Bon, je vous le dis, il est impossible de penser à la fois en termes d'Internet et de Droit. Non vraiment, ça rend fou, n'essayez pas ça ne sert à rien. Moi, ça fait des années que je m'efforce de concilier ces deux univers et ça m'a rendu schizo, alors j'arrête. J'arrête parce que quand le psycho pète, le schizo freine.
Non, c'est que, voyez-vous, j'ai eu une crise récemment. C'est à cause des Anonymous. Voilà un groupe de hackers qui peut agir sans aucune frontière, qui peut tout aussi bien paralyser Sony que frapper les pages web officielles du régime syrien ou attaquer l'Hadopi. C'est d'ailleurs l'un de leurs derniers coups d'éclat, que de s'être introduit dans la base de données de cette haute institution, pour y récupérer et diffuser des échanges de mails en interne dévoilant un cafouillage ridicule sur la circulation d'un rapport concernant les méthodes de filtrage des réseaux P2P.
Une partie de moi ne peut pas s'empêcher d'être impressionné par la capacité de ces hackers à frapper des institutions, des pays mêmes, et de créer un chaos parfois bien mérité au sein de régimes politiques qui n'ont pas encore bien compris que la démocratie, ça passe par le peuple et pas au travers du peuple. Et puis ils ont pour symbole le masque de Guy Fawkes, c'est de bon goût.
Comprenez-moi, je ne suis pas dupe, ces gens ont peut-être à leur tête des mafieux qui blanchissent de l'argent ou qui participent à des fraudes gigantesques à la carte bleue, quand ils amassent des numéros par milliers à la suite de l'une de leurs effractions. Ils véhiculent certainement des idées nauséabondes ou puériles, mélanges d'anarchie utopiste et de revanche nihiliste, le tout assaisonné de rage against the system adolescente.
Et puis ils ont empêché à des millions de petites filles innocentes l'accès online à Mon petit poney sur leur PS3 pendant des semaines, et ça, c'est moche. Non, je dis juste que cette impression d'assister à une cyber-guerre à coups d'ordinateurs et cette capacité de nuisance globale qui fait trembler les puissants ne me laissent pas insensible. Ceux qui, comme moi, ont été bercés tout petits par la série tv Whiz Kids, ou les films Wargame ou encore Electric Dreams, rêvaient depuis les années 80 l'avènement d'une société dominée par les ordinateurs et de voir les journaux faire leur une avec un groupe comme les Anons.
Alors je dis bravo les Anonymous.
Mais c'est là que ma fibre de juriste se fait entendre et j'ai envie de crier honte à vous. J'ai envie de crier non mais oh ? C'est illégal de pénétrer une base de données. C'est sévèrement réprimé par le Code pénal. Ainsi, l'article 323-1 dispose que "Le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende". Et, "lorsqu'il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende". Le 323-2 ajoute que "Le fait d'entraver ou de fausser le fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende", tandis que le 323-3 précise que "le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende"
.
Et comme les Anons agissent en groupe, le 323-4 les concerne, puisqu'il précise que "la participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs des infractions prévues par les articles 323-1 à 323-3-1 est punie des peines prévues pour l'infraction elle-même ou pour l'infraction la plus sévèrement réprimée".
Enfin, chacun des membres des Anons risque, en plus de la taule et de l'amende, les peines complémentaires suivantes, selon l'article 323-5:
"1° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités de l'article 131-26 ; 2° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ; 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution ; 4° La fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ; 5° L'exclusion, pour une durée de cinq ans au plus, des marchés publics ; 6° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ; 7° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35."
Et ça, c'est juste le fait de pirater une base de données. Si les Anons diffusent des infos relevant de la vie privée de quelqu'un, suite à leur piratage, ils tombent sous le coup de l'article 9 du Code civil qui dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée et aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qui punissent ce genre de plaisanterie avec un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende .
Si, à la suite de leur piratage, ils récupèrent des numéros de carte bleue qu'ils utilisent, les articles 313-1 et 313-2 du Code pénal prévoient, lorsque cette escroquerie est commise en bande organisée, dix ans d'emprisonnement et 1.000.000 euros d'amende.
S'ils font du blanchiment d'argent, on tombe sur les articles 324-1 à 324-6 du Code pénal (en gros de dix ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende.).
S'ils piratent un site d'un État, cela peut s'assimiler à du sabotage et ils risquent quinze ans de détention criminelle et 225.000 euros d'amende (411-9 du Code pénal).
Imaginons qu'ils vendent les infos récupérées dans une base de données de l'État français à un autre pays, alors là, c'est d'intelligence avec l'ennemi qu'il est question et ça va chercher dans les trente ans de détention criminelle et 450.000 euros d'amende (411-4 du Code pénal).
Je ne fais qu’effleurer la surface des délits que les Anonymous commettent très certainement, ou sont en position de commettre.
Alors, comment aimer un groupe qui fait le grand chelem du Code pénal ? Comment porter aux nues des délinquants qui peuvent commettre plusieurs dizaines d'infractions graves dans tous les pays du monde et tout ça sans bouger les oreilles ?
Mais comment ne pas les aimer ? Comment ne pas frissonner face à ce sentiment de se retrouver dans un film d'action hollywoodien avec une organisation d'anonymes masqués capables de créer le chaos grâce à l'utilisation d'ordinateurs ?
C'est impossible je vous dis, on ne peut pas concilier Internet et Droit.
Alors moi, tiraillé entre deux émotions opposées, je ne puis que lancer un grand cri binaire :
Les Anonymous je (ne) vous aime (pas) et je vous préviens, (ne) venez (jamais) me demander de faire partie de votre groupe. Je (ne) répondrai (pas) présent.
Quoi, vous ne me croyez pas ? Je vous jure que c'est vrai et que je n’exagère pas, je (ne) ferai (pas) ce que je dis. Ce n'est pas parce que le schizo frêne, que je vous prends pour des glands.
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