En soirée, être avocat est parfois délicat car les convives attendent le bon mot et ce n'est pas toujours facile. Tenez, par exemple, hier, à une réception éblouissante où le tout Paris bruissait de fantaisie et d'éloquence, un certain Monsieur Leroi, phlébologue, prénommé François et surnommé Ier car c'est l'arrondissement dans lequel il travaille, a lancé à la cantonade "souvent femme a des varices, bien fol celui qui s'en fiche." Bon d'accord, ce n'est pas du Hugo, mais que voulez-vous, ce trait d'esprit le faisait rire et il faut bien que, de temps en temps, Leroi s'amuse.
Pour ne pas me trouver en reste, il m'a paru spirituel de répliquer par un "tiens, c'est marrant, moi dans ma branche, on a une citation similaire: ça dit souvent justice varie, bien fol celui qui s'y plie".
Devant l'incompréhension des convives, je suis retourné comme un Prince au buffet en priant Jésus, Joseph et Marie-George que l'on ne m'y reprenne plus. Pourtant, je sais que j'ai raison et que la justice varie régulièrement.
Google expérimente d'ailleurs cette vérité. Vous vous souvenez que, récemment, la Cour d'Appel de PARIS avait réformé une ordonnance rendue en référé par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, autorisant Google a à laisser apparaître les termes "Direct énergie arnaque", à la condition que les internautes soient informés par un avertissement clair et lisible précisant comment est établie la liste des suggestions.
Et bien nous venons d'apprendre, par sa publication, que le 4 décembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a rendu un jugement, cette fois au fond comme on dit (c'est à dire que ce n'est plus du référé), condamnant Google, pour injure, à verser au Centre national privé de formation à distance (CNFDI) 1 € de dommage et intérêt et 7000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile (c'est à dire pour couvrir les frais exposés par le CNFDI pour les besoins de la procédure).
La raison en est que le CNFDI avait fait constater, par huissier, que “Google Suggest” avait, dans son cas, pour effet :
- dès que les lettres “CNFD” étaient saisies par l’internaute sur le moteur de recherche Google.fr, de faire apparaître, respectivement, en première et deuxième positions, les propositions “cnfdi (59 800 résultats)” puis “cnfdi arnaque (312 résultats)”
- lorsque l’internaute saisit le sigle complet “CNFDI”, de faire apparaître en première position la suggestion “cnfdi arnaque (312 résultats).
Le Tribunal de Grande Instance de PARIS, après avoir rappelé que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme “toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne referme l’imputation d’aucun fait”, et que le terme “arnaque” renvoie, dans un registre familier et sur un mode générique, à l’idée de vol, d’escroquerie, de tromperie ou de tricherie, et qu'il ne renvoie pas à un fait précis susceptible de débat mais il outrage, et constitue, sous la forme de slogan une invective, a considéré que :
- les algorithmes qui constituent la fonction Suggest ou les solutions logicielles procèdent de - - l’esprit humain avant que d’être mis en oeuvre.
- les défendeurs ne produisent aucune pièce -autre que l’attestation de leur préposé David K.- établissant que l’ordre de présentation des suggestions faites aux internautes procéderait effectivement, comme ils le soutiennent, des chiffres bruts des requêtes antérieurement saisies sur le même thème, sans intervention humaine,
- en tout état de cause, l’extrait du site internet qu’ils versent aux débats indique que tous les libellés de recherches lancées par les internautes ne sont pas pris en compte dans le souci, notamment, d’éviter les suggestions “qui pourraient offenser un grand nombre d’utilisateurs” tels que “les termes grossiers”, ce qui suppose nécessairement qu’un tri préalable soit fait entre les requêtes enregistrées dans la base de données,
- de même, le site google.fr invite les internautes à signaler “des requêtes qui ne devraient pas être suggérées “, de sorte que le tribunal est fondé à comprendre qu’une intervention humaine est possible, propre à supprimer des suggestions litigieuses,
- dans le cas d’espèce, le CNFDI a adressé trois mises en demeure à la société Google pour appeler son attention sur la suggestion litigieuse qui ont, toutes trois, reçu une réponse en forme de fin de non-recevoir, ce qui atteste que les responsables du moteur de recherche Google n’ignoraient plus, à compter de la première mise en demeure du 17 février 2009, la situation dénoncée par la société CNFDI.
Le Tribunal ajoute:
C’est vainement, au regard du mécanisme même de la fonctionnalité mise en place, que les défendeurs soutiennent que les suggestions proposées par le moteur de recherche n’exprimeraient pas une opinion visant la société CNFDI, alors que, par son libellé même, l’item de recherche litigieux est incontestablement de nature à orienter la curiosité des internautes ou à appeler leur attention sur un tel thème, et, ce faisant, de nature à provoquer un “effet boule de neige” d’autant plus préjudiciable à qui en fait l’objet que le libellé le plus accrocheur se retrouvera ainsi plus rapidement en tête de liste des suggestions de recherches.
Les défendeurs sont d’autant moins fondés à se prévaloir de leur impuissance à empêcher l’affichage de l’expression considérée par le système qu’ils ont conçu et mis en place que la société CNFDI avait précisément, et par trois fois, appelé leur attention sur le fait et que la société Google invite, par ailleurs, les internautes à leur signaler les suggestions indésirables.
Enfin, les défendeurs ne sauraient se prévaloir de la liberté d’expression et de diffusion de l’information sur internet au motif que Google Suggest constitue une aide à la recherche précieuse, alors que le service offert a pour seule utilité d’éviter aux internautes d’avoir à saisir sur leur ordinateur l’entier libellé de leur requête et que la suppression du seul thème “cnfdi arnaque” ne priverait aucun d’entre eux de la faculté de disposer, mais à leur seule initiative et sans y être incité par quiconque, de toutes les références indexées par le moteur de recherches correspondant à l’association de ces deux mots.
Google a donc été condamné aux montants que j'exposais ci-dessus ainsi qu'à prendre toute mesure pour supprimer de la liste des suggestions apparaissant sur le service Google Suggest, à la saisie par les internautes des lettres “CNFD” ou du sigle “CNFDI” sur le moteur de recherche, la proposition “cnfdi arnaque”, et ce dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision, sous une astreinte de 1500 € par jour de retard.
Il apparaît évident que Google va faire appel de cette décision, mais comme vous le voyez, ce n'est pas toujours facile de savoir si un comportement donné sera ou pas sanctionné par la justice.
PS: Pour ceux qui souhaiteraient plus d'explications sur les référés, le fond, et pourquoi il est normal que la justice varie, n'hésitez pas à poser vos questions dans le forum.
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