Reprenons donc le raisonnement principal du Tribunal, afin d'en vérifier le bien fondé.
1- 33 oeuvres de l'esprit ont été téléchargées massivement par l'intermédiaire du site PirateBay entre fin février et fin mai 2006 (pages 42 à 45 du jugement).
C'est une première clé du raisonnement, très importante. Les quatre animateurs ayant été condamnés pour complicité, il convient donc avant tout de vérifier si une infraction principale a réellement été commise.
Pour réunir ces preuves, le Tribunal a entendu deux témoins, Messieurs Martensson et Nilsson, qui sont tout bêtement allés sur le site PirateBay, ont téléchargé les fichiers torrents puis, par l'intermédiaire d'Azureus, sont entrés dans la boucle des téléchargements et ont récupéré l'intégralité des oeuvres de l'esprit qu'ils ont choisies (beaucoup d’œuvres suédoises mais aussi des chansons des Beatles, un Harry Potter, Pink Panther, Diablo 2 etc.).
La défense, lors des audiences, avait vertement critiqué le travail des deux témoins, notamment, avait démontré qu’ils ne savaient pas si les seeders étaient passés par TPB pour uploader les oeuvres et les avaient forcé à dire que lorsqu'ils ont téléchargés lesdites oeuvres, ils n'étaient plus sur TPB (ce qui est une évidence puisque TPB met en ligne les fichiers torrents et non pas les oeuvres de l'esprit elles-mêmes).
A tout ceci, le Tribunal répond que:
a) Les témoins ont téléchargé des oeuvres de l'esprit en entier, qui correspondent à ce que les fichiers torrents annonçaient.
b) Ces oeuvres de l'esprit ont été disponibles pendant plusieurs semaines (entre fin février et fin mai 2006) et, même si le Tribunal ignore si les oeuvres étaient disponibles au téléchargement en permanence, elles l'ont été suffisamment pour être massivement téléchargées.
c) En effet, si le site TPB, qui affiche le nombre de téléchargements d'une oeuvre, n'est pas très fiable, il apparaît clairement que les oeuvres sont téléchargées massivement.
d) Par conséquent, le Tribunal juge que les oeuvres ont été rendues disponibles au public pendant la période de temps considérée.
2- Le site TPB propose au public des fichiers torrents qui concernent très majoritairement des fichiers protégés par le droit d'auteur.
Ici également, la défense a fait dire aux 2 témoins qu'ils n'avaient pas téléchargé le top 100 de TPB et qu'il n'y avait donc aucune preuve de ce que ces oeuvres étaient protégées par des droits d'auteur. En gros, les témoins durent avouer qu'ils "avaient la conviction" que, par l'intermédiaire de TPB, du piratage massif s'exerçait, mais sans preuve réelle.
A cela le Tribunal retient (p. 52) le témoignage d'Anders Nilsson qui indique qu'il avait checké régulièrement le TOP 100 de TPB, et qu’à chaque fois, plus de 90% des oeuvres proposées étaient soumises aux droits d'auteur.
Jusque là, j'aurais tendance à dire que le Tribunal n’a pas bien fait son travail : d'une part, il retient comme preuves les téléchargements effectués par les témoins qui travaillent pour l'anti piracy agency. Cela paraît surprenant car ces messieurs, sauf erreur de ma part, ne sont pas des huissiers ; or, en France en tous cas, une preuve parfaite ne peut être obtenue que par un huissier (officier ministériel assermenté). J'irais même jusquà dire que les téléchargements opérés par les 2 témoins sont des "pièces à soi-même", c'est à dire des preuves qu'une partie constitue en vue d'un procès. C'est souvent considéré, en France, comme nul et non avenu comme preuve, justement en raison de ce qu'on ignore si le travail effectué par la partie est "honnête" et s'il est efficace.
En outre, les objections soulevées par la défense sont soit ignorées, soit écartées par un raisonnement qui n'emporte pas la conviction.
Sauf que deux éléments très importants sont révélés par le jugement, qui font basculer cette appréciation négative et qui explique aussi grandement le 3ème point.
3- Les 4 animateurs du site savaient que des contrefaçons d'oeuvre de l'esprit s'effectuaient par l'intermédiaire de leur site.
Le Tribunal retient en premier leu la présence du tracker TPB.
Ce dernier, que le Tribunal définit comme permettant à des internautes qui souhaitaient partager des fichiers de se contacter les uns les autres dans ce but (p. 38). Il ajoute que la fonction du tracker était de créer un réseau de P2P ce qui signifie qu'un nombre indéterminé de personnes pouvaient avoir accès à l’œuvre de l'esprit à laquelle le fichier torrent se réfère. Enfin, le Tribunal souligne que le but du tracker est de fournir à l'internaute les informations lui permettant le téléchargement. Le tracker permet à l'internaute de savoir qui télécharge l’œuvre qu'il a choisie et lui permet d'entrer "dans la boucle" des téléchargeurs/uploaders.
Vous voyez que cet élément permet de considérer que TPB n'a rien à voir avec un service comme Google (le Tribunal ne fait pas cette comparaison, c'est mon analyse). Google permet de retrouver un fichier torrent, un point c'est tout. Google ne rend pas un service qui lui permet de stocker des fichiers torrents comme le fait TPB et n'a aucun tracker dédié au P2P.
Mais il y a peer (oh ! oh !).
Le Tribunal, et c’est le second élément important, retient également un mail de Carl Lundström (un des quatre animateurs) dans lequel il indiquait clairement que le but du site TPB était d'aider le piratage (principalement pages 25 et 52); le Tribunal relève que c'est d'ailleurs ce qu'il a dit au cours de son audition (page 53) ! Ici encore, nous n'imaginons pas qu'un moteur de recherche comme Google puisse se vanter d'aider au piratage, voire finisse par avouer n'exister que dans ce but.
Ce genre d'aveu judiciaire fait assez mal et il paraît difficile, pour un Tribunal, de ne pas le prendre en compte pour se faire une opinion générale. J'avoue être surpris par ces éléments, dans la mesure où les quelques compte-rendus du procès que j'ai eu l'occasion de lire ne mentionnaient, ni ce mail accablant, ni même l'aveu de Lundström. Raison pour laquelle je vous expliquais tantôt qu'il ne faut jamais se fier à des sources, aussi professionnelles soient-elles, mais au seul jugement.
En résumé: Le Tribunal considère que le site TPB stocke des fichiers torrents qui sont uploadés spécifiquement sur son site et permet de les retrouver par un moteur de recherche interne (ce qui me paraît vrai), c'est même sa seule raison d'être, c'est à dire qu'il ne sert qu'à ça (à l'inverse d'un Google par exemple), et ces fichiers torrents concernent, pour l'immense majorité d'entre eux, une oeuvre de l'esprit protégée (ce que n'importe quel utilisateur du site pourrait confirmer). Le site TPB a un tracker dédié qui sert à aider les internautes à pirater (vrai également, me semble-t-il) et l'un des quatre animateurs du site a rédigé un mail indiquant que TPB servait à aider au piratage; il l'a ensuite avoué.
Cela devient assez difficile maintenant de considérer que le Tribunal a été méchamment partial en considérant que les 4 animateurs de TPB étaient complices de l'infraction principale de contrefaçons d'oeuvres de l'esprit protégées par des droits d'auteur.
Enfin, reste à considérer que le Jugement retient que TPB, et particulièrement Carl Lundström, ont encaissé environ 110 000 € par le biais des publicités affichées sur le site (p. 53).
A nouveau, je vous livre ici un avis purement juridique et factuel, et non pas politique. Je ne crie ni victoire ni ne hurle à la mort face à ce jugement. Enfin si, je fais les 2, mais uniquement parce que ma personnalité schizophrénique adore lutter contre elle-même. Je souligne uniquement que, confronté à ce mail ainsi qu'à un aveu judiciaire, une defense, même très subtile, ne peut que peiner à convaincre un Tribunal, soit de ce qu'aucune oeuvre de l'esprit n'est contrefaite par le biais du site, soit de ce que les 4 animateurs du site n'ont aucunement contribué ou encouragé (à) ce piratage.
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