Grand_Maître_B
11/03/2009, 12h09
Résumé de l'épisode précédent: l'accusation a littéralement raté la présentation des éléments factuels qui devaient prouver que grâce au site The Pirate Bay, des milliers d’œuvres étaient contrefaites chaque jour. En outre, elle a également largement échoué à prouver l'étendue du préjudice prétendument subi par les ayants droit, mais aussi l'argent amassé par TPB au service du piratage.
Venons-en maintenant au droit. Je dois vous dire que je suis très déçu par les avocats de TPB. Au lieu de plaider la fameuse "défense Chewbacca" ou de sortir des Fishismes du genre "Voilà ce qui arrive quand le système judiciaire est perverti par des principes" ou encore "Si nous gagnons, nous serons des héros qui auront fait un miracle. Si nous perdons, le monstre ira en prison et la justice triomphera. On gagne sur tous les tableaux !" Les avocats de TPB se sont contentés de plaider que "Tout ce que fait The Pirate Bay c'est fournir un service de recherche passif sur lequel des .torrents peuvent être uploadés".
Mais, sous l'anodine apparence de cette malicieuse phrase, se cache un vrai problème de droit, que l'on retrouve aussi bien dans le système juridique suédois, que français, puisque les deux dérivent du droit européen.
Car TPB se présente comme une simple infrastructure qui collecte des fichiers torrents, mais non pas les oeuvres qui sont distribuées par cet intermédiaire, et son avocat pose la question : "Est-il correct d'attaquer l'infrastructure parce qu'elle peut contenir quelque chose d'illégal ?". "C'est comme porter plainte contre le constructeur d'une automobile parce que le conducteur n'a pas son permis". "Faut-il supprimer les routes sous prétexte que des gens roulent trop vite ? Ne devez-vous pas plutôt poursuivre ceux qui roulent trop vite ?".
Nous retrouvons donc l'idée de l'intermédiaire qui ne peut savoir ce que font les internautes par son entremise.
Mes plus fidèles lecteurs devineront que l'enjeu juridique de ce dossier reposerait, s'il était présenté à la justice française, sur l'inénarrable article 6 de la fameuse loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN), qui dispose que "Les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne (...) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites".
En conséquence, elles "ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible".
C'est donc clair : l'hébergeur n'a pas à vérifier les données qu'il abrite et n'assume aucune responsabilité à ce titre, sauf s'il a été averti de leur caractère illicite, auquel cas, il doit les retirer ou en rendre l'accès impossible.
La vraie question de droit qui se pose, à compter que le Tribunal considère prouver le fait que des actes de contrefaçons sont commis par l'intermédiaire de TPB, est donc: TPB est-il un hébergeur ou, plutôt, une personne "dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne" ?
Mais qu'est-ce qu’une personne qui édite un service de communication au public en ligne ? Ce sont les travaux parlementaires qui nous éclairent. Je vous en avais déjà parlé, mais je me permets de vous rafraîchir la mémoire.
C'est ainsi que l'avis 342 de la Commission culturelle du Sénat nous dit que les opérateurs évoluant dans le domaine des services en ligne, sont des prestataires techniques qui se rattachent à l'une ou l'autre de ces deux catégories : le fournisseur d'accès ou l'hébergeur.
- Le fournisseur d’accès est un prestataire technique qui met son serveur, connecté en permanence aux réseaux électroniques, à la disposition de ses abonnés pour leur permettre de circuler dans le réseau Internet, d’accéder aux sites et d’échanger du courrier électronique.
- les sites sont généralement hébergés sur le serveur informatique d’un prestataire technique, appelé fournisseur d’hébergement, qui permet l’accès au site depuis les réseaux ; un hébergeur stocke sur des disques informatiques les données préparées par l’éditeur du site et achemine ces pages vers l’ordinateur de tout utilisateur des réseaux qui en fait la demande par voie électronique.
TPB n'est évidemment pas un fournisseur d'accès au sens de la loi ; il pourrait, en revanche, être un hébergeur si son activité consistait à stocker sur des disques informatiques les données préparées par l'éditeur d'un site et qu'il acheminait ces pages vers l'ordinateur de tout utilisateur des réseaux qui en fait la demande.
Vous voyez que ce n'est pas si simple, car pour que TPB puisse bénéficier du statut d'hébergeur qui seul, l'exonère de la responsabilité d'avoir à vérifier si les torrents publiés sur son site violent un droit d'auteur, il faudrait encore qu'il héberge un site, ce qui n'est pas le cas, et qu'il achemine les pages de ce site vers l'internaute, ce qui n'est toujours pas le cas. Au contraire, TPB est un site internet accessible grâce à un hébergeur.
L'hébergeur de TPB est, lui, protégé par la LCEN ou son équivalent suédois, il n'a pas à vérifier ce que fait le site TPB. En revanche, TPB, lui, n'apparaît pas protégé par la LCEN, si on suit la définition littérale d'un hébergeur.
TPB aurait donc l'obligation juridique de surveiller si les torrents qui sont proposés, par son intermédiaire, au public violent ou pas les droits d'auteurs. A moins que le juge n'interprète la LCEN ou son équivalent suédois comme permettant de considérer l'activité de TPB comme celle d'un hébergeur. Il pourrait être en effet jugé que TPB est un simple espace de stockage et que cela suffit à définir un hébergeur. Après tout, le juge français avait hésité à octroyer le statut d'hébergeur à Ebay (http://www.canardpc.com/news-29369-eBay_vacille__une_pilule_rouge_pour_tout_comprendr e___La_suite_de_la____ah_ben_non__la_fin.html), qui se présentait justement comme un simple espace de stockage d'informations.
Même à considérer que le Tribunal refuse le statut d'hébergeur à TPB, ce dernier ne sera peut être pas pour autant condamné, loin de là. En effet, n'oublions pas que le Tribunal doit d'abord considérer que des oeuvres protégées par les droits d'auteurs sont effectivement contrefaites par l'intermédiaire de TPB.
C'est ce qui a amené d'ailleurs l'avocat de TPB a conclure sur le fait que sa cliente n'est pas un contrefacteur, puisque les oeuvres de l'esprit ne sont pas stockées dans ses disques durs. Il n'est d'ailleurs poursuivi qu'à titre de complicité dans la commission du délit de contrefaçon.
Or, pour qu'il y ait complicité dans la commission d'un délit, il faut d'abord prouver que ce délit existe rappelle l'avocat. "Si vous ne pouvez pas prouver le premier délit, comment pouvez-vous les condamner pour complicité ?".
N'empêche, je trouve qu'un slide avec Chewbacca aurait été plus convaincant.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-34116-le_juge__le_pirate_et_la_pilule_rouge___suite.html )
Venons-en maintenant au droit. Je dois vous dire que je suis très déçu par les avocats de TPB. Au lieu de plaider la fameuse "défense Chewbacca" ou de sortir des Fishismes du genre "Voilà ce qui arrive quand le système judiciaire est perverti par des principes" ou encore "Si nous gagnons, nous serons des héros qui auront fait un miracle. Si nous perdons, le monstre ira en prison et la justice triomphera. On gagne sur tous les tableaux !" Les avocats de TPB se sont contentés de plaider que "Tout ce que fait The Pirate Bay c'est fournir un service de recherche passif sur lequel des .torrents peuvent être uploadés".
Mais, sous l'anodine apparence de cette malicieuse phrase, se cache un vrai problème de droit, que l'on retrouve aussi bien dans le système juridique suédois, que français, puisque les deux dérivent du droit européen.
Car TPB se présente comme une simple infrastructure qui collecte des fichiers torrents, mais non pas les oeuvres qui sont distribuées par cet intermédiaire, et son avocat pose la question : "Est-il correct d'attaquer l'infrastructure parce qu'elle peut contenir quelque chose d'illégal ?". "C'est comme porter plainte contre le constructeur d'une automobile parce que le conducteur n'a pas son permis". "Faut-il supprimer les routes sous prétexte que des gens roulent trop vite ? Ne devez-vous pas plutôt poursuivre ceux qui roulent trop vite ?".
Nous retrouvons donc l'idée de l'intermédiaire qui ne peut savoir ce que font les internautes par son entremise.
Mes plus fidèles lecteurs devineront que l'enjeu juridique de ce dossier reposerait, s'il était présenté à la justice française, sur l'inénarrable article 6 de la fameuse loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN), qui dispose que "Les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne (...) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites".
En conséquence, elles "ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible".
C'est donc clair : l'hébergeur n'a pas à vérifier les données qu'il abrite et n'assume aucune responsabilité à ce titre, sauf s'il a été averti de leur caractère illicite, auquel cas, il doit les retirer ou en rendre l'accès impossible.
La vraie question de droit qui se pose, à compter que le Tribunal considère prouver le fait que des actes de contrefaçons sont commis par l'intermédiaire de TPB, est donc: TPB est-il un hébergeur ou, plutôt, une personne "dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne" ?
Mais qu'est-ce qu’une personne qui édite un service de communication au public en ligne ? Ce sont les travaux parlementaires qui nous éclairent. Je vous en avais déjà parlé, mais je me permets de vous rafraîchir la mémoire.
C'est ainsi que l'avis 342 de la Commission culturelle du Sénat nous dit que les opérateurs évoluant dans le domaine des services en ligne, sont des prestataires techniques qui se rattachent à l'une ou l'autre de ces deux catégories : le fournisseur d'accès ou l'hébergeur.
- Le fournisseur d’accès est un prestataire technique qui met son serveur, connecté en permanence aux réseaux électroniques, à la disposition de ses abonnés pour leur permettre de circuler dans le réseau Internet, d’accéder aux sites et d’échanger du courrier électronique.
- les sites sont généralement hébergés sur le serveur informatique d’un prestataire technique, appelé fournisseur d’hébergement, qui permet l’accès au site depuis les réseaux ; un hébergeur stocke sur des disques informatiques les données préparées par l’éditeur du site et achemine ces pages vers l’ordinateur de tout utilisateur des réseaux qui en fait la demande par voie électronique.
TPB n'est évidemment pas un fournisseur d'accès au sens de la loi ; il pourrait, en revanche, être un hébergeur si son activité consistait à stocker sur des disques informatiques les données préparées par l'éditeur d'un site et qu'il acheminait ces pages vers l'ordinateur de tout utilisateur des réseaux qui en fait la demande.
Vous voyez que ce n'est pas si simple, car pour que TPB puisse bénéficier du statut d'hébergeur qui seul, l'exonère de la responsabilité d'avoir à vérifier si les torrents publiés sur son site violent un droit d'auteur, il faudrait encore qu'il héberge un site, ce qui n'est pas le cas, et qu'il achemine les pages de ce site vers l'internaute, ce qui n'est toujours pas le cas. Au contraire, TPB est un site internet accessible grâce à un hébergeur.
L'hébergeur de TPB est, lui, protégé par la LCEN ou son équivalent suédois, il n'a pas à vérifier ce que fait le site TPB. En revanche, TPB, lui, n'apparaît pas protégé par la LCEN, si on suit la définition littérale d'un hébergeur.
TPB aurait donc l'obligation juridique de surveiller si les torrents qui sont proposés, par son intermédiaire, au public violent ou pas les droits d'auteurs. A moins que le juge n'interprète la LCEN ou son équivalent suédois comme permettant de considérer l'activité de TPB comme celle d'un hébergeur. Il pourrait être en effet jugé que TPB est un simple espace de stockage et que cela suffit à définir un hébergeur. Après tout, le juge français avait hésité à octroyer le statut d'hébergeur à Ebay (http://www.canardpc.com/news-29369-eBay_vacille__une_pilule_rouge_pour_tout_comprendr e___La_suite_de_la____ah_ben_non__la_fin.html), qui se présentait justement comme un simple espace de stockage d'informations.
Même à considérer que le Tribunal refuse le statut d'hébergeur à TPB, ce dernier ne sera peut être pas pour autant condamné, loin de là. En effet, n'oublions pas que le Tribunal doit d'abord considérer que des oeuvres protégées par les droits d'auteurs sont effectivement contrefaites par l'intermédiaire de TPB.
C'est ce qui a amené d'ailleurs l'avocat de TPB a conclure sur le fait que sa cliente n'est pas un contrefacteur, puisque les oeuvres de l'esprit ne sont pas stockées dans ses disques durs. Il n'est d'ailleurs poursuivi qu'à titre de complicité dans la commission du délit de contrefaçon.
Or, pour qu'il y ait complicité dans la commission d'un délit, il faut d'abord prouver que ce délit existe rappelle l'avocat. "Si vous ne pouvez pas prouver le premier délit, comment pouvez-vous les condamner pour complicité ?".
N'empêche, je trouve qu'un slide avec Chewbacca aurait été plus convaincant.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-34116-le_juge__le_pirate_et_la_pilule_rouge___suite.html )