Dernier d'une fratrie de trois, que des gars, j'arrive après la bataille de la réflexion sur l'éducation, de l'omniprésence parental. Mon père avait rapidement prévenu ma mère "je m'occuperai d'eux à leur adolescence", son boulot lui prend tout son temps, toute son énergie, d'ailleurs, peu de temps après ma naissance, il devient chef d'entreprise et devient le fournisseur officiel français d'une boite de systèmes électriques et hydraulique américaine. Il est plutôt fier de son parcours, à raison, devenu ingénieur et souhaitant le même chemin pour chacun de ses fils.
J'ai des facilités à l'école primaire, ma mère me suit pas mal. Au collège, c'est le saut dans le grand bain, on me dit qu'il est temps que je me prenne en main. Ce que je tente de faire tant bien que mal en 6ème. En 5ème, c'est le début des problèmes, je tombe sur quelques profs qui n'ont plus le coeur au métier et qui s'énervent facilement sur les enfants qu'ils ont en face d'eux, j'ai été affecté par cette violence d'un manque de pédagogie sidérant. La 4ème est pire, je la redouble. A cette même période, mes parents me laissent vagabonder seul d'abord à Marseille, puis en Belgique après des rencontres sur le net, les années 98 / 2000 ont ramené un ordinateur à la maison et une connexion internet, j'en profite pour faire des rencontres virtuelles de filles auxquelles je m'attache, j'en parle à ma mère qui ne comprend pas trop et me laisse concrétiser ces relations et les transformer en quelques choses de réel. Les expériences sont riches, quelques peu douloureuses. C'est sur un forum de musique que je rencontre la fille, ma première vraie relation, avec qui j'ai partagé 15ans de ma vie. En rentrant au lycée, mon père me fait comprendre qu'il veut que je file vers la filière S, ne sachant pas trop quoi en penser et aimant bien les maths, je ne m'y oppose pas. C'est une catastrophe, mon année de première S est une purge, une torture, notamment à cause d'une prof de math qui martyrise la classe, la moyenne générale sera de 5/20 à la fin de l'année, la mienne, en dessous. Heureusement, à cette période, je vis mon premier amour. Mon prof principal avec l'aval de mon père ne m'offre qu'un seul choix, redoubler en 1ère STT (science technologique et tertiaire) "une voix poubelle" disent-ils.
En STT, je me balade, j'obtiens enfin des bonnes notes que je n'ai plus obtenues depuis fort longtemps. De plus, les cours ont un lien, bien qu'étroit, avec l'informatique, domaine qui me tient à cœur. Mais je restais perdu, je ne savais pas quoi faire comme étude, j’avais cette conviction au fond de moi-même que je ne serais pas heureux si je bossais dans l’informatique (j’ai encore cette conviction aujourd’hui). Ma copine de l'époque m’a demandé « Qu’est-ce que tu aimes ? »… Qu’est-ce que j’aime ? les jeux vidéo… ça reviendrait à bosser dans l’informatique… les relations sociales… j’ai réalisé que durant toute mon enfance, j’avais pris plaisir à me lier d’amitié avec des ados en souffrance, persuadé que je ne l’étais pas, j’ai pris un grand plaisir durant des années à écouter, discuter avec d’autres ados en ayant cette sensation que j’avais cette capacité à les aider. Ai-je cette qualité ? C’est comme ça que je me suis intéressé à la sociologie, à l’ethnologie, je ne savais pas dans quoi je m’embarquais, je savais juste que j’aimais ça.
Et pour la première fois depuis environ huit ans, depuis la cinquième où j’ai commencé à souffrir de cette scolarité, je me suis senti bon, pour la première fois depuis huit ans, j’ai pris plaisir à travailler, pour la première fois depuis huit ans, j’ai commencé à reprendre confiance en moi, en mon intelligence, en ma capacité à travailler, en mon courage. J’ai aimé ces trois ans d’études à Nanterre comme jamais, tout autant parce que ça me plaisait, pour ce que ça m’a apporté mais surtout, surtout, parce que ça m’a permis de reprendre confiance en moi, ça m’a permis de me dire « je suis capable, c’est possible ».
Je voulais après cette licence de sociologie à Nanterre faire un master de sociologie de la famille, mon passé me hantait, je voulais comprendre la manière dont se construisent les individus au sein de l’entité familiale à travers les âges et les cultures, le rapport entre enfants et parents, l’évolution des hommes… Malheureusement, à cette époque, il n’existait pas encore de master sociologie de la famille en France, quelques cours étaient enseignés à Bordeaux et Lyon mais dans des cursus qui ne m’intéressaient pas. J’ai pris alors la décision d’aller à Poitiers dans un master qui a attiré ma curiosité sur les migrations internationales. Ma copine me suit. Comme dans n’importe quel master, il est demandé aux étudiants de réaliser un mémoire. Mon thème était tout choisi « la migration de l’enfant à l’adulte, la double absence », je voulais travailler sur cette idée d’Abdelmalek Sayad, celle qui tente d’expliquer cette double identité qui se crée chez le migrant, il est tout autant enfant de sa terre que fruit du pays qui l’accueille. Et il n’a ni l’identité de son pays, ni celle du pays dans lequel il vit. Je voulais aborder ce cheminement dans le développement de l’adolescence à l’adulte, celle de cette construction à partir de l’arbre des parents à cette constitution en opposition afin de devenir homme, adulte, indépendant.
Le destin en a décidé autrement, il n’a pas voulu que je travaille sur ma propre identité de manière théorique, un des profs qui me suivait s’étant moqué violemment de l’exposé de mes idées, la peur de ne pas être à la hauteur me revenait en pleine face. Il fallait que j’aille au charbon.
Je décidais alors de passer de la théorie à la pratique en faisant un stage à Emmaus, stage qui m’a fait le plus grand bien, je revenais aux sources, celles d’aller échanger avec des personnes en difficultés, de les accompagner au quotidien, sentiment de me sentir à nouveau utile, bon dans ce que je faisais, d’autant plus qu’on me le faisait remarquer en me disant qu’ils attendaient que je revienne pour prendre la place du chef de communauté. A la fin de ce stage pour lequel je n’avais touché aucune rémunération, les compagnons se sont battus pour que je touche le même pécule qu’eux, 50€ par semaine, afin de valoriser le travail que j’avais pu réaliser à leurs côtés. Je garde de merveilleux souvenirs de ces quelques mois près de la misère humaine mais avec tant de beaux sourires…
Qu’est ce qui se rapprochait le plus de ce travail ? Celui d’éducateur spécialisé, de toute évidence. J’étais prêt à abandonner la théorie qui m’avait donné assez de force pour attaquer la réalité du terrain.
Je tente alors le concours pour être éducateur à Poitiers, Tours, Reims et Nancy. Ma copine m'encourage et me dit qu'elle me suivra. Je suis refusé dès l'écrit à Poitiers, reçu à l'oral à Reims, Nancy et Tours, recalé dans ces trois villes, sur liste d'attente à Reims, 23ème, mon grand frère, fan des Air Jordan, me dit "23, c'est un signe", j'appelle le secrétariat qui me dit froidement "oubliez, c'est mort". Un mois plus tard, on me rappelle "ça vous intéresse toujours?" Je saute sur l'occasion, déménagement à Reims, ma copine reste quelques mois à Nantes pour bosser et trouver une solution pour me rejoindre.
Ces trois années d'études sont une vaste blague. Les cours enseignés sont pauvres, les "professionnels" qui nous suivent n'ont pas reniflé le terrain depuis une dizaine d'année. Les stages, un par an, chaque année toujours plus longue, sont une bouffée d'air. Je fais mon premier dans un foyer d'accueil médicalisé (personnes adultes avec lourd handicap moteur et mental), mon second dans une maison de retraite que j'ai adoré, j'aurais rêvé bosser de longues années avec les personnes âgées, malheureusement, l'éducateur spécialisé se fait rare dans ce type de structure... mon troisième et dernier dans une maison d'enfant à caractère social, des ados de 12 à 18ans, protection de l'enfance, ados qui ont eu des parents violents, alcooliques, absents, autres... J'avais le sentiment que j'allais en chier avec les ados... ça n'a pas loupé. Les ados sont doués pour renvoyer le professionnel à ses propres questionnements "quel fils j'ai été? puis je juger la manière dont mon père m'a éduqué? quel père j'aimerais être?". Ces neufs mois de stage sont durs, je ne suis plus en capacité d'apporter de l'amour et de la tendresse à ma bien aimée, elle est tout autant prise dans son boulot et ses divers projets. A la fin du stage, on me propose des CDD, j'accepte, je ne réalise pas les ravages que sont en train de faire ces heures de boulot dans mon esprit. Les CDD se multiplient jusqu'à me faire faire de longues semaines, les éducs titulaires sont épuisés. J'essaie de m'imposer, faire au mieux, peut être vais-je au-delà de mon rôle de remplaçant en rédigeant des notes concernant des gamins dont je ne suis pas le référent.
Juillet 2016, les gamins au foyer sont calmes, je ramène régulièrement ma game cube pour jouer avec eux. Mais vers la fin du mois, j'arrive un samedi à 6h30 et je comprends rapidement que le veilleur de nuit, remplaçant, première nuit, a passé 9h de taff horrible, les ados lui ont fait la misère entre les alarmes enclenchées, les hurlements dans les couloirs... Mon collègue du matin arrive, la matinée est calme, on décide de prendre le temps de réfléchir à la meilleure réponse à apporter... sauf que le midi, les ados remettent ça et cette fois ci, c'est moi qui prend, je gère autant que peu, fait appel à l'astreinte qui fait appel à la police...
Je rentre chez moi, lessivé, mais intimement convaincu que ça va aller, que c'est le taff, rien de grave. J'y retourne le lendemain. Deux semaines plus tard, alors que je suis en vacances en Ardèche chez mes parents, je m'aperçois que j'ai de grosses plaques d’eczéma sous les bras. Je me dis que c'est rien, ça va passer. Fin aout, je commence à perdre des cheveux derrière la tête. Mon dermato me dit que c'est une pelade, ça devrait repousser. Mars 2017, je n'ai plus aucun poil ni cheveux sur le corps. Pelade universelle. On me propose des traitements qui ont pour objectifs de défoncer mon système immunitaire qui est responsable de cette perte de pilosité (maladie auto immune), et qu'en gros, je devrai manger sans sel, que le traitement fragilisera mes os sur le long terme, et j'en passe. Je refuse. On me fait comprendre qu'il y a peu de chances pour que j'ai de nouveau des cheveux/poils à l'avenir.
Je continue de bosser dans cette maison d'ado, je vais voir un psy qui remue mon passé durant quelques mois. En Juillet 2017, ma copine me dit qu'elle aimerait qu'on déménage à Paris pour qu'elle suive une formation. J'accepte, je trouve un boulot dans un foyer d'accueil médicalisé dans lequel je m'épanouis. Mais ma relation avec madame ne s'arrange pas, on se quitte en juillet 2018. Je décide de rester dans l'appart dans lequel j'ai vécu avec elle parce qu'il se situe à 3min à pied de mon boulot même si je sais que rester vivre dans l'appart qui a vu les dernières plumes de cette belle relation de 15ans ne facilitera pas le processus de rupture.
En juillet 2019, je suffoque, je souffre trop, la dépression point le bout de son nez. Je décide de lâcher l'appart et Paris, j'ai besoin d'une pause. Je me démerde pour choper le chômage et pars déposer mes valises en octobre chez mes parents en Ardèche après m'être délester de pas mal de choses. Je compte y rester environ 3mois. J'en profite pour faire un road trip tour de france pour voir tout un tas de personnes que je n'avais pas vu depuis quelques années. C'est une bouffée d'air. Au même moment, je rencontre sur une appli de rencontre une fille avec qui le courant passe bien, on discute de plus en plus jusqu'à se voir en janvier là où elle habite, Châteauroux, la ville ne me fait clairement pas rêver. Les relations avec mon père se tendent avec la pression et l'omniprésence dû au confinement. Ca finit par exploser, je déménage en urgence en Avril dernier à Châteauroux. J'aime cette fille comme un fou. Elle me quitte le 26 mai, le 27, je commence un nouveau boulot. J'ai mal mais je me dis que le boulot me permettra de commencer quelque chose de nouveau, de nouvelles rencontres, nouvelles expériences. Je rencontre ma binôme, je m'entends super bien avec elle, m'explique tout ce qu'elle peut m'expliquer. Deux semaines se passent, tout va globalement bien, elle m'annonce qu'elle démissionne. Une autre collègue démissionne au même moment, je comprends vite que la hiérarchie, surtout la directrice de l'association est tyrannique, je m'en rends vite compte quand cette dernière commence à s'en prendre à moi. Je démissionne à la fin du mois de Juillet.
Durant tout le mois de juillet, j'ai réfléchi... et maintenant? déménager dans quelle ville? trouver quel type de boulot?... Une pote que je connais depuis maintenant trois ans me dit qu'elle en a marre de paris, elle y vit depuis cinq ans. Elle veut tenter sa chance à l'ile de la réunion.
Banco. billet d'avion pris. Je décolle le 3 septembre. J'ai déjà commencé à y chercher du boulot.
Qui vivra verra.