Ivan Le Fou
02/05/2011, 16h20
Aujourd'hui, dans notre feuilleton sur l'univers impitoyable du business du jeu vidéo : des chiffres qui font sérieux un peu, mais pas trop ; un homme très en colère qui hurle à la trahison ; et un grand gars qui s'en fout et ramasse les dollars à la pelle. Pourquoi à la pelle ? Parce que l'heure n'est pas au râteau, tout simplement.
http://canardpc.com/img/news/52498/a7cda121763e9b855e2bf14a1e4ec0e3_54814_5935.jpg
Horreur et consternation aux États-Unis d'Amérique Unie : d'après l'institut d'études NPD le secteur du jeu vidéo américain glisse de manière incontrôlé vers le néant. En janvier, le chiffre d'affaires a chuté de 5 % par rapport à l'année 2010. Et carrément de 29 % en ce qui concerne les jeux PC. En février, re-belote avec une chute de 5 % à nouveau. Et tout ça par rapport à une année 2010 qui avait déjà été mauvaise. Des développeurs font faillite, des éditeurs se jettent du haut de leurs stock-options et... ah non, tiens, rien de tout ça
Si vous avez lu le (formidable) dossier du numéro 222 de Canard PC (http://canardpc.com/magazine-CPC222.html), intitulé "Le jeu vidéo malade de ses chiffres", vous savez qu'il y a un tout petit problème avec les chiffres que donnent un institut marketing comme NPD aux États-Unis : il ne prend pas en compte tout ce que le jeu vidéo vent au format numérique (les jeux dématérialisés sur Steam & consorts, les ventes de DLC, le XBLA et le PSN, mais aussi les jeux Facebook ou les MMO Free-to-play). Un léger détail qui correspond, d'après les propres estimations de cet institut, à 40 % du marché du logiciel de jeu. Une paille.
Moi, ça me fait rire, parce que je pense au prix astronomique que payent les éditeurs de jeux pour avoir accès à ces chiffres détaillés... qui ne veulent plus rien dire. Mais il y en a au moins un que ça commence à ne plus faire rire du tout, c'est Monsieur John Riccitello, qui dirige une PME familiale appelée Electronic Arts. Il s'est même fâché tout rouge, John, en envoyant une responsable de la communication dire devant les caméras de CNN : "Nous considérons ces chiffres comme un travestissement de la réalité. Utiliser les chiffres NPD pour estimer les ventes de jeux, c'est comme mesurer les ventes de musiques sans tenir compte d'un petit truc appelé iTunes." Faut le comprendre, Johnny. Il a acheté PlayFish (développeur de jeux Facebook) pour plus de 300 millions de dollars, il prévoit que les revenus du dématérialisé vont doubler ceux des supports physiques cette année et il finance depuis des années un MMO Star Wars très ambitieux : c'est pas le moment de lui faire le coup du mépris sur l'économie numérique.
Et qu'en dit le patron de Steam ? Il est assez bien placé pour savoir à quel point le dématérialisé est incontournable puisqu'on lui attribue généralement 70 % de parts de marché. Eh bien Gabe Newell, il s'en bat les dents. Il se contente d'annoncer au magazine Forbes que sa modeste start-up est "formidablement rentable", plus rentable même que Google et Apple si l'on rapporte les chiffres au nombre d'employés (250 pour Valve/Steam).
La grosse différence entre Valve et Electronic Arts en la matière, c'est que EA est coté en Bourse. Dans ce cas, les chiffres du NPD sont d'une importance capitale : comment voulez-vous expliquer à vos actionnaires que votre entreprise va bien et que sa stratégie est la bonne si le seul institut du secteur martèle mois après mois que le marché s'écroule ? C'est un coup à voir le cours de l'action diminuer aussi vite que ses chances de garder son job.
Gabe Newell, lui, n'a jamais introduit Valve en Bourse, ni fait appel à un seul centime de capital-risque. Lorsque son associé et co-fondateur Mike Harrington a voulu partir, il lui a racheté ses parts et il détient depuis plus de 50 % de la société. Selon la loi américaine, n'étant pas coté sur les marchés, il n'est pas obligé de donner de chiffres, pas même le chiffre d'affaires, et ne rend de comptes à personne. Il peut donc se permettre le luxe d'ignorer royalement un institut d'études qui prétend décrire le marché du jeu vidéo en faisant comme s'il n'existait pas.
***
Cette chronique est extraite du numéro 231 de "Canard PC" (http://canardpc.com/magazine-CPC231.html), paru le 1er avril 2011. Retrouvez la rubrique "Au coin du jeu" dans chaque numéro, ou presque.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-52498-des_chiffres_et_des_hommes.html)
http://canardpc.com/img/news/52498/a7cda121763e9b855e2bf14a1e4ec0e3_54814_5935.jpg
Horreur et consternation aux États-Unis d'Amérique Unie : d'après l'institut d'études NPD le secteur du jeu vidéo américain glisse de manière incontrôlé vers le néant. En janvier, le chiffre d'affaires a chuté de 5 % par rapport à l'année 2010. Et carrément de 29 % en ce qui concerne les jeux PC. En février, re-belote avec une chute de 5 % à nouveau. Et tout ça par rapport à une année 2010 qui avait déjà été mauvaise. Des développeurs font faillite, des éditeurs se jettent du haut de leurs stock-options et... ah non, tiens, rien de tout ça
Si vous avez lu le (formidable) dossier du numéro 222 de Canard PC (http://canardpc.com/magazine-CPC222.html), intitulé "Le jeu vidéo malade de ses chiffres", vous savez qu'il y a un tout petit problème avec les chiffres que donnent un institut marketing comme NPD aux États-Unis : il ne prend pas en compte tout ce que le jeu vidéo vent au format numérique (les jeux dématérialisés sur Steam & consorts, les ventes de DLC, le XBLA et le PSN, mais aussi les jeux Facebook ou les MMO Free-to-play). Un léger détail qui correspond, d'après les propres estimations de cet institut, à 40 % du marché du logiciel de jeu. Une paille.
Moi, ça me fait rire, parce que je pense au prix astronomique que payent les éditeurs de jeux pour avoir accès à ces chiffres détaillés... qui ne veulent plus rien dire. Mais il y en a au moins un que ça commence à ne plus faire rire du tout, c'est Monsieur John Riccitello, qui dirige une PME familiale appelée Electronic Arts. Il s'est même fâché tout rouge, John, en envoyant une responsable de la communication dire devant les caméras de CNN : "Nous considérons ces chiffres comme un travestissement de la réalité. Utiliser les chiffres NPD pour estimer les ventes de jeux, c'est comme mesurer les ventes de musiques sans tenir compte d'un petit truc appelé iTunes." Faut le comprendre, Johnny. Il a acheté PlayFish (développeur de jeux Facebook) pour plus de 300 millions de dollars, il prévoit que les revenus du dématérialisé vont doubler ceux des supports physiques cette année et il finance depuis des années un MMO Star Wars très ambitieux : c'est pas le moment de lui faire le coup du mépris sur l'économie numérique.
Et qu'en dit le patron de Steam ? Il est assez bien placé pour savoir à quel point le dématérialisé est incontournable puisqu'on lui attribue généralement 70 % de parts de marché. Eh bien Gabe Newell, il s'en bat les dents. Il se contente d'annoncer au magazine Forbes que sa modeste start-up est "formidablement rentable", plus rentable même que Google et Apple si l'on rapporte les chiffres au nombre d'employés (250 pour Valve/Steam).
La grosse différence entre Valve et Electronic Arts en la matière, c'est que EA est coté en Bourse. Dans ce cas, les chiffres du NPD sont d'une importance capitale : comment voulez-vous expliquer à vos actionnaires que votre entreprise va bien et que sa stratégie est la bonne si le seul institut du secteur martèle mois après mois que le marché s'écroule ? C'est un coup à voir le cours de l'action diminuer aussi vite que ses chances de garder son job.
Gabe Newell, lui, n'a jamais introduit Valve en Bourse, ni fait appel à un seul centime de capital-risque. Lorsque son associé et co-fondateur Mike Harrington a voulu partir, il lui a racheté ses parts et il détient depuis plus de 50 % de la société. Selon la loi américaine, n'étant pas coté sur les marchés, il n'est pas obligé de donner de chiffres, pas même le chiffre d'affaires, et ne rend de comptes à personne. Il peut donc se permettre le luxe d'ignorer royalement un institut d'études qui prétend décrire le marché du jeu vidéo en faisant comme s'il n'existait pas.
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Cette chronique est extraite du numéro 231 de "Canard PC" (http://canardpc.com/magazine-CPC231.html), paru le 1er avril 2011. Retrouvez la rubrique "Au coin du jeu" dans chaque numéro, ou presque.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-52498-des_chiffres_et_des_hommes.html)