Grand_Maître_B
01/12/2010, 18h22
Les vendeurs de logiciels, Microsoft en tête, ont des ruses de sioux pour écouler leurs programmes. C'est sans doute pour cela qu'ils ont adopté le proverbe indien "Un bon lien vaut mieux que deux tu l'auras".
Mais au lieu de lier des cowboys à des arbres, nos vendeurs lient des ordinateurs à des logiciels, en proposant un "package" de matériels et de logiciels sous un prix unique qui ne permet pas à l'utilisateur de connaître exactement la valeur de chacun de ces éléments, ni véritablement d'écarter de son achat tel ou tel d'entre eux.
Cette pratique peut paraître choquante, mais le milieu de l'informatique s'est construit justement sur de telles pratiques (Lorsque IBM a vendu les premiers ordinateurs, les logiciels étaient naturellement vendus avec sans que personne ne s'en étonne et pour cause, aucune autre société ne vendait de matériel similaire. Il n'existait pas de marché pour des logiciels qui ne soient pas élaborés par IBM, personne d'autre ne proposait d'ordinateurs.)
Et même encore aujourd'hui, il est vrai que c'est commode, et pas que de chambre, pour un consommateur lambda d'acheter en même temps l'ordinateur et les logiciels les plus utiles pré-installés.
J'avais au temps jadis de notre jeunesse enfuie, écrit un article dans le Canard papier à ce sujet. Je vais donc vous faire une piqûre de rappel de la situation juridique que les lecteurs que vous êtes Saurons, et pas que d'un œil, apprécier à sa juste valeur.
La vente liée est, en France, principalement interdite par l'article L.122-1, clair comme de l'eau de roche: "Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit."
C'est clair et net, la vente liée, c'est interdit. On aurait donc pu s'attendre à ce que les tribunaux tabassent les vendeurs d'ordinateurs fourrés aux logiciels, mais point ne fut le cas.
C'est en 2005 que la répression des fraudes, la fameuse DGCCRF, ouvre le bal en pondant une réponse d'intérêt général dans laquelle elle indique que, même si le marché informatique s'élargit et que les consommateurs sont de plus en plus informés, la vente forcée est acceptable dès lors qu'elle présente un intérêt pour le consommateur. Par exemple, lors d'un premier achat d'un micro-ordinateur, et le cas échéant, de divers périphériques de loisirs, "un équipement dont la mise en route ne nécessite qu'un minimum de manipulation présente un avantage indéniable." On retrouve l'idée que l'informatique, c'est complexe, et donc qu'il est dans l'intérêt de tous d'acheter un produit complet. Oui mais, pourtant, la vente liée est interdite sans exception. En effet, la référence au "sans motif légitime" de l'article L. 122-1 du Code de la consommation ne concerne que le refus de vente et non pas la vente liée.
A partir de 2006, la justice s'est enfin intéressée à la question. Refusant d'abord de considérer cette pratique comme illégale, en dépit de l'article L. 122-1, les tribunaux ont fini par considérer en substance que la vente de matériel informatique couplé à des logiciels :
- s'analyse comme une vente liée car, à l'inverse des différents composants d'un véhicule automobile (roues, volants, pédales, non c'est pas celui qui le dit qui l'est etc...), l'acquisition d'un ordinateur dans ses composants matériels et le droit d'utilisation des logiciels qui l'équipent sont régis par des régimes juridiques fondamentalement distincts (vente d'un côté, licence d'exploitation de l'autre). Cela ne répond pas franchement à la question de savoir si un ordinateur sans OS peut être considéré comme un tout, mais juridiquement, cela se tient. En outre, la justice considère que les conditions contractuelles prévues par le vendeur de hardware pour permettre un remboursement et une désinstallation des logiciels dont le consommateur n'a pas l'usage est tellement complexe, que cela s'analyse en une vente liée, puisque le consommateur n'a pas vraiment le choix.
- Mais, cette vente liée est acceptable d'un point de vue général, car elle correspond à l'intérêt du consommateur, les logiciels peuvent être désinstallés et remboursés - fût-ce au prix d'une opération laborieuse - et des ordinateurs nus peuvent être achetés dans des endroits spécialisés. Enfin, il est relevé par les Tribunaux qu'aucune solution alternative simple n'existe, notamment en ce qui concerne le système d'exploitation. La complexité, pour le néophyte, que représente l'installation d'un système d'exploitation Linux est telle qu'une vente liée d'ordinateurs et de licence d'exploitation d'un OS pré-installé, comme Windows, correspond aux besoins du grand public. En revanche, d'un point de vue particulier, vous pouvez obtenir le remboursement de ce que vous souhaitez.
C'est à dire que, juridiquement, si le marché informatique est structuré sur une vente liée, cela n'est cependant pas illégal et, en même temps, chaque consommateur est juridiquement en droit d'obtenir le remboursement des logiciels qu'il n'utilisera pas.
La position adoptée par les tribunaux prêtait ainsi le flanc à la critique puisque, d'une part, la vente liée est juridiquement interdite en France alors que, d'un autre côté, chaque consommateur est en droit d'obtenir le remboursement des logiciels qu'il n'utilise pas. Ce n'est pas illégal, mais c'est donc tout comme. L'idée était ici sans doute de permettre au monde de l'informatique de continuer à vendre des produits saucissonnés entre eux sans que ce soit par principe illégal, mais tout en contraignant les vendeurs à rembourser chaque consommateur qui le souhaite les logiciels qu'il n'utilise pas, comme si la vente liée était bien en réalité illégale. Légale d'un point de vue général et global, illégale d'un point de vue particulier, autant dire que le juriste esthète qui sommeille en vous se révolte.
Eh bien, soyez apaisés, car la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 novembre 2010, vient de légitimer cette position acrobatique des Tribunaux en nous fournissant le raisonnement juridique qui nous manquait. Pour réussir ce tour de force intellectuel, la Cour Suprême fait appel à l'Europe.
En effet, la Cour de cassation nous dit qu'il existe une Directive 2005/29/CE du 11mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs, qui s’oppose à ce qu'une réglementation nationale puisse interdire toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, sauf exceptions. Il est donc interdit d'interdire une vente liée, sauf cas exceptionnels.
Or, notre article L. 122-1 du Code de la consommation interdit justement de telles offres conjointes.
Alors, la Cour de cassation décide que cet article doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive, ce qui signifie que la prohibition générale de la vente liée est impossible et que les Tribunaux doivent donc rechercher au cas par cas, si la vente liée dont se plaindrait un acheteur doit être punie ou pas. Mais il n'est plus possible juridiquement de considérer que, par essence, et pas que sans plomb, la vente liée est interdite.
Vous suivez ?
Cela signifie que nos Tribunaux avaient donc raison de dire que la vente d'un ordinateur bourré de logiciels est bien une vente liée, et ils avaient aussi raison de dire que cette vente liée n'est pas répréhensible. Il suffisait d'ajouter l'Europe dans l'équation et pouf, contradiction juridique résolue.
Les Tribunaux pourront donc continuer en toute sérénité juridique à condamner les vendeurs à rembourser aux acheteurs qui en feront la demande les logiciels qu'ils n'utilisent pas, sans pour autant avoir à juger que la vente liée est illégale.
Allez tous avec moi : Vive la Cour de cassation ! Vive l'Europe ! Vive le Président !
Non je déconne.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-51647-ventes__de_liees.html)
Mais au lieu de lier des cowboys à des arbres, nos vendeurs lient des ordinateurs à des logiciels, en proposant un "package" de matériels et de logiciels sous un prix unique qui ne permet pas à l'utilisateur de connaître exactement la valeur de chacun de ces éléments, ni véritablement d'écarter de son achat tel ou tel d'entre eux.
Cette pratique peut paraître choquante, mais le milieu de l'informatique s'est construit justement sur de telles pratiques (Lorsque IBM a vendu les premiers ordinateurs, les logiciels étaient naturellement vendus avec sans que personne ne s'en étonne et pour cause, aucune autre société ne vendait de matériel similaire. Il n'existait pas de marché pour des logiciels qui ne soient pas élaborés par IBM, personne d'autre ne proposait d'ordinateurs.)
Et même encore aujourd'hui, il est vrai que c'est commode, et pas que de chambre, pour un consommateur lambda d'acheter en même temps l'ordinateur et les logiciels les plus utiles pré-installés.
J'avais au temps jadis de notre jeunesse enfuie, écrit un article dans le Canard papier à ce sujet. Je vais donc vous faire une piqûre de rappel de la situation juridique que les lecteurs que vous êtes Saurons, et pas que d'un œil, apprécier à sa juste valeur.
La vente liée est, en France, principalement interdite par l'article L.122-1, clair comme de l'eau de roche: "Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit."
C'est clair et net, la vente liée, c'est interdit. On aurait donc pu s'attendre à ce que les tribunaux tabassent les vendeurs d'ordinateurs fourrés aux logiciels, mais point ne fut le cas.
C'est en 2005 que la répression des fraudes, la fameuse DGCCRF, ouvre le bal en pondant une réponse d'intérêt général dans laquelle elle indique que, même si le marché informatique s'élargit et que les consommateurs sont de plus en plus informés, la vente forcée est acceptable dès lors qu'elle présente un intérêt pour le consommateur. Par exemple, lors d'un premier achat d'un micro-ordinateur, et le cas échéant, de divers périphériques de loisirs, "un équipement dont la mise en route ne nécessite qu'un minimum de manipulation présente un avantage indéniable." On retrouve l'idée que l'informatique, c'est complexe, et donc qu'il est dans l'intérêt de tous d'acheter un produit complet. Oui mais, pourtant, la vente liée est interdite sans exception. En effet, la référence au "sans motif légitime" de l'article L. 122-1 du Code de la consommation ne concerne que le refus de vente et non pas la vente liée.
A partir de 2006, la justice s'est enfin intéressée à la question. Refusant d'abord de considérer cette pratique comme illégale, en dépit de l'article L. 122-1, les tribunaux ont fini par considérer en substance que la vente de matériel informatique couplé à des logiciels :
- s'analyse comme une vente liée car, à l'inverse des différents composants d'un véhicule automobile (roues, volants, pédales, non c'est pas celui qui le dit qui l'est etc...), l'acquisition d'un ordinateur dans ses composants matériels et le droit d'utilisation des logiciels qui l'équipent sont régis par des régimes juridiques fondamentalement distincts (vente d'un côté, licence d'exploitation de l'autre). Cela ne répond pas franchement à la question de savoir si un ordinateur sans OS peut être considéré comme un tout, mais juridiquement, cela se tient. En outre, la justice considère que les conditions contractuelles prévues par le vendeur de hardware pour permettre un remboursement et une désinstallation des logiciels dont le consommateur n'a pas l'usage est tellement complexe, que cela s'analyse en une vente liée, puisque le consommateur n'a pas vraiment le choix.
- Mais, cette vente liée est acceptable d'un point de vue général, car elle correspond à l'intérêt du consommateur, les logiciels peuvent être désinstallés et remboursés - fût-ce au prix d'une opération laborieuse - et des ordinateurs nus peuvent être achetés dans des endroits spécialisés. Enfin, il est relevé par les Tribunaux qu'aucune solution alternative simple n'existe, notamment en ce qui concerne le système d'exploitation. La complexité, pour le néophyte, que représente l'installation d'un système d'exploitation Linux est telle qu'une vente liée d'ordinateurs et de licence d'exploitation d'un OS pré-installé, comme Windows, correspond aux besoins du grand public. En revanche, d'un point de vue particulier, vous pouvez obtenir le remboursement de ce que vous souhaitez.
C'est à dire que, juridiquement, si le marché informatique est structuré sur une vente liée, cela n'est cependant pas illégal et, en même temps, chaque consommateur est juridiquement en droit d'obtenir le remboursement des logiciels qu'il n'utilisera pas.
La position adoptée par les tribunaux prêtait ainsi le flanc à la critique puisque, d'une part, la vente liée est juridiquement interdite en France alors que, d'un autre côté, chaque consommateur est en droit d'obtenir le remboursement des logiciels qu'il n'utilise pas. Ce n'est pas illégal, mais c'est donc tout comme. L'idée était ici sans doute de permettre au monde de l'informatique de continuer à vendre des produits saucissonnés entre eux sans que ce soit par principe illégal, mais tout en contraignant les vendeurs à rembourser chaque consommateur qui le souhaite les logiciels qu'il n'utilise pas, comme si la vente liée était bien en réalité illégale. Légale d'un point de vue général et global, illégale d'un point de vue particulier, autant dire que le juriste esthète qui sommeille en vous se révolte.
Eh bien, soyez apaisés, car la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 novembre 2010, vient de légitimer cette position acrobatique des Tribunaux en nous fournissant le raisonnement juridique qui nous manquait. Pour réussir ce tour de force intellectuel, la Cour Suprême fait appel à l'Europe.
En effet, la Cour de cassation nous dit qu'il existe une Directive 2005/29/CE du 11mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs, qui s’oppose à ce qu'une réglementation nationale puisse interdire toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, sauf exceptions. Il est donc interdit d'interdire une vente liée, sauf cas exceptionnels.
Or, notre article L. 122-1 du Code de la consommation interdit justement de telles offres conjointes.
Alors, la Cour de cassation décide que cet article doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive, ce qui signifie que la prohibition générale de la vente liée est impossible et que les Tribunaux doivent donc rechercher au cas par cas, si la vente liée dont se plaindrait un acheteur doit être punie ou pas. Mais il n'est plus possible juridiquement de considérer que, par essence, et pas que sans plomb, la vente liée est interdite.
Vous suivez ?
Cela signifie que nos Tribunaux avaient donc raison de dire que la vente d'un ordinateur bourré de logiciels est bien une vente liée, et ils avaient aussi raison de dire que cette vente liée n'est pas répréhensible. Il suffisait d'ajouter l'Europe dans l'équation et pouf, contradiction juridique résolue.
Les Tribunaux pourront donc continuer en toute sérénité juridique à condamner les vendeurs à rembourser aux acheteurs qui en feront la demande les logiciels qu'ils n'utilisent pas, sans pour autant avoir à juger que la vente liée est illégale.
Allez tous avec moi : Vive la Cour de cassation ! Vive l'Europe ! Vive le Président !
Non je déconne.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-51647-ventes__de_liees.html)