Quoi de mieux pour commencer cette rubrique revenant à la vie qu'un titre comme La coiffe de naissance ? A peu près rien je dirais. Qu'est-ce qu'une coiffe de naissance ? Tout simplement une partie de la poche des eaux recouvrant parfois le crâne des nouveaux-nés, dès lors protégés par le sort selon les vieilles femmes. Et Alan Moore. Le vieux barbu, scénariste des plus grands comics -Watchmen, V pour Vendetta, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et autres chefs d'œuvre transformés en navets par Hollywood- en a retrouvé une dans les affaires de sa mère. Comme s'il avait besoin de verser encore plus dans l'ésotérisme. Cette relique l'a inspiré pour la création d'un spectacle autobiographique, représenté une unique fois. Intervient alors Eddie Campbell -son compère dessinateur sur From Hell- qui le convainc de le laisser adapter en bande dessinée ce spectacle. Bon, raconter la naissance d'une œuvre portant sur la naissance, c'est rigolo 5 minutes, mais passons au bouquin en lui-même. Déjà, l'objet est beau avec sa couv en simili cuir, sa jaquette et son marque-page intégrée, mais Ça et Là a l'habitude de proposer de beaux livres. Quoi le contenu ? 56 planches en N&B, un découpage audacieux, beaucoup de texte (la trad' me paraît bien, je n'ai pas vu de contre-sens mais je n'ai pas lu la VO), le dessin est très différent de ce qu'a pu faire Campbell sur From Hell, avec des photos retravaillées et beaucoup de crayonnés. Heureusement d'ailleurs que Campbell est là pour illustrer la prose de Moore, pas toujours aisée à comprendre.
Une incursion assez osée de Moore dans l'autobiographie, avec un charme certain, mais qui ne plaira pas à tout le monde tant le Mage de Northampton peut être abscons. Si vous préférez la compréhension à l'ambiance et le trait hachuré et sec du Campbell de From Hell, jetez un oeil à Alec, paru également en intégrale chez le même éditeur. C'est de l'auto-fiction plus classique, et le vieux barbu y fait de nombreuses apparitions.
La Coiffe de naissance, Alan Moore et Eddie Campbell, Ça et Là, 20€.
Continuons dans le recyclage des anciens Canard BD avec Locke & Key. Je ne voulais pas déflorer l'intrigue extrêmement maligne de Joe Hill autour de cette vieille bicoque farcie de clés magiques. J'hésite toujours à le faire. Je vais partir du principe que vous avez déjà lu les 3 premiers tomes, si ce n'est pas fait, remédiez y. Maintenant on va pouvoir s'étendre un peu plus sur ce qui se passe dans ce tome 4 récemment paru, après un hiatus éditorial. Rien que le premier chapitre est époustouflant avec cet hommage à Calvin & Hobbes tellement bien fait. La lutte de pouvoir pour les clés entre Zack/Dodge/Echo et les enfants Locke est toujours au centre de l'intrigue, et décidément Joe Hill a hérité de son père un goût immodéré pour le fantastique qui tache. On n'est pas dans Crossed quand même, mais les persos en prennent plein la gueule, que ce soit physique ou psychique. Grâce au dessin très vivant et à la narration impeccable de Gabriel Rodriguez, l'empathie est très présente et c'est un vrai régal de suivre une série de cette qualité, surtout que je n'y voyais qu'un appât à geeks avec cette référence bas de gamme à Hamster Potamochère de Providence dans le titre du tome 1.
Locke & Key, Joe Hill et Gabriel Rodriguez, 4 tomes entre 130 et 170 pages chez Milady Graphics, 20€ le bout.
Poursuivons dans le développement durable et citoyen avec la sortie du tome 1 d'Aniss. Je recycle une fois de plus mes news précédentes mais Olivier Milhiet le mérite tellement. Il n'est plus seul à la barre de ses albums et est maintenant associé au scénariste Corbeyran qui a fait Uchronie(s) (oui mais non en fait) et Le Réseau Bombyce (le tome 3 est d'ailleurs sorti). Autant vous dire tout de suite que ça se sent : si le dessin est toujours autant à mon goût avec cette foultitude de détails inutiles à la narration mais qui participent tellement à l'ambiance et ses couleurs chatoyantes, le scénar ne m'a pas convaincu. Que de poncifs et de déjà-vu : fantasy orientale, anti-héros maladroit mais qui va se retrouver obligé de sauver le monde (le tome 1 ne le dit pas clairement du coup je suis peut être mauvaise langue - je ne désespère pas d'être surpris) après sa rencontre avec une femme plus maligne que tout le monde et qui a été bannie parce qu'elle n'a pas sa langue dans sa poche. Oh ce n'est pas mal fait, ça se suit agréablement, mais j'ai vraiment l'impression que Corbeyran a fait service minimum et se contente de son nom pour booster les ventes de Milhiet. C'est gentil de la part de Delcourt, mais c'est avec un mec comme Ayroles que Milhiet aurait dû travailler pour nous livrer un bouquin plus original. Donc j'ai fait ma bonne action car je considère que Milhiet mérite du soutien, et je vous invite à faire de même, mais vous êtes prévenus, on est loin de Spoogue ou de Caravane malheureusement.
Aniss T1 Carpette Diem, Corbeyran et Milhiet, Delcourt, 48 pages, 14€
8 planches chez BDGest.
Point de semi-déception pour la dernière BD présentée cette fois, mais rien d'étonnant puisqu'il s'agit de l'Homme Truqué de Serge Lehman et Gess, la préquelle de la Brigade Chimérique, meilleure série depuis 2010 et tout en haut de mon panthéon personnel. J'ai du en parler 3 ou 400 fois dans le fil de la BD ou ailleurs à l'occasion de la magnifique intégrale farcie de bonus explicatifs qui doit figurer dans toute bibliothèque digne de ce nom, même si vous êtes le croisement d'un lamantin et d'un pingouin - depuis j'ai été embauché par Serge Lehman pour être son chargé de marketing rien qu'à lui. Si la Brigade racontait la fin d'une époque, L'Homme truqué en raconte l'âge d'or. 1919, la France est victorieuse, le Nyctalope protège Paris, et Marie Curie veille sur l'Institut du Radium. Ces deux-là sont inquiets, la banlieue Nord est agitée par l'apparition d'un individu doté d'un étrange appareillage ophtalmique. Commence alors l'aventure, qui comme dans la Brigade mêle subtilement Histoire, hommage à la littérature populaire et à la Science. Evidemment, ça n'a pas l'ambition ni l'ampleur de la série-mère puisqu'il s'agit d'un one-shot, mais quel plaisir de retrouver cet univers et ses personnages ! On sent Gess encore plus à l'aise dans ce Paris fantasmé, que ce soit dans les phases d'action ou dans les scènes plus intimistes, et il faut voir ses fausses couvertures de périodiques d'époque ! La couverture de Marie Curie frappant comme la foudre trottera longtemps dans mon crâne... J'ai d'autant plus hâte de voir les aventures du Nyctalope, à paraître chez Delcourt l'année prochaine.
L'Homme Truqué, Serge Lehman et Gess, L'Atalante, 64 pages, 15€
8 planches chez BDGest
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