Grand_Maître_B
27/09/2008, 10h39
J'ai récemment vu le troisième épisode de Fringe, la dernière série de J.J.Abrahams et bof, bof, je n'accroche pas trop. Hormis pour le personnage de Walter, le scientifique fou dénué de toute morale. C'est que, voyez-vous, depuis ma découverte à l'âge de 7 ans de Doctor Doom et à l'âge de 12 de Frank 'n' Furter, j'ai toujours rêvé d'être moi aussi un savant fou. Et dans ce dernier épisode, voir Walter triturer la cervelle d'un pauvre innocent pour arriver à ses fins m'a donné une idée. Alors, que les âmes sensibles cessent leur lecture, que les cardiaques détournent sagement leurs yeux et que les jeunes filles se préparent à l'évanouissement, je vous convie, vous, les pervers juridiques, à une ignoble expérience qui va consister à extraire votre cortex cérébral pour le brancher directement sur les tripes du jugement eBay vs les filiales du luxe; oui, métaphoriquement parlant, bien sûr. Mwahahahaha.
Hum, bon, reprenons.
Les filiales du luxe reprochent à eBay d'avoir violé leur réseau de distribution sélective et également d'avoir vendu des produits de contrefaçon.
eBay a d'abord tenté de se défendre procéduralement, et nous avons vu dans la précédente news que ça n'avait pas marché. Mais la coquine a du répondant et nous assistons à un combat digne du plus violent manga. Attendez, je vous arrache les globes oculaires, oui, pardon, ça fait un peu mal, voilà, voilà, je les relie au coeur du jugement, et maintenant, vous pouvez visualiser le match Sun Tzu vs la Justice. Les persos cachés de Soul Calibur n'ont pas la même classe, je vous assure. Le combat paraît déséquilibré, car si la justice a une grosse épée, elle a les yeux bandés. Surtout que Sun Tzu est un maître de la manoeuvre de terrain. Et eBay d'ailleurs tente une excellente manoeuvre de contournement en réponse aux attaques des filiales de LVMH. Oui, comme dans un RTS.
- Concernant la contrefaçon: eBay tente d'épuiser son adversaire en jouant la montre et en l'attirant sur un terrain neutre: elle demande ainsi qu'un expert judiciaire soit nommé pour décrire les actions, moyens, outils et procédures mis en oeuvre dans le cadre du programme BTAC et du programme Vero qu'eBay a mis en place pour lutter contre la contrefaçon Concrètement, elle veut ainsi prouver qu'elle agit au mieux pour éviter la contrefaçon, ce qui devrait lui permettre de s'exonérer de toute responsabilité sur ce terrain. L'astuce est que, lorsque vous demandez un expert judiciaire (c'est à dire choisi parmi une liste d'experts inscrits sur une liste agrée en raison de leur grande compétence et impartialité) et que la justice l'accepte, vous gagnez au moins une année (et, selon l'importance des constats techniques à faire, plusieurs années), le temps que l'expert fasse son travail.
Oui, mais voilà, la justice est peut être aveugle, mais pas idiote. Elle perçoit la manoeuvre de son adversaire et y répond comme suit: "Mais attendu que cette expertise aurait pour mission d’informer le tribunal sur la situation actuelle alors que celui-ci doit statuer sur des agissements fautifs de eBay et sur les mesures à prendre, Attendu que cette demande d’expertise sera écartée par le Tribunal". Oui, c'est sec. En gros, cela signifie que la mesure d'expertise ne pourrait être faite qu'au jour où l'expert travaillerait. Or, le préjudice allégué par les sociétés du luxe est évidemment antérieur, elle résulte d'actes passés. C'est dire que, même si aujourd'hui, eBay agit comme il le faut pour éviter la contrefaçon, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas commis avant aujourd'hui des actes de contrefaçon, et ça l'expert ne peut pas remonter dans le temps pour le savoir. Cela ne servirait donc à rien de nomme un expert. Si vous attaquez un voleur qui vous a dérobé hier votre portefeuille et que son moyen de défense consiste à dire, "regardez, aujourd'hui je ne vole rien, donc, laissez-moi tranquille", vous trouveriez cela gonflé, je pense. eBay a tenté en gros la même chose et c'est raté.
- Concernant la violation du réseau de distribution sélective: eBay tente également de jouer la montre sur ce point. Elle indique que "les quatre sociétés demanderesses appartiennent au groupe LVMH qui détiendrait par l’ensemble de ses sociétés dans ce domaine plus de 30% des parts de marché du parfum de luxe, qu’ainsi les sociétés demanderesses ne bénéficieraient pas de l’exemption du règlement CE du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81 §3 du traité CE à certaines catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées".
C'est mesquin comme argumentation, n'est-il pas ? Bon, du calme, du calme, je vais vous jurigeeker tout ça: L'Europe prend très au sérieux la libre concurrence, et interdit de ce fait les ententes entre entreprises, qui sont par essence anticoncurrentielles (c'est le fameux article 81 du Traité CE). Le but est de protéger les consommateurs contre les grosses entreprises qui pourraient s'entendre sur leurs dos. Évidemment, il y a des exceptions à cette interdiction, par exemple lorsqu’il peut être démontré que les ententes entre entreprises apportent une amélioration à la qualité des produits et services offerts au consommateur ou bien lorsqu'une entreprise veut mettre en place un réseau de distribution sélective, qui est par hypothèse une entente entre sociétés, mais que l'Europe accepte (c'est le fameux Règlement CE du 22 décembre 1999).
Oui, mais, si ledit Règlement accepte les réseaux de distribution sélective, c'est à la condition que le vendeur possède moins de 30 % des marchés de produits concernés, car sinon, l'Europe considère que le vendeur est trop important sur le marché, et que le réseau de distribution qu'il va mettre en place est anticoncurrentiel et nuira aux consommateurs. Or, eBay soutient que les 4 filiales dépendent de la même mère, la société LVMH et que, par conséquent, cette dernière détiendrait plus de 30% des parts de marché des produits de luxe et du coup, c'est tout le réseau de distribution sélective qu'elles ont mis en place qui serait illégal, ce qui exonèrerait eBay de toute responsabilité. On ne peut pas lui reprocher de violer un réseau qui ne devrait pas exister.
Et pourquoi disais-je qu'eBay a tenté de jouer la montre ? Et bien, pour prouver que les 4 demanderesses cumulent 30 % au moins de part de marché, elle demande que le conseil de la concurrence soit saisi pour que cet organe étudie la question et donne son avis (c'est un organisme français qui est compétent pour se prononcer sur toute question liée à la concurrence). Si le juge avait accepté cette demande, on était parti à nouveau pour une bonne année de délai, voire plus.
Mais la justice, finaude, connaît la manoeuvre. Elle répond à cette demande comme suit: "que le tribunal dira eBay mal fondée en ses prétentions à ce titre, car elle ne démontre pas la véracité des éléments chiffrés quelle invoque." Oui, c'est toujours aussi sec. Cela signifie en gros que eBay a l'obligation de prouver, ou au moins d'amener quelques éléments qui tendraient à prouver que son argumentation est fondée. Pour donner envie au juge de saisir le Conseil de la concurrence, il aurait fallu que eBay apporte quelques éléments qui auraient tendu à prouver que les 4 sociétés demanderesses totalisaient 30 %. Or, eBay s'est contenté de le dire, et ça ne suffit pas.
eBay est donc maintenant épuisée. Elle a tout tenté pour agresser son adversaire, mais rien n'y a fait.
Et le Tribunal de constater que sur les 2 points reprochés à eBay, cette dernière est bien fautive, c'est-à-dire que eBay a bien laissé se commettre des actes de contrefaçon et a bien laissé des objets de luxe se vendre en dehors du réseau de distribution sélective des demanderesses. Le juge indique, sur les 2 points, "Attendu que si des mesures récentes ont été prises par eBay, elles témoignent de sa négligence passée, en l’espèce au cours des années 2001-2006, et donc de la conscience de sa responsabilité pleine et entière. Attendu que eBay a bien commis de graves fautes d’abstention, de négligence et même de parasitisme [...]"
Alors, eBay tente une ultime manoeuvre défensive. Elle sort de l'arsenal législatif un bouclier infranchissable, en invoquant le statut d'hébergeur.
Et alors, juste à ce moment-là, vous n'allez pas le croire, c'est dingue, elle....ah zut, les plombs de ma machine diabolique viennent de sauter. Le temps de la réparer, et nous finirons cette étude poussée du jugement eBay vs les filiales du luxe! Oh my gosh! Quel cliffhanger !
Stay tuned, true believers.
Voir la news (1 image, 0 vidéo ) (http://www.canardpc.com/news-29289-ebay_vacille___une_pilule_rouge_pour_tout_comprend re___la_suite_de_la_suite.html)
Hum, bon, reprenons.
Les filiales du luxe reprochent à eBay d'avoir violé leur réseau de distribution sélective et également d'avoir vendu des produits de contrefaçon.
eBay a d'abord tenté de se défendre procéduralement, et nous avons vu dans la précédente news que ça n'avait pas marché. Mais la coquine a du répondant et nous assistons à un combat digne du plus violent manga. Attendez, je vous arrache les globes oculaires, oui, pardon, ça fait un peu mal, voilà, voilà, je les relie au coeur du jugement, et maintenant, vous pouvez visualiser le match Sun Tzu vs la Justice. Les persos cachés de Soul Calibur n'ont pas la même classe, je vous assure. Le combat paraît déséquilibré, car si la justice a une grosse épée, elle a les yeux bandés. Surtout que Sun Tzu est un maître de la manoeuvre de terrain. Et eBay d'ailleurs tente une excellente manoeuvre de contournement en réponse aux attaques des filiales de LVMH. Oui, comme dans un RTS.
- Concernant la contrefaçon: eBay tente d'épuiser son adversaire en jouant la montre et en l'attirant sur un terrain neutre: elle demande ainsi qu'un expert judiciaire soit nommé pour décrire les actions, moyens, outils et procédures mis en oeuvre dans le cadre du programme BTAC et du programme Vero qu'eBay a mis en place pour lutter contre la contrefaçon Concrètement, elle veut ainsi prouver qu'elle agit au mieux pour éviter la contrefaçon, ce qui devrait lui permettre de s'exonérer de toute responsabilité sur ce terrain. L'astuce est que, lorsque vous demandez un expert judiciaire (c'est à dire choisi parmi une liste d'experts inscrits sur une liste agrée en raison de leur grande compétence et impartialité) et que la justice l'accepte, vous gagnez au moins une année (et, selon l'importance des constats techniques à faire, plusieurs années), le temps que l'expert fasse son travail.
Oui, mais voilà, la justice est peut être aveugle, mais pas idiote. Elle perçoit la manoeuvre de son adversaire et y répond comme suit: "Mais attendu que cette expertise aurait pour mission d’informer le tribunal sur la situation actuelle alors que celui-ci doit statuer sur des agissements fautifs de eBay et sur les mesures à prendre, Attendu que cette demande d’expertise sera écartée par le Tribunal". Oui, c'est sec. En gros, cela signifie que la mesure d'expertise ne pourrait être faite qu'au jour où l'expert travaillerait. Or, le préjudice allégué par les sociétés du luxe est évidemment antérieur, elle résulte d'actes passés. C'est dire que, même si aujourd'hui, eBay agit comme il le faut pour éviter la contrefaçon, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas commis avant aujourd'hui des actes de contrefaçon, et ça l'expert ne peut pas remonter dans le temps pour le savoir. Cela ne servirait donc à rien de nomme un expert. Si vous attaquez un voleur qui vous a dérobé hier votre portefeuille et que son moyen de défense consiste à dire, "regardez, aujourd'hui je ne vole rien, donc, laissez-moi tranquille", vous trouveriez cela gonflé, je pense. eBay a tenté en gros la même chose et c'est raté.
- Concernant la violation du réseau de distribution sélective: eBay tente également de jouer la montre sur ce point. Elle indique que "les quatre sociétés demanderesses appartiennent au groupe LVMH qui détiendrait par l’ensemble de ses sociétés dans ce domaine plus de 30% des parts de marché du parfum de luxe, qu’ainsi les sociétés demanderesses ne bénéficieraient pas de l’exemption du règlement CE du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81 §3 du traité CE à certaines catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées".
C'est mesquin comme argumentation, n'est-il pas ? Bon, du calme, du calme, je vais vous jurigeeker tout ça: L'Europe prend très au sérieux la libre concurrence, et interdit de ce fait les ententes entre entreprises, qui sont par essence anticoncurrentielles (c'est le fameux article 81 du Traité CE). Le but est de protéger les consommateurs contre les grosses entreprises qui pourraient s'entendre sur leurs dos. Évidemment, il y a des exceptions à cette interdiction, par exemple lorsqu’il peut être démontré que les ententes entre entreprises apportent une amélioration à la qualité des produits et services offerts au consommateur ou bien lorsqu'une entreprise veut mettre en place un réseau de distribution sélective, qui est par hypothèse une entente entre sociétés, mais que l'Europe accepte (c'est le fameux Règlement CE du 22 décembre 1999).
Oui, mais, si ledit Règlement accepte les réseaux de distribution sélective, c'est à la condition que le vendeur possède moins de 30 % des marchés de produits concernés, car sinon, l'Europe considère que le vendeur est trop important sur le marché, et que le réseau de distribution qu'il va mettre en place est anticoncurrentiel et nuira aux consommateurs. Or, eBay soutient que les 4 filiales dépendent de la même mère, la société LVMH et que, par conséquent, cette dernière détiendrait plus de 30% des parts de marché des produits de luxe et du coup, c'est tout le réseau de distribution sélective qu'elles ont mis en place qui serait illégal, ce qui exonèrerait eBay de toute responsabilité. On ne peut pas lui reprocher de violer un réseau qui ne devrait pas exister.
Et pourquoi disais-je qu'eBay a tenté de jouer la montre ? Et bien, pour prouver que les 4 demanderesses cumulent 30 % au moins de part de marché, elle demande que le conseil de la concurrence soit saisi pour que cet organe étudie la question et donne son avis (c'est un organisme français qui est compétent pour se prononcer sur toute question liée à la concurrence). Si le juge avait accepté cette demande, on était parti à nouveau pour une bonne année de délai, voire plus.
Mais la justice, finaude, connaît la manoeuvre. Elle répond à cette demande comme suit: "que le tribunal dira eBay mal fondée en ses prétentions à ce titre, car elle ne démontre pas la véracité des éléments chiffrés quelle invoque." Oui, c'est toujours aussi sec. Cela signifie en gros que eBay a l'obligation de prouver, ou au moins d'amener quelques éléments qui tendraient à prouver que son argumentation est fondée. Pour donner envie au juge de saisir le Conseil de la concurrence, il aurait fallu que eBay apporte quelques éléments qui auraient tendu à prouver que les 4 sociétés demanderesses totalisaient 30 %. Or, eBay s'est contenté de le dire, et ça ne suffit pas.
eBay est donc maintenant épuisée. Elle a tout tenté pour agresser son adversaire, mais rien n'y a fait.
Et le Tribunal de constater que sur les 2 points reprochés à eBay, cette dernière est bien fautive, c'est-à-dire que eBay a bien laissé se commettre des actes de contrefaçon et a bien laissé des objets de luxe se vendre en dehors du réseau de distribution sélective des demanderesses. Le juge indique, sur les 2 points, "Attendu que si des mesures récentes ont été prises par eBay, elles témoignent de sa négligence passée, en l’espèce au cours des années 2001-2006, et donc de la conscience de sa responsabilité pleine et entière. Attendu que eBay a bien commis de graves fautes d’abstention, de négligence et même de parasitisme [...]"
Alors, eBay tente une ultime manoeuvre défensive. Elle sort de l'arsenal législatif un bouclier infranchissable, en invoquant le statut d'hébergeur.
Et alors, juste à ce moment-là, vous n'allez pas le croire, c'est dingue, elle....ah zut, les plombs de ma machine diabolique viennent de sauter. Le temps de la réparer, et nous finirons cette étude poussée du jugement eBay vs les filiales du luxe! Oh my gosh! Quel cliffhanger !
Stay tuned, true believers.
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