien : tous les hommes naissent avec le pêché originel (Evangile selon Jean-Louis 45-5)

Si Jesus avait été un bonhomme, il aurait pété la gueule à toute la garnison romaine et aux gardiens du Temple.

lincruste
25/06/2012, 15h36
Si Jesus avait été un bonhomme, il aurait pété la gueule à toute la garnison romaine et aux gardiens du Temple.

On parle du RIRE là dans une perspective philosophique.

---------- Post added at 15h36 ---------- Previous post was at 15h36 ----------

C'est dingue cette manie de dériver.

epikovuzaventur
25/06/2012, 15h37
En fait le rire, c'est un décalage.

de 7 bites par la droite

sosoran
25/06/2012, 15h37
"modobell ci"
"modobell ça"

Au delà d'un certain sentiment de persécution, je ne peux m'empêcher d'y voir une corruption de la langue de Bernanos.

Je dirais plutôt la vision d'une sentiment, que dis-je d'un complexe de minorité induit, bien entendu, par la société civile, dixit rousseau : l'homme est bon, la société le corromps. Ces pauvres âmes ( seulement ? ) éprouvent-elles un besoin de supériorité dû à ce complexe d'infériorité du fait de l'absence totale d’intérêt de leur existence par rapport à la grandeur infinie de l'univers ? Je répondrai par l'affirmative en précisant que grâce à ce '' modobell'' un sentiment de toute-puissance (almighty dans la langue de shakespeare) envahit leurs cerveaux de primates par la diffusion de neurotransmetteurs dans leur synapse, ce qui crée une dépolarisation ( ou hyperpolarisation ? là est toute la question ) qui permettra, si le seuil fatidique de -50 est atteint, de créer un potentiel d'action qui parcourra les axones de leurs cellules neuronales ( ceci est bien sûr facilité par la présence des cellules gliales/ noeud de ranvier , qui accélèrent le processus ). Par ce processus, et suivant la théorie de l'évolution de Darwin ( aujourd'hui théorie synthétique de l'évolution ), ces êtres en puissance, ces surhommes ( nietzsche ) se mettent en position de force selon une morale, un ensemble de règle établies dans la société, la cage dorée qui leur sert d'environnement. Ainsi, et par un processus absolument absurde ( ici la lecture du mythe de Sisyphe s'impose ), il parviendront à procréer un trouvant des femelles ( à moins que ''ils'' ne soient déjà ''elles'' et, dans ce cas, toute la théorie précédente est remise en question car le point de vue est tout autre: la femelle n'est pas le mâle et les règles qui établissent la vies des uns ne s'appliquent pas aux autres ) avec qui s'accoupler, ceci dans l'hypothèse que 1) ces femelles soient au courant de leurs actions rebelles et que 2) elles considèrent ces gestes comme une propension à la supériorité, ce qui est loin d'être établi . Enfin, on comprendra aisément que ces êtres ne font que suivre la voie qui leur a été imposé par la nature et dont le but et de procréer ( à moins que nous ne nous trouvions en présence d'un ensemble d'actes sublimées, dans ce cas il faudra chercher plus profondément les raisons sexuelles qui favorise ces actes artistiques ).

birdienumnum
25/06/2012, 15h37
Ouais ok mais en pratique, ça donne quoi ? Merci de développer de suite sous peine de voir une modobell pour obstruction à la parole philosophique.

Pardonnez-moi, je vais être un peu sec.
La pensée philosophique, cette façon de séparer le philosophos du vulgum pecus s'inscrit tout à fait dans une conception sophiste du Verbe et par extension du débat.

Pensez vous que Bacon ait imaginé sa Cité Idéale en discutant avec d'autres intellectuels ? Non, mille fois non, Bacon travaillait dans d'innommables bouges, le gin à la main, le nez dans la c, et le vit dans la bouche d'une vieille édentée.

Menkar
25/06/2012, 15h38
Au moins Mylène rend hommage aux victimes de la Shoah avec Rêver et Souviens-toi tu jour … et elle n’est pas raciste comme ton groupe ! Mylène inspire beaucoup de gens (dont moi) et c’est pas toute les insultes dont tu l’appelle une biatch (comme tu l’a fait pour Madonna qui est aussi une artiste complète) qui vont nous faire peur abrutis de mes deux !

lincruste
25/06/2012, 15h38
de 7 bites par la droite

Sébum. Et ben Sébum. C'est un multi d'Agar§§§

Da-Soth
25/06/2012, 15h39
On parle du RIRE là dans une perspective philosophique.

---------- Post added at 15h36 ---------- Previous post was at 15h36 ----------

C'est dingue cette manie de dériver.

Je suis parfaitement dans le sujet. Ca aurait été drôle, sous entendu, une recherche du moi profond, de voir un mec en robe donner des coups de tatanes à des mecs en jupe.

Je modobell pour incitation au modobell.

birdienumnum
25/06/2012, 15h39
Au moins Mylène rend hommage aux victimes de la Shoah avec Rêver et Souviens-toi tu jour … et elle n’est pas raciste comme ton groupe ! Mylène inspire beaucoup de gens (dont moi) et c’est pas toute les insultes dont tu l’appelle une biatch (comme tu l’a fait pour Madonna qui est aussi une artiste complète) qui vont nous faire peur abrutis de mes deux !

Je vois que nous avons les mêmes sources.

Quel penseur ce Deleuze !

epikovuzaventur
25/06/2012, 15h40
Un exemple d'humour :

#1 "Hé les parisiens prout hé c'est des connards hé moi je préfère le beurre salé"
#2 "Hé une fois j'ai fait un controle fiscale hé hé hé en fait c'était ... ma mère [rires]"
#3 "y'en a marre de flood incessant"

[humour de canardpc, mai 2012]

lordsupra
25/06/2012, 15h41
Si Jesus avait été un bonhomme, il aurait pété la gueule à toute la garnison romaine et aux gardiens du Temple.

Mouais, bof, avec un build tank peut être, mais là, sa couronne d'épine, sa toge, et ses tongs, il pouvait rien faire. S'il avait trade du stuff légendaire au lieu de chasser les marchands du temple, il en serait peut être pas là ou il en est maintenant, et il pourrait peut être encore applaudir.

birdienumnum
25/06/2012, 15h41
lincruste s'est il fait ban pour sa conception hétérodoxe de l'identité et de ses avatars ?

Menkar
25/06/2012, 15h42
http://www.treschktrasch.com/images/guetto5.png

Da-Soth
25/06/2012, 15h42
Le Kahn a ramené des renforts !

Freeze ! Nobozyz move !

Menkar
25/06/2012, 15h42
http://www.treschktrasch.com/images/guetto4.png

epikovuzaventur
25/06/2012, 15h42
Bouzour bouzour bouzour mes p'tits amis.
On vous a laissé flooder pour voir ce qui en ressort et vraisemblablement vous êtes incapables de tenir un topic marresque qui :
-Ne flood pas juste pour flooder
-Ne sert pas à régler des comptes
-Ne contient pas des posts dotés d'un seul vilain mot de 4 lettres et qu'on ne veut surtout pas voir référencé sur google

Vous remercierez donc les deux trois clowns qui nous ont convaincus que la simple fermeture de ce topic ne suffit pas à faire passer un message clair.
Dorénavant et jusqu'à ce qu'on arrête de bouder, tout topic dont le seul intérêt est de flooder dans le vide sera accompagné de points.
Merveilleux non?

http://i2.kym-cdn.com/photos/images/newsfeed/000/251/443/b0b.jpg

Menkar
25/06/2012, 15h42
http://www.treschktrasch.com/images/guetto7.png

Da-Soth
25/06/2012, 15h43
You are under arrest

L-F. Sébum
25/06/2012, 15h43
Rappel :

Topic drôle = oui
Flood de merde = non

Soyez prudents