Le titre pourrait faire penser que le Canard BD d'aujourd'hui traite d'un conte se passant dans notre contrée. On y croiserait un pépé le béret sous le bras et la baguette sur la tête, en train de féliciter un gréviste de la SNCF pour les retards répétés des trains, qui lui permettent tant de belles rencontres dans les transports en commun. Puis ce papy rentrerait dans son loft avec vue sur la tour Eiffel (dont il est propriétaire depuis 25 ans) et profiterait bien de sa retraite prise à 50 ans.
Mais nan, Il était une fois en France n'est pas un conte, loin de là, puisque le "héros" a vraiment existé. Le clin d'oeil est bien plus en direction de Sergio Leone. Faut dire que c'est un drôle de gaillard qu'on va voir évoluer tout au long des 4 tomes de la série (qui en comptera 6 à son terme). Jeune immigré roumain arrivant en France illettré dans les années 20, Joseph Joanovici va se bâtir un empire doré à coups de combines avec la pègre et de trafic de métaux. Une position qu'il conservera pendant l'Occupation en vendant de la ferraille aux Nazis. Bouh le méchant. Sauf que Joanovici est juif et qu'il finance la Résistance...
Ceux qui ont peur de se spoiler la série en allant voir sur Wiki la destinée du personnage principal peuvent se rassurer : dès les premières pages du tome 1, on apprend qu'en 1965 Monsieur Joseph est mourant, et qu'un juge attend depuis 18 ans de le faire tomber. Dès lors, toute la série ne reposera que sur un immense flash-back et pourtant le suspens est là. Terriblement là. Une preuve de plus que le voyage est plus intéressant que la destination, soit dit en passant. Car vous l'avez deviné, son parcours va être tortueux et chaotique. Tout comme les sentiments des lecteurs à son égard. A la fois héros et salaud, collabo et résistant, juif et gestapiste, infidèle et amoureux. Une complexité hors du commun, bigger than life et pourtant. Fabien Nury a réussi à tirer de ce matériau de base une histoire évidemment passionnante mais là où il a fait très fort, c'est en évitant scrupuleusement tout manichéisme. Il aurait été facile de charger Joanovici et de le présenter comme un enfoiré de première. Il aurait été facile d'innocenter complètement Joano de ses crimes. Mais Nury montre tout, bonnes actions comme mauvaises, enfin fait montrer à Sylvain Vallée tout ce qu'il sait.
Sylvain Vallée a opté pour une ligne claire de grande classe. C'est un vrai plaisir de baguenauder dans le Paris des années 30, de voir les flics et les gangsters flotter dans de grands impers le clope au bec et d'admirer les lignes fluides des Tractions. Il faut aussi louer sa maîtrise des visages : gueules cassées des truands et leurs sourires carnassiers, malice dans les yeux de Joano, et tant d'autres sentiments passant mieux par des plans serrés sur les visages que par des mots. Ses personnages sont terriblement humains et son dessin aussi.
Une série historique de haute tenue, documentée solidement, passionante et au dessin admirable.
Les premières planches du T1, du T2, du T3 et enfin du T4 sont dispos sur le site de l'éditeur.
Il était une fois en France, Fabien Nury et Sylvain Vallée, 4 tomes sur 6 parus aux éditions Glénat, 13.50€
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